Auteur : Henri Laux

 

Jacques-Louis LANTOINE (dir.) : « Actualité de Spinoza », Cahiers philosophiques, n° 169, Paris, Vrin, 124 p.

À chaque époque l’œuvre de Spinoza a suscité des réactions sur les questions les plus fondamentales. Cette réception se renouvelle tout particulièrement aujourd’hui au contact de l’écologie et de la politique. Décisive à cet égard est la critique de l’anthropocentrisme et du finalisme dans les différents champs abordés ; elle rend possibles des liens dans la compréhension des sciences de la nature et des sciences humaines ou sociales. Marc Daëron et Vincent Legeay (« La fonction en biologie. Une critique spinoziste », p. 9-22), en s’appuyant sur une critique du premier genre de connaissance, mettent l’accent sur la notion de « fonctionnement » et la recherche rationnelle des séquences causales. Moa de Lucia Dahlbeck (« Le prophète et la vérité. Une approche spinoziste de l’écologie moderne », p. 23-38) souligne que la jonction d’un discours explicatif et d’une rhétorique émotionnelle, caractéristique du discours actuel, peut trouver son cadre théorique dans la relation raison et foi que décrit la prophétie dans le TTP. Dans « Spinoza et la liberté de philosopher » (p. 39-49), Mogens Laerke montre que celle-ci ne s’identifie pas à une simple liberté d’opinion ou d’expression mais qu’elle exige des conditions, des règles rationnelles, tant individuelles que collectives, pour être au service de la liberté. De manière complémentaire dans « Spinoza et la puissance de la liberté de penser » (p. 51-68), Blanca Missé soutient que la liberté académique est une modalité de la liberté de philosopher, qu’elle doit se comprendre à partir de la responsabilité sociale des universités, comme recherche d’un discours scientifiquement fondé. Avec « Génétique de la famille. Nature et culture chez Spinoza » (p. 69-80), Jacques-Louis Lantoine souligne chez Spinoza non pas une conception « essentialiste » de la nature humaine mais, dans le cas de l’institution « famille » par exemple, tout un système d’adaptations, de réactions à des affects pour persévérer dans l’être ; ainsi la famille n’existe pas « par nature », mais se réalise comme « effet naturel ».

On appréciera dans l’ensemble du numéro l’attention prêtée à ces nouvelles thématiques, voies de recherche originales et solidement étayées dans leur argumentation. Le cahier évoque aussi un psychiatre anglais de la fin du XIXe siècle, Henry Maudsley dont Spinoza constitue la référence principale dans l’ouvrage The Physiology of Mind, à propos notamment du finalisme, de la conscience et de la volonté, du corps et des affects (p. 81-105). Au terme, J.-L. Lantoine interroge Pierre-François Moreau sur la nouvelle édition de l’Éthique parue aux PUF (p. 107-113) ; c’est l’occasion d’évaluer sur l’intérêt de la découverte du manuscrit dit « du Vatican », les problèmes de choix de traduction et leurs enjeux, les principes qui ont conduit cette édition. Les dernières considérations reviennent précisément sur la notion d’actualité de Spinoza, sur ce qu’il en est d’actualiser une pensée ; contre les raccourcis sommaires qui se rencontrent aujourd’hui, il est rappelé qu’il n’y a pas d’interprétation d’une pensée sans maîtrise de l’architecture du système.

Henri LAUX

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Pour citer cet article : Jacques-Louis Lantoine (dir.) : « Actualité de Spinoza », Cahiers philosophiques, n° 169, Paris, Vrin, 124 p., in Bulletin de bibliographie spinoziste XLV, Archives de philosophie, tome 86/4, Octobre-Décembre 2023, p. 187-216.

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Chantal JAQUET : Les Expressions de la puissance d’agir chez Spinoza, Nouvelle édition suivie d’une postface, Paris, Éditions de la Sorbonne, 324 p.

Cette réédition d’un ouvrage paru en 2005 a été augmentée par Chantal Jaquet d’une postface qui en des pages très lumineuses revient sur la notion de puissance d’agir, clé de voûte de la pensée de Spinoza (p. 317-322). La difficulté est en effet la suivante : la critique du libre arbitre conduit-elle à un déterminisme mécanique, sorte de destin ou de fatalisme aveugle ? Pour sortir de cette alternative piégée, Spinoza introduit la pensée d’une « nécessité libre », qui est la « détermination à exister et à agir par soi seul », distincte d’une nécessité contrainte par les causes extérieures. En ce sens, Dieu seul est cause libre (Éthique I, XVII, cor. 2), mais si l’on peut penser la liberté de l’être humain, c’est en tant que celui-ci est une partie de la puissance de Dieu ou de la Nature et que Dieu s’explique par son essence actuelle. C’est donc bien ce concept de potentia agendi, le plus central et opérant chez Spinoza, qui permet de comprendre dans leur unité nécessité et liberté.

