Auteur : Jean-Michel Buée
Corrado Bertani, L’Enorme sproporzione. La filosofia del diritto nella scuola hegeliana (1821-1846), Milano, Franco Angeli, 2023, 369 p.
Le titre de l’ouvrage de Corrado Bertani (désormais C. B.) fait allusion à une phrase d’Eduard Gans qui, dans sa Préface de 1833 à la réédition des Principes de la philosophie du droit, déplore « l’énorme disproportion » entre la valeur de l’œuvre de Hegel et le peu d’écho qu’elle a trouvé chez les juristes allemands, qui lui préfèrent le point de vue « positiviste » de Friedrich Carl von Savigny et de l’école historique. Le problème n’est pas d’expliquer cet « échec » – les circonstances politiques, qui vont se traduire par l’accession au trône de Frédéric-Guillaume IV en 1840, suffisent à montrer le rôle dominant d’un conservatisme peu compatible avec les propositions de réforme et de modernisation de l’État du texte de 1821 – mais plutôt de se demander s’il est légitime de prétendre, comme les disciples de Savigny, que les publications de l’école hégélienne et de tous ceux qui se sont inspirés de la Philosophie du droit n’ont été que de pures spéculations, sans intérêt sur le plan juridique, qui se contentaient de répéter les thèses du maître.
C. B. s’efforce de détruire cette vue caricaturale au moyen d’une analyse très minutieuse des ouvrages qui, de 1820 à 1840, ont revendiqué, explicitement ou non, l’héritage de la conception hégélienne du droit. Il s’attarde en particulier sur les deux figures majeures que sont Gans et Karl Ludwig Michelet ; comme on le sait, le premier est le disciple le plus connu de Hegel qui entend, lui aussi, sortir des limites étroites de la science juridique en mettant l’accent sur l’État et sur l’unité de la liberté subjective et de la liberté objective qui atteste de son caractère raisonnable. Gans était ainsi conduit à se préoccuper de la Weltgeschichte, mais il le fait en allant au-delà de Hegel : son ouvrage sur le droit successoral esquisse une véritable histoire du droit, tandis que son texte sur le droit romain offre une présentation systématique de celui-ci qui montre qu’on ne saurait le réduire à sa seule signification historique. Quant à Michelet, s’il est un disciple fidèle de Hegel, il ne reprend sa conception de la justice et de l’État qu’en y introduisant des éléments aristotéliciens qui en éclairent le sens. Les autres auteurs évoqués dans la première partie ont produit, du vivant même de Hegel, des textes qui se rapportent de différentes façons à l’ouvrage de 1821 : rappel de la nécessité d’une justification philosophique du droit positif (Leopold von Henning, Friedrich H. von der Hagen, Julius F. H. Abegg, Karl Ernst Jarcke), arguments visant à réfuter la thèse de Savigny sur l’inutilité d’une codification (Karl F. Sietze), refondation d’une théorie de la propriété et de la peine (von der Hagen, Besser), ou encore, comme chez « Saling » (pseudonyme de Joseph Salomon), lecture « religieuse » qui témoigne d’une curiosité des milieux juifs non assimilés pour la pensée de Hegel.
La seconde partie de l’ouvrage, consacrée aux écrits publiés entre 1831 et 1840, insiste surtout sur la distance par rapport à Hegel qui s’y fait jour : Karl F. Göschel infléchit le propos de la Philosophie du droit dans le sens d’un conservatisme politique et d’une fidélité à l’orthodoxie chrétienne, et il affirme qu’il y a concordance entre le système du droit hégélien et le Landrecht prussien ; Wilhelm von Meysenbug polémique contre Savigny, mais le rôle qu’il assigne à la philosophie est de protéger le droit contre l’arbitraire de l’opinion plus que de réellement le fonder ; enfin, dans son exposition du droit privé, Friedrich Bitzer adopte une terminologie hégélienne, mais dans le cadre d’un développement inspiré de Fichte et de Schelling davantage que de Hegel lui-même. C. B. en conclut que, loin d’avoir simplement répété les thèses de leur maître, les « hégéliens » ont déployé des stratégies diverses contre l’école historique qui laissent entrevoir la possibilité d’un nouveau rapport entre philosophie et droit positif, où la philosophie, cessant de se penser comme science première et vivant au sein des disciplines positives elles-mêmes, parviendrait à instaurer une alliance avec les juristes, dès lors que ceux-ci consentent à ne plus regarder le recours à la spéculation comme une sorte de « mal absolu ».
Jean-Michel Buée (IHRIM, Lyon)
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Pour citer cet article : Corrado Bertani, L’Enorme sproporzione. La filosofia del diritto nella scuola hegeliana (1821-1846), Milano, Franco Angeli, 2023, 369 p., in Bulletin hégélien XXXIV, Archives de philosophie, tome 87/4, Octobre-Décembre 2024, p. 155-192.
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Alain Deligne, L’itinéraire philosophique du jeune Eric Weil. Hambourg – Berlin – Paris, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2022
Comme on le sait, la Logique de la philosophie (désormais LP) a donné lieu, dès sa publication en 1950, à un certain nombre de malentendus que les œuvres postérieures n’ont pas réussi à dissiper entièrement : pour beaucoup, la pensée weilienne est demeurée ce qu’elle était aux yeux de Jean Wahl ou de Maurice Merleau-Ponty, une « Phénoménologie de l’Esprit 1950 », ou une nouvelle version du « savoir absolu » hégélien. Les choses auraient-elles été différentes si la formation allemande du jeune Weil, et l’itinéraire philosophique qu’elle laisse apparaître, avaient été mieux connus ? C’est en tout cas pour combler ce manque qu’Alain Deligne (désormais A. D.), qui avait déjà édité en 2007 le manuscrit d’un travail préparatoire pour un projet inabouti de la Bibliothèque Aby-Warburg , publie un ouvrage imposant intitulé L’Itinéraire philosophique du jeune Eric Weil. Hambourg – Berlin – Paris. Étude minutieuse et rigoureuse, qui, en alliant une grande érudition à une excellente connaissance de l’œuvre du Weil de la maturité s’appuie sur les documents légués à l’Institut Weil de Lille pour reconstituer ce que furent la formation et le parcours universitaire de Weil, depuis ses études secondaires au lycée de Parchim, où il obtint son baccalauréat en 1922, jusqu’à son émigration en France en 1933, en passant par ses études universitaires, poursuivies à Hambourg et à Berlin. L’ouvrage se compose de deux parties : une « Introduction » (p. 23-242) qui retrace de façon très détaillée l’itinéraire qui amène le lycéen à entreprendre des études de médecine en 1922 à Hambourg, puis à les abandonner rapidement, pour s’inscrire à la Faculté de philosophie de Hambourg où il va suivre, de 1923 à 1927, ainsi qu’à Berlin en 1924 et 1925, outre des enseignements de philosophie, un certain nombre de cours et de séminaires de philologie germanique, d’histoire de l’art et de mathématiques jusqu’à la soutenance en 1928 de sa dissertation doctorale Des Pietro Pomponazzi Lehre von dem Menschen und der Welt, préparée sous la direction d’Ernst Cassirer. A. D. a complété ce tableau par la présentation de quelques travaux postdoctoraux réalisés à Berlin, où Weil était devenu depuis 1930 le secrétaire personnel de son professeur de philosophie, Max Dessoir (une conférence sur la place du beau chez Plotin, la recension d’un ouvrage de Rudolf Odebrecht sur l’esthétique de Schleiermacher et celle du livre de Gerhard Krüger sur Kant) et des premiers textes français (De l’intérêt que l’on prend à l’histoire en 1934-1935, ainsi qu’un article de 1935 ou 1936 demeuré inédit sur « Hegel et la littérature » qui est en fait un commentaire du passage de la Phénoménologie de l’esprit consacré au « règne animal de l’esprit », vraisemblablement destiné à être discuté dans le cadre du séminaire sur Hegel d’Alexandre Kojève à l’École pratique des hautes études).
