Auteur : Ilaria Ferrara
Marco IVALDO, Sul Male. Kant, Fichte, Schelling, Hegel, Pisa, ETS, 2021, 136 p.
L’effort de ceux qui, aujourd’hui, proposent une reconstruction herméneutique de la question du mal peut-il encore offrir des inspirations théoriques significatives malgré la mort de Dieu et la fin de toute théodicée ? C’est le défi que relève Marco Ivaldo, qui comprend la philosophie comme une interprétation de l’expérience religieuse devant faire émerger et rendre universels les éléments de portée existentielle qui y sont présents.
Le développement se noue à travers l’analyse de certains textes de la tradition philosophique allemande. Si, dans les Leçons sur la théorie philosophique de la religion, Kant comprend le mal comme une limitation et une négation du bien, et, dans l’opuscule Sur l’échec de tout essai philosophique en matière de théodicée, comme ce qui s’oppose à la fin de la suprême sagesse divine, La Religion dans les limites de la simple raison, en revanche, donne une explication du mal qui opte pour une perspective radicalement anthropologique. Le mal, considéré dans sa relation spécifique à la liberté humaine, est ce principe qui se phénoménalise dans la conscience à travers la violation consciente de la règle morale.
Passant au Système de l’éthique de Fichte, l’auteur explique la possibilité du mal par l’obscurcissement de la conscience, qui permet à la réflexion de faire abstraction de la règle morale. Il montre en outre que, pour Fichte, le mal est la vis inertiae qui entrave l’agir, rendant possible une liberté entièrement égoïste. Dans les Recherches de 1809, Schelling explique lui aussi le mal comme une inversion entre les principes, en s’appuyant sur des traditions théosophiques et alchimiques. Le mal humain est lié au fondement abyssal divin, comme une subversion entre Wesen et Grund, elle-même rendue possible par la personnalité de l’homme, qui peut s’isoler et construire une unité illusoire.
M. Ivaldo consacre de longues pages à la réflexion hégélienne sur le thème du mal, à partir des § 139 et 140 des Principes de la philosophie du droit. La subjectivité hégélienne, quand elle est vide et sans contenu, est la possibilité soit d’ériger en principe ce qui est universel en et pour soi, soit au contraire de subordonner l’universel à l’arbitraire. Le mal absolu est l’hypocrisie, c’est-à-dire la conscience de soi dans sa vanité, qui dans son intériorité maintient sa particularité propre et suspend tout lien possible et toute forme de relation objective et communautaire.
Enfin, la lecture que propose Ricœur de la Phénoménologie hégélienne, moyennant la figure du pardon, offre à Marco Ivaldo une clé de lecture de cette « libération de la conscience mauvaise et de la reconnaissance réciproque des consciences comme consciences moralement faillibles ». La réflexion sur le thème de la reconnaissance s’étend également à une considération plus large du modèle traditionnel de la rationalité et de la responsabilité. L’auteur approfondit ici le concept d’altérité et tire parti de la pensée fichtéenne, moyennant une réinterprétation de ce qui se donne comme un choc [Anstoß], qui nous sollicite à l’attention réflexive à l’autre. C’est précisément à partir d’une réinterprétation de toutes ces modalités à travers lesquelles l’humain se rapporte à l’altérité – en maîtrisant par exemple des techniques médicales, en définissant l’émergence de pathologies et en délimitant le cadre des soins possibles, ce qui témoigne des fragilités de l’individu – que prend sens une interrogation sur le mal et sur la vie, qui, à partir des catastrophes globales toujours en cours, est peut-être rendue encore plus nue et plus exposée.
Ilaria FERRARA (Istituto Italiano per gli Studi Filosofici) [trad. J.-M. Buée]
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Pour citer cet article : Marco IVALDO, Sul Male. Kant, Fichte, Schelling, Hegel, Pisa, ETS, 2021, 136 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXII, Archives de philosophie, tome 85/4, Octobre-Décembre 2022, p. 167-204.