Henri LAUX

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Pour citer cet article : Chantal Jaquet : Les Expressions de la puissance d’agir chez Spinoza, Nouvelle édition suivie d’une postface, Paris, Éditions de la Sorbonne, 324 p., in Bulletin de bibliographie spinoziste XLV, Archives de philosophie, tome 86/4, Octobre-Décembre 2023, p. 187-216.

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Diego TATIÁN : Spinoza y el arte, Buenos Aires, Editorial Las cuarenta, 143 p.

Une annotation préliminaire annonce le style de l’ouvrage : on n’y trouvera pas une monographie unifiée et homogène, mais quelque chose qui s’apparente davantage à un « cahier de travail », constitué de pièces à l’allure académique et de notes de lecture plus ponctuelles. Il en résulte un texte original, suggestif par sa manière d’aborder « Spinoza et l’art » : l’art n’est pas à considérer comme une esthétique institutionnelle séparée de la vie, mais comme une pratique, expérience commune référée à la vérité du corps humain dans son désir et ses lois, à l’esprit et au monde. Le lieu de la beauté se trouve dans la force de l’immanence. L’« artistique », en ce sens, c’est la vie même en tant qu’elle est active. Ainsi, « l’art comme forme de vie spinoziste n’équivaut pas à une “vie d’artiste” ; il ouvre plutôt à une pratique de l’impropriété et de l’impersonnalité qui libère du possessif comme du culte de soi, et porte le nom d’éthique » (p. 37). L’art se déploie alors à travers toutes sortes d’opérations qui expriment la liberté comme plénitude de la puissance d’agir et de penser.

Une place toute particulière est accordée à une réflexion sur le baroque, sur la place de l’image, à la suite de nombreux travaux qui ont abordé la thématique dans la culture hollandaise du XVIIe siècle. Vermeer et Rembrandt sont convoqués pour exprimer la tension entre la turbulence des passions et la clarté de l’intellect, tension ou plutôt conjonction pour reconnaître le mouvement vers le bonheur dans les obscurités de l’existence. À cet égard, il faut signaler les pages consacrées à un texte d’Horacio Gonzalez, le seul qu’il ait écrit sur Spinoza, « Folie et mathématiques » : il donne toute leur place aux représentations culturelles et populaires de l’imagination, s’appuyant en particulier sur le régime prophétique du Traité théologico-politique, comme pour dire le clair-obscur de l’histoire dans la diversité de ses expériences, tant individuelles que collectives. La philosophie de Spinoza manifeste ainsi « une sensibilité pour la vie des personnes simples et les drames de l’existence populaire » (p. 98). Le contexte des luttes de l’Amérique latine n’est pas absent de ces considérations. Il résulte ainsi de l’ouvrage le sentiment d’une grande attention à la manière dont se fait l’histoire, entre raison et passions, entre la réflexion théorique et tous ces « petits » événements de fortune, dans une dernière partie intitulée « miniaturas », qui tressent pourtant le quotidien : la rencontre de personnes et d’objets au gré des circonstances, une citation de l’Éthique et le nom de Spinoza tracés sur des murs, un récent portrait du philosophe offert par amitié, des références littéraires, l’évocation du Japon (mentionné dans le TTP)… La richesse du parcours vient ainsi de cette conjonction foisonnante entre un apport théorique et le climat qui en est le milieu, une vie éthique comme art de vivre, productrice de rencontres et d’ouvertures dans la vie commune.

Henri LAUX

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Pour citer cet article : Diego Tatián : Spinoza y el arte, Buenos Aires, Editorial Las cuarenta, 143 p., in Bulletin de bibliographie spinoziste XLV, Archives de philosophie, tome 86/4, Octobre-Décembre 2023, p. 187-216.

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SPINOZA : Œuvres IV – Ethica – Éthique, texte établi par Fokke Akkerman et Piet Steenbakkers, Traduction par Pierre-François Moreau, Introduction et notes par P.-F. Moreau et P. Steenbakkers, avec annexes par Fabrice Audié, André Charrak et P.-F. Moreau, Paris, PUF, 690 p.