Quant à la seconde partie de l’ouvrage (p. 243-791), elle consiste en une « anthologie » composée de vingt et un textes, présentés dans leur version originale allemande, suivie de leur traduction française par A. D., qui les introduit en donnant en chaque cas des précisions sur le contexte de leur rédaction, précisions sans lesquelles certains de ces textes, parfois demeurés à l’état de notes, ou très elliptiques, seraient incompréhensibles pour le lecteur.
À considérer les résultats de ce travail remarquable, ce qui frappe d’abord, outre le fait que Hegel n’a joué pratiquement aucun rôle dans la formation philosophique de Weil – le premier texte qui lui est consacré date de 1931, et constitue l’annonce radiophonique d’une conférence à venir de Max Dessoir sur « la personnalité de Hegel », même si Weil y fait allusion au caractère central de la thématique de la « venue de l’esprit à soi-même » – c’est la multiplicité et la variété des centres d’intérêt du jeune étudiant : médecine, sciences de la nature, mathématiques, littérature germanique, littératures antiques, recherches sur l’astrologie et l’occultisme, culture de la Renaissance et réflexion sur l’esthétique, sans oublier, naturellement, l’histoire de la philosophie antique et moderne, tout semble matière à interrogation, à réflexion, à recherche pour un esprit qui refuse de s’enfermer dans un champ spécialisé – c’est d’ailleurs l’une des raisons qui lui ont fait abandonner au bout de deux semestres les études de médecine, jugées trop « objectivantes » et trop éloignées de la relation humaine avec le patient qu’exige la pratique médicale. Qu’il ne s’agisse pas là de dispersion, ou de curiosité superficielle, on s’en convaincra aisément en lisant les exposés présentés lors de différents séminaires universitaires. Ainsi, en 1926, dans le cadre du séminaire d’Emil Artin, son professeur de mathématiques à Hambourg, Weil traite-t-il de « Logique mathématique et logique des mathématiques » : non seulement il n’ignore rien des travaux relatifs à une arithmétisation complète des mathématiques, mais il les discute en soulignant qu’au-delà de la querelle entre les partisans d’une théorie cardinale du nombre et ceux d’une théorie ordinale, il importe contre toute perspective empiriste ou psychologisante de concevoir le nombre comme un produit de la pensée, et de distinguer la tâche d’une fondation logique des mathématiques relevant d’une réflexion « transcendantale » de celle d’une fondation proprement mathématique qui incombe aux mathématiciens eux-mêmes (IT, p. 439-452). À l’évidence, le haut niveau scientifique de ce discours, que confirment d’autres textes (un article d’encyclopédie de 1932 sur Isaac Newton, la recension, la même année, d’un livre de Walter Dubislav sur « la philosophie mathématique actuelle »), explique en partie, outre un intérêt commun pour la pensée magique et l’occultisme, qu’en France se soit rapidement instauré un lien avec Alexandre Koyré, qui joua en quelque sorte pour Weil, dit A. D., « un rôle de “mentor spirituel” équivalent à celui tenu par Cassirer en Allemagne » (IT, p. 225)
On retrouve le même souci de précision et de questionnement rigoureux dans le domaine philologique : un exposé sur le poème de Goethe, « La fiancée de Corinthe », réalisé en 1924 chez le professeur de littérature allemande Julius Petersen, s’appuie sur l’ensemble de la littérature secondaire disponible et s’efforce de mettre en relief la distance de Goethe à l’égard du christianisme, au nom d’une vision du monde inspirée par le paganisme antique ; un autre exposé, de la même époque, sur la catharsis aristotélicienne, préparé, là aussi, sous la direction de J. Petersen, discute l’interprétation morale de Gotthold E. Lessing ainsi que l’interprétation « médicale » d’Edward Bernays, avant d’élargir le propos à la question de la place de la catharsis au sein de l’esthétique moderne. Parmi ces travaux universitaires, peut-être faut-il faire une place à part à un exposé du semestre d’été 1925, présenté chez Albert Görland, l’un des professeurs de philosophie de Hambourg, sur « la critique kantienne de la faculté de juger téléologique et l’idée de fin dans le système aristotélicien » ; on y voit en effet apparaître, implicitement, ce qui sera l’une des interrogations constantes de Weil : dans une modernité où, depuis Newton, la science de la nature est devenue une science mécaniste, peut-on encore concevoir un concept de finalité « rationnel » et non « dogmatique » et retrouver ainsi une sorte d’équivalent du Cosmos aristotélicien, au sein duquel l’être fini et raisonnable qu’est l’homme peut donner une orientation concrète à sa vie ?