Cette édition de l’Éthique s’inscrit dans l’entreprise d’édition critique des Œuvres de Spinoza ; elle fait suite à la publication du Traité théologico-politique, du Traité politique et des Premiers écrits. Pierre-François Moreau, maître d’œuvre de l’ensemble, vient d’en réaliser la traduction ; il a rédigé l’introduction et les notes en collaboration avec Piet Steenbakkers, qui a également établi le texte en poursuivant le travail commencé par Fokke Akkerman.

C’est peu de dire que cette édition était attendue et qu’elle constitue un événement dans le champ des études spinozistes. Elle est l’aboutissement d’un long travail ; Jean-Marie Beyssade en avait commencé la traduction ; Alexandre Matheron en a relu des versions ; ils nous font bénéficier de réflexions que les notes ont intégrées. Et beaucoup d’autres, à des titres divers, ont apporté leur contribution dans la mise au point finale de l’édition. Celle-ci s’appuie donc sur les recherches les plus récentes effectuées sur la langue et la culture de Spinoza, les travaux sur la genèse et la structure du système ; elle fournit des instruments historiques, lexicaux, conceptuels pour comprendre le texte, sans imposer pour autant une interprétation ou discuter les interprétations précédentes.

Que trouve-t-on alors dans cette édition ? D’abord une passionnante introduction d’une centaine de pages, informée des données de la recherche actuelle ; elle fait le point sur la genèse de l’Éthique, l’historique et l’établissement du texte. On sait que les amis de Spinoza ont fait paraître l’année même de sa mort (1677) l’ensemble de ses œuvres non publiées (dont l’Éthique), à la fois dans une édition latine, les Opera Posthuma (OP), et une traduction néerlandaise (sans la Grammaire de l’hébreu), les Nagelate Schriften (NS). Sur ce point déjà, l’introduction montre que l’on ne peut pas considérer les écarts entre les OP et les NS comme renvoyant à des stades différents du développement du texte. Des comparaisons très fines précisent la spécificité et les rapports des deux textes ; elles permettent de fonder des hypothèses quant aux phases de la réalisation de l’Éthique, entre 1662 et 1675. Après les NS, première traduction de l’Éthique, mais faite en partie pendant la vie de Spinoza par des membres de son entourage et à partir des manuscrits originaux, sont présentées les éditions anciennes (1803-1874) – d’ailleurs en allemand, puis les éditions récentes, depuis 1882 avec Van Vloten et Land, Gebhardt, et les suivantes en différentes langues (ainsi Charles Appuhn en français).

Mais une question nouvelle a surgi pendant ce travail avec la découverte du manuscrit du Vatican en 2010. Réalisée par Pieter van Gent en 1674-1675, cette copie avait été confiée au savant mathématicien Tschirnhaus : celui-ci l’avait ensuite remise à Stensen qui l’avait communiquée au Saint-Office pour faire condamner Spinoza ; transmis aux Archives du Vatican dans les années 1920, ce document de premier plan devait être découvert puis édité par Leen Spruit et Pina Totaro en 2011. Une question radicale se posait alors quant à l’établissement du texte : ce manuscrit, copié très probablement sur l’autographe de Spinoza, et seul manuscrit que nous possédions, ne doit-il pas constituer désormais le texte de base de l’Éthique, faisant des OP un document de comparaison ? À cela, la présente édition répond fermement : « Le texte du Vatican est une source de haute importance, qui nous permet de reconstruire l’historique du texte et de corriger un certain nombre de leçons (ou, le cas échéant, de confirmer des conjectures proposées avant sa découverte). Il ne peut pourtant pas servir de texte de base pour une édition critique de l’Éthique : c’est une copie, écrite en grande hâte, qui a seulement servi à Tschirnhaus d’exemplaire personnel, et le résultat n’a pas été supervisé par Spinoza, ni même contrôlé par le copiste avec sa source. Le texte de l’Éthique qui se trouve dans les Opera posthuma, en revanche, a été publié par les amis de Spinoza selon les instructions de l’auteur. Il n’est pas exempt de fautes, mais il est le seul témoin qui fait autorité et qui, par conséquent, entre en ligne de compte pour servir de texte de base à cette édition critique » (p. 48). Une prise de position aussi nette quant au statut respectif des différents textes était indispensable pour ne pas semer la confusion. Bien entendu, une toilette du texte vient aussi corriger les erreurs ou approximations de ceux qui avaient préparé l’édition, voire de l’imprimeur lui-même : majuscules, accents, système de ponctuation excessif ; en revanche, la belle mise en page effectuée, prouesse technique pour l’époque, est conservée. Bien d’autres points sont examinés ; tous vont à montrer qu’en l’absence de l’autographe, il faut renoncer à remonter directement à Spinoza, mais qu’un travail de comparaison et de vérifications permet de fonder un certain nombre de rectifications.