Si l’on replace cet intérêt pour Aristote dans le cadre culturel au sein duquel évolue Weil à la fin de ses études universitaires – celui de la Bibliothèque Warburg – dont l’une des visées était d’étudier et de problématiser la « survivance » qu’assurait la Renaissance à l’Antiquité en rapportant « l’histoire de l’art, l’histoire des mythes et des religions, l’histoire des langues et des cultures […] les unes aux autres et toutes ensemble à un idéal point central », si l’on ajoute l’influence de Cassirer lui-même, dont Individu et Cosmos dans la philosophie de la Renaissance allait paraître en 1927, on comprend que Weil se soit tourné pour son doctorat vers la pensée de la Renaissance italienne, en étudiant l’œuvre de Pietro Pomponazzi. Comme le note Cassirer dans son rapport de thèse, on pourrait s’étonner de ce choix : la doctrine de Pomponazzi ne semble-t-elle pas extérieure « au grand mouvement de la philosophie de la Renaissance, telle qu’elle est caractérisée par des hommes comme Nicolas de Cuse, Marcile Ficin ou Pic de la Mirandole » ? « Sa problématique, son argumentation, son style » ne s’inscrivent-ils pas « dans la philosophie scolastique » ? (IT, p. 250). Or le mérite de Weil est précisément de montrer que, sous le langage traditionnel, se découvre une orientation nouvelle : ce que Pomponazzi met au centre de sa pensée, c’est la question de la place de l’homme au sein du Cosmos, ainsi que celle de l’autonomie de la morale dans la vie de l’homme ordinaire, même s’il ne parvient pas à penser une véritable conciliation entre l’ordre nécessaire d’une nature, soumise au déterminisme astral et la volonté libre de l’individu. En tout cas, Pomponazzi a eu « l’intuition que l’humanité est le sens du monde, mais que ce point central ne peut se soutenir que par la moralité de l’individu » ; ce qui rend sa pensée plus intéressante que celle de Pic de la Mirandole qui proclame, lui, la liberté et la dignité de l’homme, mais sur le mode d’un pathos où s’exprime, certes, « un renouvellement du sentiment de la vie », mais qui s’accompagne d’une cécité quant au fait que, développé conceptuellement dans ses conséquences ultimes, un tel sentiment en viendrait à faire éclater le Cosmos et l’affirmation de la transcendance de Dieu, qui importent plus que tout aux yeux de Pic. Approche originale de la pensée de la Renaissance italienne, que l’on retrouve dans les textes sur Ficin, Telesio ou Campanella : ainsi, dans sa recension du livre de Walter Dress, Die Mystik des Marsilio Ficino, Weil reproche-t-il à l’auteur de ne pas prendre en compte l’écrit De vita triplici, et de s’interdire par là de voir que Ficin est d’abord un « mystique du Cosmos » que le problème de Dieu n’intéresse qu’en second lieu, et qui est surtout préoccupé par l’homme dans le monde, l’homme concret, qu’il propose de soigner à l’aide de divers remèdes fondés sur l’astrologie et la magie. En mettant l’accent sur la place centrale de l’homme et de son existence concrète chez les penseurs de la Renaissance, en montrant qu’ils soulèvent tous, d’une façon ou d’une autre, la question de la liberté de la volonté au sein d’un Cosmos conçu comme un ordre régi par la nécessité, il est clair que Weil suit Cassirer et adopte un regard « kantien » qui tente de discerner dans ce qui lie ces discours aux références antiques (aristotéliciennes, stoïciennes, platoniciennes) et chrétiennes qu’ils invoquent, mais aussi dans ce qui les en distingue, une première émergence, encore confuse, de ce qui sera le problème central de la philosophie critique. Mais il est tout aussi clair qu’à travers l’entrecroisement et la superposition des différentes couches de sens, parfois contradictoires, qui caractérisent ces « visions du monde », où le langage le plus traditionnel peut exprimer des idées modernes, tandis qu’à l’inverse l’expression d’un sentiment moderne peut être recouverte par telle ou telle forme traditionnelle de christianisme, sont à l’œuvre ce que la LP nommera plus tard des « reprises », dans lesquelles une nouvelle attitude à l’égard du monde ne saisit son sens qu’en « reprenant » un discours dont, sur le plan de l’histoire concrète, elle constitue pourtant le dépassement.
Chez Weil, l’étude de la Renaissance italienne suscite un intérêt pour l’astrologie et l’occultisme en général qui va bien au-delà de leur rôle historique : les articles de 1931 « contre l’occultisme », et « notre superstition quotidienne » (IT, p. 523), les recensions consacrées en 1932 à un livre de Friedrich von Gagern (IT, p. 661) et à l’œuvre de Justinus Kerner (IT, p. 667) s’interrogent en effet sur le fait que persistent ou resurgissent, souvent à notre insu, des croyances ou des comportements qui, au regard de la rationalité scientifique et de la forme de vie sociale qui en découle, semblent relever d’une simple superstition. Sur ces questions, Weil, dont la position relève clairement du rationalisme, n’adopte pas pour autant ni une attitude « scientiste » ni une attitude « positiviste » qui renverrait les tenants de l’occultisme aux ténèbres du non-sens. Il est impératif d’exiger de ceux qui invoquent des expériences « parapsychologiques » qu’ils exhibent des preuves sérieuses, au lieu de céder à la naïveté d’un von Gagern ; mais il est tout aussi essentiel d’avoir conscience que l’on « en a un peu rabattu de l’orgueil des Lumières des XVIIIe et XIXe siècles » (IT, p. 530) ; aussi convient-il de porter un autre regard sur ce que l’on qualifie un peu vite de superstition : il s’agit en réalité d’un type de pensée qui obéit à une logique différente de la nôtre, et que l’on peut qualifier, avec Cassirer, de « pensée mythique » qui survit en nous, dans des comportements courants (par exemple le fait de mettre la main devant la bouche lorsque l’on baille, geste qui à l’origine visait à empêcher qu’un esprit entre en nous), et où se donne à voir « la survivance souterraine d’une pensée qui, dans notre culture, qui est une culture de l’entendement, n’a pas droit à l’existence et qui cependant resurgit de temps à autre avec la force de l’inné » (IT, p. 531). Autrement dit, il y a bien une rupture entre la pensée scientifique moderne et les croyances magiques que celle-ci tient pour irrationnelles, mais ce n’est pas une rupture absolue : il y a du sens dans ce qui, de prime abord, paraît absurde à l’homme moderne, et de ce point de vue, comme l’avait d’ailleurs compris Aby Warburg en faisant de ce principe le fondement de l’architecture de la salle de lecture de sa bibliothèque, « l’opposition entre la raison et son autre » n’est pas « le tranchant d’une coupure », mais « une distribution en dégradé de l’entremêlement des opposés, exclusifs l’un de l’autre seulement à l’extrême limite ».
Rien ne serait plus erroné que de conclure de ces recherches que Weil, absorbé par l’étude de la Renaissance italienne, éprouve une indifférence totale à l’égard de son environnement social et politique. […]
Jean-Michel Buée (IHRIM Lyon)
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Pour citer cette note de lecture : Alain Deligne, L’itinéraire philosophique du jeune Eric Weil. Hambourg – Berlin – Paris, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2022, in Note de lecture, Archives de philosophie, tome 87/2, Avril-Juin 2024, p. 181-188.
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Peter ESCHWEILER, Hegels Ägypten. Die Sphinx und der Geist in der Geschichte, Paderborn, Fink, 2022, 243 p.
Cet ouvrage, que son auteur présente comme une « excursion », invite le lecteur à suivre les pérégrinations de Hegel à travers l’Égypte ancienne. Après avoir rappelé le contexte historique dans lequel s’inscrit un propos qui, dans le sillage de Herder, ne se contente plus de simples allusions à la civilisation égyptienne, comme c’est encore le cas chez Goethe, Kant, Schiller ou Novalis, P. Eschweiler évoque d’abord le problème que pose l’existence de multiples textes, dispersés entre la Phénoménologie et les diverses Leçons de Berlin. Problème qu’il résout en répartissant les « matériaux » utilisés par Hegel en trois domaines : l’histoire, la religion et l’art, et en justifiant, curieusement, cette tripartition par une référence à l’écrit de 1797 sur « le plus ancien programme de système », sans se demander si le point de vue du Hegel de Francfort, à supposer qu’il soit bien l’auteur de ce texte, reste celui qui sous-tend les leçons berlinoises.
Quoi qu’il en soit, la seconde partie du livre aborde tous les thèmes essentiels de l’« égyptologie » hégélienne : importance du Nil, rapport à la mort et à l’immortalité, pratiques magiques, vénération des animaux, rôle fondamental d’Isis et d’Osiris, signification des sphinx, des pyramides ou des hiéroglyphes. Partout se retrouve une même idée, qui est en quelque sorte la clé de la lecture hégélienne : qu’il s’agisse de sa situation géographique, de ses monuments ou de sa religion, l’Égypte est le pays de l’« entre-deux », où l’esprit, en partie libéré de la dépendance à la nature qui caractérisait la Chine, l’Inde ou la Perse, lutte pour accéder à la conscience de sa liberté, sans jamais réellement y parvenir, comme ce sera le cas en Grèce. D’où un mélange constant entre des éléments naturels et spirituels, qui constitue l’aspect proprement énigmatique de la civilisation égyptienne. Hegel peut ainsi affirmer que l’Égypte tout entière est une énigme, non seulement pour nous, mais pour les Égyptiens eux-mêmes, ou encore qu’elle présente un réseau de symboles qui ne cessent de renvoyer les uns aux autres, en un jeu infini, dont la figure du Sphinx, ce « symbole même du symbolique » constitue, plus encore que l’écriture hiéroglyphique, l’expression suprême. Pour l’auteur, il n’y a pas là une simple erreur, due à des sources lacunaires, mais la conséquence d’un préjugé « gréco-centrique », et, plus fondamentalement d’une lecture « évolutionniste » qui voit en l’histoire un progrès linéaire.
D’où, dans la troisième partie, une volonté de relativiser la perspective hégélienne, à l’aide de références allusives, la plupart du temps purement doxographiques, à des auteurs contestant l’évolutionnisme (Dmitri Merejkowski, Léon Chestov, Eric Voegelin) ou qui, tout en s’accordant en partie avec Hegel, aboutissent à d’autres conclusions (Ernst Cassirer, Egon Friedell, Jacques Derrida, Peter Sloterdijk), ainsi qu’à des lecteurs de Hegel qui récusent totalement ou partiellement sa philosophie (Georges Bataille, László Földényi, Hans Ulrich Gumbrecht, Hans Joas). Outre la surprise que suscite telle ou telle remarque (ainsi, la référence p. 118 à un passage de la Phénoménologie, traduisant une confusion entre la conception de l’action propre à la figure de la conscience examinée – l’individualité en et pour soi réelle – et la conception de Hegel lui-même, ou encore, p. 65, la transposition à l’Égypte d’une représentation du sens des funérailles qui, dans la Phénoménologie, ne concerne que la cité grecque), on peut se demander si, au-delà de la philosophie de l’histoire hégélienne, ce n’est pas la philosophie elle-même, toujours plus ou moins soupçonnée de théoricisme abstrait, que l’auteur met en cause au nom du sérieux de la recherche de terrain et de l’observation empirique. À cet égard, la citation, à la page 191, de la Grammatologie de Derrida est révélatrice. Lorsque celui-ci qualifie Hegel de « dernier philosophe du livre et premier penseur de l’écriture », l’auteur voit là une confirmation de l’idée que la philosophie hégélienne, relève, comme l’Égypte, d’une « époque charnière », la Sattelzeit dont parle Koselleck, qui rompt peu à peu avec les certitudes anciennes pour s’ouvrir à des idées neuves (p. XVI). N’est-ce pas oublier que, si Derrida présente Hegel comme le dernier représentant d’une ontothéologie caractérisée par le primat du « logocentrisme », il dit aussi qu’au sein même de cette clôture logocentrique se laisse discerner la trace d’une autre pensée, plus complexe et plus énigmatique, mais qui reste une forme de pensée philosophique ? Ce qui revient à soutenir que demeure possible une discussion avec Hegel qui cherche, en le critiquant, à prolonger et à reformuler sa pensée, en faisant valoir ce qu’elle comporte de signifiant dans et pour notre monde. Qu’une telle discussion ait un style déconstructeur, ou qu’elle prenne d’autres formes, différentes ou opposées, elle atteste en tout cas que la possibilité d’une réponse philosophique aux besoins du temps n’est pas aussi épuisée que le suggère P. Eschweiler. La nécessaire prise en compte des discours scientifiques – ici, la philologie et l’archéologie – ne saurait conduire à présenter comme une évidence (par ex. p. 212) la « mauvaise » métaphysique d’entendement, pour parler comme Hegel, qui en fait les seuls discours valides sur ce qui est.
Jean-Michel BUÉE (Université de Lyon)
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Pour citer cet article : Peter ESCHWEILER, Hegels Ägypten. Die Sphinx und der Geist in der Geschichte, Paderborn, Fink, 2022, 243 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXIII, Archives de philosophie, tome 86/4, Octobre-Décembre 2023, p. 149-186.
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Romain DEBLUË, Hegel ou le Festin de Saturne, Paris, Beauchesne, 2019, 320 p.
L’ouvrage de Romain Debluë présente un bel exercice de synthèse, reprenant les points de convergence possibles et les difficultés rencontrées par la renaissance néothomiste du premier quart du XXe siècle face au rationalisme hégélien. C’est donc à l’aune de la reprise d’une théologie moderne que sont interprétés les rapports entre individualité et Absolu au sein de l’idéalisme allemand. La visée scolastique d’un accord entre révélation et raison, foi et compréhension intellectuelle, se trouve ainsi en prise avec sa propre exigence démonstrative, devant être fondée à partir des articles de foi. Bordée de part en part et parcourue par la sempiternelle « menace » d’une « hellénisation du christianisme » (confusion entre logos comme âme du monde et Incarnation), l’étude aboutit à un résultat assez déconcertant, le système hégélien y étant présenté comme à la fois « la philosophie la plus chrétienne qui se puisse concevoir » (p. 283), trouvant « d’insus fondements en la doctrine même de saint Thomas » (p. 181), et « forme extrême du péché » (p. 284), puisqu’érigeant la subjectivité en absolu dans « un monde où tout christianisme s’est enfui » (p. 283). Partant des « failles » (p. 78) du kantisme (Opus postumum et Critique de la faculté de juger), la pensée hégélienne est exposée en établissant en quoi elle s’en émancipe tout en y prenant appui, étant donné qu’« une telle transgression des interdits kantiens est rendue possible, au sein même de la pensée qui pose comme tels ces interdits » (p. 28). Ainsi, le système hégélien tout entier est une tentative de réaliser ce qui chez Kant demeure prohibé : la connaissance d’un inconditionné comme propre de l’entendement divin et celle du singulier. En opposition à l’Alleszermalmer de Königsberg, Hegel rétablirait la métaphysique à partir d’une ontologie de la subjectivité absolutisant le Moi = Moi fichtéen, dont Hölderlin contestait la prétention à l’identité dans le fragment Urtheil und Seyn. Accomplissant ainsi le projet des philosophies modernes du sujet en transgressant les « prudences épistémologiques » qui faisaient « reculer d’effroi » (p. 27) Kant, la démarche hégélienne relève cependant du plus parfait christianisme qui soit, en « cela qu’elle est tout entière tissée par le désir de rendre rationnellement compréhensible le rapport d’un Dieu parfait en soi à sa propre Création, et, à l’acmé de celle-ci, à sa propre incarnation » (p. 285). Reste que le lecteur ne peut se garder d’un certain scepticisme : Hegel connaissait le texte de Hölderlin, dont il reprend l’essentiel dans un fragment de Francfort connu sous le titre « Foi et Être ». Or cette reprise vise, comme chez Hölderlin, à contester la prétention fondatrice du Moi = Moi et par là, à répudier l’idéalisme subjectif qui sous-tendait les textes antérieurs. Est-il dès lors vraisemblable que par la suite, Hegel en revienne à Fichte et substitue à l’Être de Hölderlin un savoir absolu conçu comme une absolutisation du Moi = Moi ? De concert, peut-on réellement soutenir que le Dieu hégélien ne se rapporte à l’individu singulier que pour le consommer et l’engloutir, en effaçant toute altérité ? L’image de Saturne qui dévore ses enfants est présente chez Hegel lui-même (Encyclopédie, § 258, remarque), mais elle concerne le temps qui, on le sait, n’est pas le concept, mais seulement son être-là. Peut-on écarter ce statut empirique et cette extériorité ? N’est-ce pas diviniser le temps que de l’identifier purement et simplement au concept et au savoir absolu ? On se demande ainsi si l’intérêt de cette lecture n’est pas minoré par le prisme qu’elle s’impose, les exigences d’une dogmatique théologique particulière donnant lieu à un discours dramatique et régressif, tant dans ce qu’il retient pour fondamental du système hégélien que dans son exigence radicale de restauration philosophique du christianisme.