Deux apparats enrichissent l’édition de l’Éthique. Un « apparat critique » justifie les décisions à propos de l’établissement du texte latin : interventions sur le texte de base (OP) ; signalement dans les OP des leçons alternatives des NS ou du manuscrit du Vatican qui présentent un intérêt plus particulier. Puis, un « apparat des témoins (Testium) » repère les termes, expressions et phrases que l’on peut trouver dans les ouvrages philosophiques ou littéraires que Spinoza a connus, ou encore les références qui, sans être reprises de tel auteur, appartiennent à l’horizon culturel de l’époque. Enfin, un premier tableau présente les « Écarts lexicaux entre les sources latines de l’Éthique » ; un deuxième, les « Écarts entre Opera posthuma et De nagelate schriften » ; un troisième, les « Variantes dans les formules terminales des démonstrations ». L’intérêt de ce troisième tableau n’est pas simplement d’attirer l’attention de l’érudit sur un point qui pourrait échapper, somme toute secondaire. Il montre en réalité que l’emploi systématique de la formule euclidienne bien connue au terme des démonstrations (généralement Quod erat demonstrandum) relève davantage de l’effort des amis de Spinoza : « Cela confirme l’impression que la mise en forme finale de l’Éthique est redevable, au moins pour ses détails, aux rédacteurs des œuvres posthumes » (p. 87). Enfin, un quatrième tableau relève les « Fautes typographiques dans les Opera posthuma ». Il résulte de cette introduction extrêmement documentée une grande nouveauté dans le rapport au texte. Au fil des remarques, rapprochements, écarts et discussions, le lecteur est reconduit au texte dans son être même de texte, dans sa matérialité : celui-ci n’est ni figé dans un état premier imaginaire et inaccessible, ni remis en cause par des erreurs ou des variantes que la comparaison met à jour ; il instruit plutôt sur son élaboration, sur le rapport au milieu de Spinoza, sur l’état des moyens techniques disponibles à l’époque ; à travers les corrections apportées, se montre un accès comme latéral à la manière dont Spinoza écrivait. Nous percevons toujours davantage de l’intérieur la vie du texte, ce qui, pour une œuvre aussi dynamique que l’Éthique, n’est pas secondaire.

Outre cette longue introduction, un deuxième ensemble consiste dans les notes, commentaire dit « minimal », mais de plus de cent dix pages tout de même. Il s’agit d’indications qui permettent de faciliter la lecture et non pas d’une interprétation, conformément au principe de cette édition. Elles ont quatre fonctions : indiquer la construction de chaque partie ou des textes qui complètent les démonstrations (préfaces, appendices, scolies) ; justifier certains choix éditoriaux de manière plus détaillée que dans l’apparat critique ; expliciter les renvois, références et citations : renvois internes à l’œuvre de Spinoza, renvois à des auteurs qu’il a lus, latins, médiévaux ou modernes (dans ce cas, Bacon, Descartes, Hobbes, Heereboord), mais aussi à des formules plus générales ou à des auteurs qui permettent de constituer une tradition culturelle commune ; faire le point, enfin, sur le sens de certains concepts et rendre compte de choix de traduction. Il va sans dire que cette section éclaire magistralement le travail de lecture de l’Éthique ; on peut penser tout particulièrement ici aux renvois à Descartes par l’intermédiaire de la traduction latine des Passions de l’âme dans la troisième partie, mais aussi à la culture latine ; dans le cas de Descartes, à vrai dire, il s’agit moins de références que d’une lecture proprement dite de Descartes et d’un « large réaménagement de cet héritage » (p. 546). Enfin, trois annexes apportent de précieux compléments : « Les exemples mathématiques de l’Éthique » (Fabrice Audié), « Sur l’abrégé de physique de l’Éthique » (André Charrak), « Tableau de la vie affective » (P.-F. Moreau).