Jean-Michel BUÉE (Lyon) et Mariam Zovinar MAGARDITCHIAN (EPHE)
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Pour citer cet article : Romain DEBLUË, Hegel ou le Festin de Saturne, Paris, Beauchesne, 2019, 320 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXII, Archives de philosophie, tome 85/4, Octobre-Décembre 2022, p. 167-204.
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Klaus VIEWEG, Hegel : der Philosoph der Freiheit. Biographie, München, C. H. Beck, 2020, 824 p.
Le livre ne peut que susciter l’admiration, tant par la précision de ses informations que par son souci constant d’articuler la particularité, voire la singularité d’une existence dénuée de toute monotonie – ne serait-ce que par la variété des lieux et des fonctions qui la caractérisent – avec les mondes historiques qui en constituent l’« arrière-fond » (cf. la remarque au § 449 de l’Encyclopédie citée p. 779). En évitant les deux dangers inverses que sont le récit hagiographique et la vision mesquine du valet de chambre de la moralité (p. 29), Klaus Vieweg restitue le plus « objectivement » possible l’ambiance et le climat qui entourent Hegel tant à Tübingen que durant ses années de préceptorat à Berne ou Francfort ; il décrit minutieusement ses premières activités d’enseignement à Iéna, son travail de journaliste de la période de Bamberg, celui de recteur au lycée de Nuremberg avant d’en venir aux fonctions proprement universitaires de Heidelberg et de Berlin. En chaque cas, la biographie évite l’anecdotique pour se concentrer sur les cercles d’amis, les relations sociales et culturelles ou les divergences, en particulier politiques, qui ont influé de façon notable sur la pensée hégélienne, en contribuant à en infléchir le contenu, l’orientation ou la forme ; par exemple, en amenant les préoccupations initiales, centrées sur la recherche d’une nouvelle religion populaire, adéquate au monde moderne, à se transformer pour déboucher à Francfort sur une première élaboration systématique, avant de susciter à Iéna des projets de système qui, en renonçant au primat du religieux, font déjà signe vers les œuvres de la maturité. K. Vieweg montre ainsi de façon convaincante que l’admirateur de la Révolution française qu’était l’étudiant de Tübingen est demeuré jusqu’au bout, quoique sous des formes différentes, le philosophe de la liberté et de la raison qui n’a eu de cesse de combattre tant le sentimentalisme (Jacobi, Schleiermacher) que l’apologie réactionnaire du passé féodal (Savigny, Hugo, Haller, Fries et les corporations étudiantes ultranationalistes, antifrançaises et souvent violemment antisémites). À cet égard, l’« accomplissement du scepticisme » dans le savoir absolu que mène à bien le « livre fondamental de la liberté » (p. 304) qu’est la Phénoménologie est à entendre comme le chemin par lequel l’esprit se libère des dualismes de la conscience pour atteindre la vraie liberté, celle de la pensée devenue consciente de son infinité qui se retrouve elle-même dans l’autre de soi. De même, en dépassant l’immédiateté de l’être et la médiation de l’essence, pour mettre l’accent sur l’autodétermination du concept, la Science de la logique constitue « le pilier d’une conception moderne de la liberté » (p. 396). Reste que c’est la Philosophie du droit, publiée à Berlin, alors même que les décrets de Carlsbad ont instauré une censure stricte des activités intellectuelles, qui pose de manière concrète la question de la liberté comme question sociale et politique. Il faut tenir compte de cette situation, dit l’auteur, et lire le texte en quelque sorte « entre les lignes », comme l’avait vu Jacques D’Hondt (p. 31), pour en découvrir la signification véritable. Il apparaît alors qu’au-delà de formules surtout destinées à égarer les censeurs, il plaide pour la mise en place d’une politique sociale, à même de réduire l’écart gigantesque entre richesse et pauvreté qu’engendre le mécanisme du marché laissé à lui-même, et pour un rôle plus important du pouvoir législatif, depuis le niveau des « corporations » particulières que sont les communes jusqu’aux décisions proprement gouvernementales. Sur ce point, qui peut étonner, Klaus Vieweg suit les analyses de Dieter Henrich et montre que Hegel s’est écarté délibérément de sa propre théorie logique du syllogisme, pour laisser entendre au lecteur averti que c’est l’universel, ou la volonté universelle, qui, en médiatisant les moments du particulier (le gouvernement) et du singulier (le monarque), confère à l’élément démocratique ou républicain un rôle central dans la conception de l’État. La fin du livre évoque, outre les trois éditions de l’Encyclopédie, la fonction de l’art dans le monde moderne : il est difficile d’attribuer à un homme, dont la participation à la vie culturelle et artistique berlinoise est notable (fréquentation assidue des théâtres, de l’opéra, relations personnelles nouées avec des acteurs, des musiciens, des cantatrices célèbres) la thèse d’une mort de l’art : la « fin de l’art » signifie que dans le monde moderne, celui-ci, libéré de toute tutelle religieuse et politique, peut se consacrer à la présentation de l’humain dans la multiplicité de ses formes. Soulignons, pour finir, que ces quelques remarques ne donnent qu’une idée vague et appauvrie d’un ouvrage que sa richesse et sa pertinence destinent à être l’une des références obligées pour tout chercheur qui traite de l’évolution de Hegel ou qui se soucie de replacer tel ou tel propos hégélien dans le contexte précis des controverses et des préoccupations de l’époque dans laquelle il est énoncé.
Jean-Michel BUÉE (Université de Lyon)
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Pour citer cet article : Klaus VIEWEG, Hegel : der Philosoph der Freiheit. Biographie, München, C. H. Beck, 2020, 824 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXI, Archives de philosophie, tome 84/4, Octobre-Décembre 2021, p. 141-180.</p
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Gwendoline JARCZYK, La Contingence dans sa finitude fondatrice dans la Science de la logique de Hegel, Paris, Kimé, 2020, 124 p.