Mais il ne faut certes pas oublier ce qui fait la raison d’être de l’ouvrage : la traduction de l’Éthique. Selon le projet annoncé, elle suit le texte très fidèlement en respectant au mieux « la cohérence des champs sémantiques » (p. 66) ; cela vaut pour les mots-clés mais aussi pour des « mots-outils », apparemment plus secondaires, mais qui servent dans la construction du raisonnement. Des décisions de traduction sont argumentées à la première apparition de certains termes clé : ainsi de ratio (note 13), mens (note 23), potentia et potestas (spécialement note 136) ; libido traduit par pulsion (note 266) ; quant au terme Deus, il fait l’objet de l’avant-dernière note (309) pour éclairer son statut syntaxique et son rôle structural. Et dans les parties III et IV, on aura été attentif à la traduction des affects, rigoureuse elle aussi, et sans fioritures.

On l’aura compris, il est difficile de rendre compte en quelques lignes de la richesse de cette édition. Elle représente en réalité plusieurs ouvrages en un : une traduction et une bibliothèque pour y accéder ; ou encore un texte traduit, certes, mais un texte qui apparaît sur fond d’histoire, avec ses aléas, ses difficultés, beaucoup d’efforts aussi pour le rendre accessible en son temps, en somme un texte dont on éprouve davantage le travail interne. L’entreprise stimule ; elle suscite recherches et interrogations, conduit à de nouveaux approfondissements ; elle invite à penser avec Spinoza, comme il le fit lui-même avec d’autres en son temps. Il eût apprécié la poursuite de cet effort aujourd’hui…

Henri LAUX

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Pour citer cet article : SPINOZA : Œuvres IV – Ethica – Éthique, texte établi par Fokke Akkerman et Piet Steenbakkers, Traduction par Pierre-François Moreau, Introduction et notes par P.-F. Moreau et P. Steenbakkers, avec annexes par Fabrice Audié, André Charrak et P.-F. Moreau, Paris, PUF, 690 p., in Bulletin de bibliographie spinoziste XLIII, Archives de philosophie, tome 84/4, Octobre-Décembre 2021, p. 181-218.</p

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Pierre ANSAY : Le cœur de Spinoza : vivre sans haine, Mons, Couleur livres, 140 p.

On ne trouvera pas dans ce petit ouvrage une étude qui contribue particulièrement à la recherche en matière spinoziste. Tel n’est pas son but ; tel n’est pas non plus son intérêt. Le propos est une interrogation pratique : comment accéder au cœur de la philosophie de Spinoza ? Comment vivre mieux en comprenant davantage, en haïssant moins ? Cinq étapes organisent le parcours : prendre au sérieux le projet de ne pas maudire et railler les comportements mais de les comprendre ; expliquer des conduites impulsives et irréfléchies qui font méconnaître et méjuger les actions des hommes ; expliciter la « physique mécanique » des affects ; avec les affects actifs, montrer comment nous pouvons agir sur le rapport à nous-même et aux autres dans le mouvement de la joie ; bien saisir la « puissance du comprendre » comme un « devenir sage ». L’originalité vient de ce que l’auteur relie l’analyse de l’Éthique à son appropriation personnelle, les deux discours étant même distingués typographiquement ; en somme : les affects illustrés par mon expérience. Avec beaucoup de verve, dans un langage très « direct », l’ouvrage expose des situations concrètes. Le « témoignage » personnel donne alors beaucoup de saveur à un texte « géométrique » qui s’éprouve véritablement comme une aide à mieux vivre.

Henri LAUX

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Pour citer cet article : Pierre ANSAY : Le cœur de Spinoza : vivre sans haine, Mons, Couleur livres, 140 p., in Bulletin de bibliographie spinoziste XLIII, Archives de philosophie, tome 84/4, Octobre-Décembre 2021, p. 181-218.</p

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SPINOZA : Obras completas y biografias, par Atilano Dominguez, Madrid, Vive Libro, Segunda edición, 1004 p. – ebook et imprimé.

La première édition de cet ouvrage (2015), a fait l’objet d’un compte rendu de Pierre-François Moreau dans le « Bulletin de bibliographie spinoziste XXXVIII » (Archives de philosophie 79, 2016, p. 820-821) auquel il convient de renvoyer. L’ampleur de la documentation proposée était soulignée : introduction générale, chronologie et bibliographie ; traduction des œuvres (à l’exception de la Grammaire de la langue hébraïque, pour des raisons explicitées) avec un ensemble de notes particulièrement riche, enfin un dossier de biographies et documents très complet. Cette nouvelle édition apporte plusieurs améliorations significatives : correction des erreurs repérées, simplification des sigles, unification de la bibliographie relative aux éditions et traductions des œuvres de Spinoza, et surtout un enrichissement des index analytiques, déjà fort développés, par l’introduction de nombreuses nouvelles entrées. À travers un tel volume, remarquable instrument de travail, on perçoit l’écho de tout un engagement de recherche, attentif à proposer une véritable interprétation de l’œuvre de Spinoza.

Henri LAUX

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Pour citer cet article : Henri LAUX, « SPINOZA : Obras completas y biografias, par Atilano Dominguez, Madrid, Vive Libro, Segunda edición, 2018 », in Bulletin de bibliographie spinoziste XLI, Archives de Philosophie, tome 82/4, octobre-décembre 2019, p. 853-890.

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Raphaële ANDRAULT & Mogens LAERKE (ed.) : Steno and the Philosophers, Leiden, Brill, 291 p.

Ce volume intéresse tout particulièrement les lecteurs spinozistes car la correspondance de Spinoza intègre depuis 1921 une « lettre ouverte » de Niels Stensen (1638-1686) – Steno dans la forme latinisée du nom – adressée « Au Réformateur de la Nouvelle Philosophie à propos de la Vraie Philosophie », lettre qui comporte de claires allusions au Traité théologico-politique. Publiée en 1675 (numérotée 67A chez Gebhardt et dans la plupart des éditions modernes), celle-ci est écrite en 1671 (et pour cela numérotée 43A dans l’édition française de M. Rovere).

Le projet de l’ouvrage est d’offrir un parcours dans l’histoire et l’œuvre du savant danois. Steno compte tout particulièrement dans le domaine de l’anatomie, de la paléontologie et de la géologie ; il joue un rôle important dans les réseaux intellectuels parmi les philosophes de la nature. Luthérien converti au catholicisme en 1667, devenu évêque à la fin de sa vie, il mène une réflexion dont les enjeux sont au croisement de la science et de la pensée religieuse. Les quatre parties du livre traitent donc successivement : « De la philosophie de la nature à la théologie » ; « Anatomie et métaphysique : Steno et le Cartésianisme » ; « L’histoire naturelle de la terre » ; « Steno à la Cour des Médicis ». Dans leur diversité, les contributions soulignent la complexité des rapports entre science et théologie, notamment dans un contexte politique marqué par d’intenses luttes confessionnelles.

Les contributions ici réunies permettent d’enrichir la connaissance du milieu intellectuel qui était celui de Spinoza. La rencontre de Steno et de Spinoza date de 1661-1662 à Leyde, foyer d’intense activité en médecine et en philosophie, où tout un groupe inspiré par Descartes (dont Hudde, autre correspondant de Spinoza) se rencontre autour des recherches menées en anatomie à l’aide de techniques nouvelles, optiques notamment avec le microscope ; Spinoza lui-même assiste à des dissections du cerveau pratiquées sur des animaux. Les deux hommes partagent un intérêt pour ce qui touche à la connaissance de la nature, mais Steno va rapidement estimer que la conception spinoziste entraîne des conséquences nuisibles pour la foi (le statut du Christ, le statut des Écritures notamment). C’est ainsi que dans la lettre évoquée plus haut, il incite Spinoza, dans un style très apologétique, à se convertir au catholicisme, à mettre ses talents au service de la vraie religion en devenant l’Augustin des temps modernes. Le « zèle » ira plus loin : prenant acte de leur désaccord, Steno voudra se libérer de Spinoza, dont il avait pourtant été l’ami, et le dénoncera au Saint Office dans une lettre accompagnée d’une copie d’un manuscrit de l’Éthique. Dans ses Essais de théodicée Leibniz reprochera d’ailleurs à Steno une compréhension trop rigide du rapport de la science et de la foi, marquée de fidéisme. Les chapitres qui se rapportent le plus directement à Spinoza sont ceux d’Eric Jorink, « Modus politicus vivendi : Nicolaus Steno and the Dutch (Swammerdam, Spinoza and Other Friends), 1660-1664 » (p. 13-44) et de Pina Totaro « Steno in Italy : From Florence to Rome » (p. 270-287), mais on aura saisi que, sur ces questions disputées, l’ensemble de l’ouvrage offre un témoignage particulièrement significatif d’un aspect central de la crise du cartésianisme en ces années.

Henri LAUX

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Pour citer cet article : Henri LAUX, « Raphaële ANDRAULT & Mogens LAERKE (ed.) : Steno and the Philosophers, Leiden, Brill, 2018 », in Bulletin de bibliographie spinoziste XLI, Archives de Philosophie, tome 82/4, octobre-décembre 2019, p. 853-890.

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