Pour surprenant qu’il paraisse, le titre choisi par Gwendoline Jarczyk ne vise pas à affirmer que la contingence et la finitude seraient le fondement de la Science de la logique. Elle rappelle d’ailleurs, d’emblée, que l’immanence de son développement implique le refus de toute intervention étrangère, ou arbitraire, relevant d’une contingence extérieure. Mais cela implique-t-il qu’il ne soit jamais question de contingence au sein de ce développement ? Lorsqu’il écrit que le contingent a pour sens de tomber et de se sursumer en faisant retour dans ce qui le fonde, lorsqu’il précise que le « non-être du fini est l’être de l’absolu » (p. 25), Hegel n’indique-t-il pas le contraire ? Ne renvoie-t-il pas à un concept de la contingence, à une contingence proprement logique, qui joue un rôle majeur dans l’ensemble du texte ? Pour l’autrice, les analyses décisives sont ici celles que la logique objective consacre au « passage » de la nécessité à la liberté. Lorsqu’elle affirme que c’est la « nécessité elle-même qui se détermine comme contingence » (p. 43), la Science de la logique souligne en effet que « la nécessité absolue […], loin de correspondre à quelque sommet, aboutissement marqué de fixité, n’est telle, absolue, précisément, qu’en s’affirmant contingence » (p. 42), au sens où le savoir absolu de la fin de la Phénoménologie n’est, lui aussi, ce qu’il est qu’en produisant son autre radical. Autrement dit, l’advenir de la nécessité à la liberté du concept est tout autant un advenir de la contingence (p. 45), qui, dès lors, « ne saurait être pensée comme un élément épisodique propre à telle époque du développement de la science […]. Intérieure à ce même développement, elle en est constitutive » (p. 53). Le début de la doctrine du concept en offre la confirmation, en présentant les développements du jugement et du syllogisme selon une gradation qui part d’un rapport extérieur, où la contingence est seule à décider de l’attribution d’un prédicat à un sujet, pour aboutir à une tout autre organisation, par exemple dans le syllogisme catégorique, où la contingence est « tombée » puisque le moyen terme et les extrêmes ont cessé d’être des « qualités » ou des « propriétés » quelconques. Distance vis-à-vis de la contingence qui n’est pas à entendre cependant comme une disparition : ainsi le monde ne peut-il pas être reconnu comme concept tant que le sujet tient son objectivité pour un pur néant ; encore une fois, c’est seulement en s’extériorisant dans la forme de « l’événement contingent libre » que l’esprit se sachant lui-même, à la fin du parcours phénoménologique, parvient véritablement à lui-même (p. 62). Il est clair que, dans ce parcours où l’homme ne se libère de la contingence que pour s’y confronter toujours de nouveau, la négation de la contingence ne peut consister à s’en détourner : c’est au contraire par un acquiescement, ou une sorte d’apprivoisement du donné immédiat, qui s’efforce de lui ôter son étrangeté que l’être fini peut, « en prenant vraiment en charge le monde tel qu’il est » y discerner le possible pour le rendre réel (p. 89) et y inscrire concrètement sa liberté, dans la conscience d’une « dépendance par rapport à la fragilité de ce qui est et pourrait ne pas être », et moyennant un « dessaisissement aux multiples visages qui, dans la contingence, habite toute vie en voie d’humanisation » (p. 95). C’est au fond cette reconnaissance de la finitude que vise Hegel en insistant sur le nécessaire « sacrifice » du savoir absolu, ou sur la « déprise de soi » de l’Idée absolue, qui se libère de son enfermement dans l’unilatéralité subjective pour s’extérioriser comme nature. De ce point de vue, G. Jarczyk peut comparer le statut de la contingence logique à celui de la vie, dont Hegel précise qu’en tant que vie logique, elle n’est ni vie naturelle, ni vie spirituelle (p. 112). Ce qui rappelle que, telle l’idée immédiate qu’est la vie, la logique existe d’abord sur un mode naturel dans la langue, c’est-à-dire dans la contingence des lieux, des temps et des personnes (p. 113). C’est en se libérant de cette contingence, dans la contingence même de la nature et de l’histoire, que l’esprit absolu peut être autre chose que « ce qui est solitaire dépourvu de vie » (p. 117), et se montrer en son infinité à l’être fini et contingent qu’est tout homme singulier.
Jean-Michel BUÉE (Université de Lyon)
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Pour citer cet article : Gwendoline JARCZYK, La Contingence dans sa finitude fondatrice dans la Science de la logique de Hegel, Paris, Kimé, 2020, 124 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXI, Archives de philosophie, tome 84/4, Octobre-Décembre 2021, p. 141-180.</p
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Gwendoline JARCZYK, Différence et unité. La partition du concept dans la logique de Hegel, Paris, Kimé, 2018, 163 p.
On ne peut qu’être frappé, à lire G. Jarczyk, par une écriture qui, tout en se tenant au plus près de la lettre du texte, ne cesse pourtant d’en briser la linéarité en rapprochant des passages issus de « lieux » distincts de la Science de la logique. Manière en quelque sorte de « vérifier » le propos hégélien : la différence est constitutive de la logique en son unité même ; ce qui interdit de voir en l’affirmation d’une telle unité un dire de simple répétition, ou encore le résultat d’un acte extérieur de séparer qui se contenterait d’éloigner de l’identité ce qui en est différent. À cet égard, comme l’indique le début de la doctrine de l’essence, en tant que rapport à soi de la négativité, l’identité est d’emblée différence, ou, ce qui revient au même, c’est dans la contradiction, ou dans le négatif, que réside pour Hegel le principe de tout automouvement. Aussi, loin de séparer entendement et raison, celui-ci célèbre-t-il au contraire la force infinie de l’entendement séparateur, en soulignant que la raison dialectique n’est que la face négative de la positivité du terme premier, le point simple du rapport négatif à soi, ou encore le rapport du différent comme tel à son différent, par lequel la contradiction se résout dans l’unité de l’immédiat devenu, où s’achève le cours de la méthode absolue. Écriture ponctuelle et cyclique à la fois d’un système de la totalité, qui n’est ni progrès à l’infini, ni totalité-somme, mais totalité-mouvement ou procès de négation médiatisante qui, en se déployant à la manière d’un cercle ou d’un cycle, va s’amplifiant et se complexifiant en un cercle de cercles. On comprend ainsi que dans le passage de la substance au concept auquel conduit le périple de la logique objective, l’unité ne se donne à connaître que comme une unité marquée de duellité : partition du concept qui, à travers le jugement, puis le syllogisme, perd son caractère formel, pour s’accomplir, moyennant les dialectiques de l’objectivité, comme l’Idée, où sujet et objet ne culminent en leur unité et n’affirment leur inséparabilité qu’en demeurant en même temps différents. G. Jarczyk peut alors, dans un dernier chapitre, mettre l’accent sur l’idée que le concept, entendu comme ce qu’il y a d’intelligible dans les choses, n’est tel que parce qu’en son universalité même, il est toujours concept déterminé, capable de se façonner en engendrant à partir de soi l’objectivité qui s’est abîmée en lui. En ce sens, « il n’est d’unité que de différents […] à la fois identiques et différents » (p. 157) ; en sorte que toute tentative d’assimiler la logique hégélienne à « quelque entreprise de réduction de la différence au profit d’une unité une serait finalement convaincue d’impuissance par la force même d’un texte » (p. 158) dont ce livre s’attache à restituer les harmoniques sans cesse renouvelées, tel un musicien soucieux de conférer sa vie singulière à la partition qu’il interprète.
Jean-Michel BUÉE (Lyon)
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Pour citer cet article : Jean-Michel BUÉE, « Gwendoline JARCZYK, Différence et unité. La partition du concept dans la logique de Hegel, Paris, Kimé, 2018 », in Bulletin de littérature hégélienne XXIX, Archives de Philosophie, tome 82/4, Octobre-décembre 2019, p. 815-852.
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Norbert WASZEK (dir.), G. W. F. Hegel und Hermann Cohen. Wege zur Versöhnung. Festschrift für Myriam Bienenstock, Freiburg-München, Alber, 2018, 270 p.
Il est à peu près inévitable qu’un volume d’hommages tire son unité des travaux de celui ou celle qu’il entend honorer. C’est le cas ici, où les articles se répartissent en deux catégories correspondant aux deux grands axes qui ont guidé les recherches de M. Bienenstock : la philosophie de Hegel d’une part, la pensée juive moderne, et en particulier celle d’H. Cohen de l’autre. Les textes consacrés à Hegel traitent de thèmes variés : les débuts de l’histoire universelle (B. Bourgeois), les rapports éthicité/moralité (Ch. Bouton), le rapport à Aristote et le rôle de la finalité (C. Melica), la source du désaccord entre Hegel et Schelling (W. Schmied-Kowarzik), la dimension fondamentalement religieuse de la philosophie hégélienne, que L. Siep met en évidence en se référant à la célèbre étude d’E. Fackenheim sur ce point, la postérité de l’esprit objectif à travers les lectures qu’en proposent des disciples de Herbart comme Th. Weitz et M. Lazarus (J.-F. Goubet). Ces analyses montrent toutes à quel point les travaux d’édition et d’interprétation de M. Bienenstock ont contribué à enrichir et à renouveler les perspectives de la recherche hégélienne. Il en va de même dans le cas de Hölderlin, chez lequel G. Kurz montre l’importance du thème du besoin, nourri d’emprunts à Schiller ; ou dans celui de Heine, dont N. Waszek souligne, en examinant sa lecture de Lessing et de Mendelssohn, que sa pensée s’inscrit dans la continuité de l’héritage de l’Aufklärung. Trois articles (P. F. Fiorato, H. Holzhey, D. Hollander) sont consacrés à Hermann Cohen – sa lecture de la philosophie de l’histoire de Kant, sa réinterprétation des objets traditionnels de la métaphysique pré-kantienne que sont l’âme et Dieu, la cohérence d’une attitude qui, tout en critiquant la politisation du judaïsme chez Spinoza, en propose cependant une interprétation « politique » qui y discerne une religion universaliste de la raison. Les deux derniers textes sont consacrés au philosophe israélien Shmuel Hugo Bergmann (1883-1975) (D. Bourel) et aux transformations qu’a connues le thème de la Terre promise, au long de l’histoire du christianisme et du judaïsme (G. G. Stroumsa). Reste à souhaiter que ces contributions favorisent la possibilité de la « réconciliation » entre la pensée de Hegel et celle de Cohen, dont N. Waszek affirme, dans son introduction, qu’elle constitue le « fil directeur » des recherches de M. Bienenstock.
Jean-Michel BUÉE (Lyon)
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Pour citer cet article : Jean-Michel BUÉE, « Norbert WASZEK (dir.), G. W. F. Hegel und Hermann Cohen. Wege zur Versöhnung. Festschrift für Myriam Bienenstock, Freiburg-München, Alber, 2018 », in Bulletin de littérature hégélienne XXIX, Archives de Philosophie, tome 82/4, Octobre-décembre 2019, p. 815-852.
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Daniel ALTHOF, System und Systemkritik. Hegels Metaphysik absoluter Negativität und Jacobis Sprung (Hegel-Jahrbuch, Sonderband 11), Berlin-Boston, Walter de Gruyter, 334 p.
Hegel – du moins le Hegel de la maturité – reconnaît, tant dans sa Recension du tome III des Œuvres de Jacobi que dans la Science de la logique, la portée spéculative des objections formulées dans les Lettres sur Spinoza. Mais cette reconnaissance n’est-elle pas aussi une façon d’annihiler la critique jacobienne qui, en liant celle-ci à la partialité et à l’insuffisance de la compréhension de la systématicité philosophique proposée par Spinoza, lui interdit de se présenter comme une critique de toute philosophie rationnelle ? Il est clair en tout cas, comme l’établissent les analyses du début du livre, qu’en se proposant de concevoir le vrai « non comme substance, mais tout autant comme sujet », et en pensant le concept comme le pur rapport à soi ou la pure médiation avec soi qu’est la négativité absolue, Hegel développe une conception du système qui entend faire droit à tout ce dont Jacobi dénonce l’absence chez Spinoza : la réalité effective du fini au sein duquel l’infini se montre, se réalise et se sait, ou encore la liberté de l’individu que la structure logique du procès d’autodétermination qu’est le concept rend concevable. Toutefois, si la pensée hégélienne affirme qu’elle dépasse le substantialisme spinoziste sans prêter le flanc aux objections de Jacobi, cette affirmation ne repose-t-elle pas sur une cécité à l’égard du véritable point de vue de la « non-philosophie » de Jacobi ?
D. Althof, pour qui le débat Hegel/Jacobi ne saurait se réduire à la forme que lui donnent les textes hégéliens, s’attache à montrer dans les derniers chapitres de son ouvrage que les certitudes immédiates invoquées par Jacobi ont un tout autre statut que celui que leur assigne le Vorbegriff de l’Encyclopédie : non seulement le « saut périlleux » qui permet de se libérer du cadre de la philosophie rationnelle n’existe que sur un mode performatif, comme un acte indissociable de la personne singulière qui l’accomplit, mais l’affirmation de la liberté, loin de renvoyer au savoir immédiat d’ordre théorique qu’évoque Hegel, est à entendre comme une certitude « pratico-existentielle », issue de l’expérience vivante et vécue de la singularité de l’individu agissant. D. Althof en conclut que la philosophie de l’esprit de l’Encyclopédie conçoit certes la liberté du sujet fini, mais uniquement sur le mode de l’explicitation des structures logiques qui en constituent l’effectivité, en s’interdisant ainsi d’appréhender ce qui, comme l’a montré B. Sandkaulen (Daß, was oder wer ? Jacobi im Diskurs über Personen), est constitutif de l’identité concrète de l’individu aux yeux de Jacobi : l’identité d’un nom propre ou d’un qui – une Wer-Identität, opposée à l’identité d’un que ou à une Was-Identität.
En ce sens, la question et la démarche de Jacobi conserveraient leur légitimité à l’égard de la forme achevée de la systématicité philosophique qu’est la forme hégélienne, dont D. Althof rappelle d’ailleurs qu’en procédant d’une « décision au penser », elle reconnaît implicitement son ancrage dans la singularité individuelle concrète dont elle échoue pourtant à rendre compte. Reste que l’on peut se demander si cette opposition entre singularité et universalité, ou entre structures logiques et expérience vivante et vécue, tout comme la reprise, dans la conclusion, du dilemme de la Lettre à Fichte – ou Dieu, ou le néant – ne laissent pas de côté un aspect sur lequel la Préface de la Phénoménologie avait mis l’accent : opter pour la singularité contre l’universalité du concept, n’est ce pas aussi « fouler aux pieds la racine de l’humanité », comme le dit l’expression hégélienne, c’est-à-dire préférer la voie de l’arbitraire et de la violence à celle de la communication réglée et de l’organisation raisonnable de la vie en commun ?
Jean-Michel BUÉE (Lyon)
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Pour citer cet article : Jean-Michel BUÉE, « Daniel ALTHOF, System und Systemkritik. Hegels Metaphysik absoluter Negativität und Jacobis Sprung (Hegel-Jahrbuch, Sonderband 11), Berlin-Boston, Walter de Gruyter, 2017 », in Bulletin de littérature hégélienne XXVIII, Archives de Philosophie, tome 81/4, Octobre-décembre 2018, p. 821-856.
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Claudia BICKMANN (†), Florian BOHDE, Lars HECKENROTH & Dominik HIOB (Hrsg.), Hegels Philosophie des Geistes zwischen endlichem und absolutem Denken, Nordhausen, Traugott Bautz, 2016, 149 p.
L’ouvrage propose diverses voies d’approche vers le concept hégélien de l’esprit : une lecture globale qui, à partir d’une interprétation du sens de l’Idée absolue dans la logique, cherche, en rapprochant la conception hégélienne de l’Idéal de la raison de Kant, à mettre en évidence la présence chez Hegel d’un ordre téléologique, présenté comme une sorte de réalisation du Souverain bien kantien (C. Bickmann) ; une étude précise sur le rapport d’identité et de différence entre la vie et l’esprit dans la Phénoménologie, lue comme un parcours téléologique orienté vers le savoir de soi de l’esprit (G. Basileo) ; deux articles qui questionnent le commencement de la logique, en s’interrogeant d’un côté sur le statut du présupposé qu’est l’identité de la pensée et de l’être (R. Ōhashi), de l’autre sur le rôle de la « décision » au début et à la fin du procès logique (D. Hiob) ; une analyse détaillée du mouvement qui conduit de la substance au concept (L. Heckenroth) ; deux textes sur le déploiement de l’esprit dans l’Encyclopédie : d’une part une étude sur l’anthropologie, qui fait ressortir le rôle de l’anticipation dans la problématique hégélienne (F. Bohde), d’autre part, une analyse de l’éthicité qui montre que le fondement doit en être cherché dans la liberté du concept, telle que l’expose la Science de la logique (C. Krijnen). L’ensemble s’achève sur une contribution de K.E. Kaehler qui voit dans l’ambivalence hégélienne du fini (à la fois moment de l’infini et contingence dont l’élévation à l’esprit absolu implique l’abandon) l’origine des philosophies post-métaphysiques de la modernité présentées comme différentes manières de penser la finitude radicale et le décentrement de la subjectivité qui en demeure le principe.
Jean-Michel BUÉE (Lyon)
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Pour citer cet article : Daniel, « Claudia BICKMANN (†), Florian BOHDE, Lars HECKENROTH & Dominik HIOB (Hrsg.), Hegels Philosophie des Geistes zwischen endlichem und absolutem Denken, Nordhausen, Traugott Bautz, 2016 » in Bulletin de littérature hégélienne XXVII, Archives de Philosophie, tome 80/4, Octobre-décembre 2017, p. 773-802.
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Revue germanique internationale n°24, novembre 2016, « La Phénoménologie de l’esprit », Paris, CNRS Éditions, 2016, 192 p.
Si, comme l’explique en introduction Danielle Cohen-Levinas, penser la Phénoménologie (PhG) aujourd’hui revient à en réévaluer la portée dans un contexte marqué, à divers titres, par le refus du savoir absolu, il convient d’abord d’en relire de façon originale différentes figures : plaisir et nécessité (J. Lèbre, qui en souligne l’importance dans le tout de l’ouvrage en présentant le Faust hégélien comme l’expression du drame de l’individu moderne) ; l’individualité et la chose même, où P. Cerruti montre comment l’intérêt pris par l’individu à son œuvre propre en vient à la conscience de l’intégration nécessaire de l’être pour les autres ; le combat foi/Aufklärung dont R. Legros affirme, de façon pour le moins discutable, qu’il débouche sur une errance due à la perte de toute transcendance. Mais il convient aussi de revenir sur des comparaisons « incontournables » : avec Schelling (Ph. Grosos, qui souligne la proximité structurale entre la PhG et le système de l’idéalisme transcendantal tout en insistant sur la différence que constitue la prise en compte hégélienne de l’historicité de l’esprit) ; avec Fichte (A. Schnell qui, à partir d’une comparaison entre les différentes façons dont le savoir se fonde lui-même chez Hegel, Fichte et Schelling, met en rapport la dialectique hégélienne avec les trois moments de la doctrine fichtéenne de l’image dans la WL de 1804) ; avec Heidegger (F. Dastur, qui, au-delà des divergences entre les deux penseurs, note un certain accord sur trois thèmes, l’être et le néant, l’identité pensée/être, le rapport philosophie/histoire). Il convient enfin d’emprunter des chemins jusqu’ici assez peu frayés : articulation entre le parcours hégélien et la théorie lacanienne de l’inconscient et du désir (Y.-J. Harder) ; résurgence du scepticisme, en particulier chez Lévinas, au-delà de l’analyse qu’en propose la PhG (J. Colette) ; réexamen de la certitude sensible à partir de sa critique par H. Maldiney, dont les objections oublient les analyses de l’Encyclopédie sur l’expérience originaire du sentir (O. Tinland) ; retour exhaustif sur la question de la place de la PhG dans le système (J.-F. Kervégan, qui montre que l’œuvre de 1807, dont la systématicité est incontestable, conserve une « valeur fondatrice » pour le Hegel de la maturité, même si ce point est malaisé à concilier avec la place réduite de la PhG dans l’Encyclopédie). On mentionnera enfin un épilogue dans lequel J.-P. Lefebvre revient sur les raisons de retraduire en français le texte de 1807.
Jean-Michel BUÉE (Lyon)
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Pour citer cet article : Jean-Michel BUÉE, « Revue germanique internationale n°24, novembre 2016, « La Phénoménologie de l’esprit », Paris, CNRS Éditions, 2016 » in Bulletin de littérature hégélienne XXVII, Archives de Philosophie, tome 80/4, Octobre-décembre 2017, p. 773-802.
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Du même auteur :
- Jean-Michel BUÉE, « Hegel et la monadologie leibnizienne. une tentative de restauration post-kantienne de l’ontologie ? », Archives de Philosophie, 2013, 76-2, 319-333
- Jean-Michel BUÉE, « La Phénoménologie de l’Esprit aujourd’hui », Archives de Philosophie, 2007, 70-3, 455-470