Auteur : Julien Labia

Georg Wilhelm Friedrich HEGEL, Vorlesungen über die Philosophie der Kunst. Nachschriften zum Kolleg des Jahres 1826 (Gesammelte Werke, Bd. 28,2), hrsg. von Niklas Hebing und Walter Jaeschke, Hamburg, Meiner, 2018, vi-388 p.

Placée sous les auspices de la Deutsche Forschungsgesellschaft et de l’Académie des Sciences de Rhénanie du Nord-Westphalie et réalisée depuis 1968 au Hegel-Archiv de l’Université de la Ruhr à Bochum, l’édition critique des Gesammelte Werke suit l’ordre chronologique d’écriture et vise à publier l’intégralité de tout ce que la plume de Hegel nous a offert : des différentes versions des écrits publiés de son vivant aux correspondances et courriers officiels, en passant par les manuscrits, les fragments et les notes de cours. La première section a rassemblé, en 22 volumes, l’ensemble des écrits publiés par Hegel, ses manuscrits et ses esquisses. La seconde série, à laquelle appartient ce volume, inclut les cours de Hegel, reconstitués à partir des manuscrits dont nous disposons. Les spécialistes savent trop bien – et les profanes trop mal – que Hegel n’a pas publié d’ouvrage développé sur certains points essentiels de sa philosophie, comme l’Esthétique ou la Philosophie de la Religion. L’enjeu du deuxième pan de cette édition est donc capital, puisqu’il va s’agir non seulement d’un versant central de sa pensée, mais aussi et peut-être surtout, « tous publics confondus », de questions sur lesquelles l’apport de la philosophie hégélienne aura été marquant, pour ainsi dire de Marx à Danto, et non seulement en ce qui concerne l’esthétique. On doit souligner la force très spécifique de l’oralité dans la pensée de Hegel ou, si l’on veut, le poids de son « œuvre non écrite ». Son prestige et, si l’on nous accorde cette expression, son effet sur ses contemporains auront été liés en grande partie au pouvoir réel de sa parole, et l’on se réjouira donc d’avoir des traces écrites directes de son enseignement. Le texte ainsi reconstitué gagne fortement en concision et fait preuve d’une clarté assez étonnante. L’étude des manuscrits et des cours apporte à l’esthétique, domaine encore trop peu exploré si on le compare à d’autres, un intérêt « déconstructif », celui de défaire (ou refaire) l’édition porthume de Hotho, par laquelle elle a acquis une célébrité jamais démentie. Cela permet ainsi de questionner le travail fondateur du Corpus Hegelianum, édition première bâtie dans un esprit de défiance et de défense, soucieuse de l’« actualiser » et d’en montrer l’unité au point de conduire à la perte irrémédiable de certains écrits. On apprécie donc de pouvoir lire la pensée en formation plutôt que le système toujours déjà achevé. Ce volume présente les notes du semestre d’été 1826 à partir des notes de Karl Gustav Julius von Griesheim, mais inclut des variantes provenant de celles de Stefan Garczynski, Friedrich Karl Hermann Victor von Kehler (déjà éditées en 2004 chez Fink), Johann Conrad Carl Löwe, P. von der Pfordten (déjà éditée en 2005 chez Suhrkamp) et d’un manuscrit anonyme. On ne peut que saluer ce volume au travail éditorial magnifique, d’un rare confort de lecture.

Julien LABIA (CPGE, Nevers)

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Pour citer cet article : Julien LABIA, « Georg Wilhelm Friedrich HEGEL, Vorlesungen über die Philosophie der Kunst. Nachschriften zum Kolleg des Jahres 1826, (Gesammelte Werke, Bd. 28,2), hrsg. von Niklas Hebing und Walter Jaeschke, Hamburg, Meiner, 2018 », in Bulletin de littérature hégélienne XXIX, Archives de Philosophie, tome 82/4, Octobre-décembre 2019, p. 815-852.

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Niklas HEBING, Hegels Ästhetik des Komischen (Hegel-Studien, Beiheft 63), Hamburg, Meiner, 2015, 460 p.

L’esthétique de Hegel perd son statut de parent pauvre de la recherche hégélienne. On se réjouit de la voir cartographiée d’une manière toujours plus précise, en général comme en particulier, comme l’attestent les livres soumis à ce bulletin au fil des années. Il est presque inutile de rappeler combien les analyses de la tragédie grecque par Hegel sont connues, souvent commentées, et constituent même un passage obligé des cours d’esthétique. L’analyse hégélienne du comique n’a malheureusement pas retenu une attention comparable, et le grand intérêt de ce volume est d’en montrer l’importance. Encore faut-il distinguer (chap. I ; voir aussi p. 330 sq.) le comique, sujet rare en philosophie, de cette ironie sur laquelle Jean-Paul, Solger ou Schlegel ont tant écrit du temps de Hegel (le chap. IV se consacrant au parallèle avec Schiller). L’intérêt profond de Hegel pour la légèreté, dont la manifestation supérieure est artistique (p. 17), surprendra plus d’un lecteur. Hegel liant directement le comique à la présence concrète du rire, ce phénomène intéresse, au sein de la philosophie de l’esprit subjectif, l’Anthropologie – qui voit en lui une figure de la culture de l’Esprit (chap. V) – et, tout particulièrement, dans l’étude de l’esprit absolu, l’analyse de la poésie, qui voit en lui une figure de la conscience de soi rendant in fine sensible au caractère comique du monde même. N. Hebing nous donne ainsi à relire sous l’angle de la philosophie de l’esprit les fines analyses de Hegel sur Aristophane, Juvénal, Lucien, Sterne ou le Quichotte, mais aussi sur Molière ou le Neveu de Rameau. Chemin de l’art au monde, prise de distance véritable avec ce qui n’est plus, le comique est, plus qu’un détachement d’avec soi-même, l’agent de l’accomplissement de l’histoire : singulier calvaire dont les étapes, bien que n’étant jamais souffrance, sont bien libération. N. Hebing révèle un philosophe (et pas seulement un philosophe de l’art) soucieux de rendre pleinement compte du poids égal du rire et des larmes dans sa philosophie de l’histoire de l’art, en un savant exercice de contrepoint. En se souvenant de l’absence cruelle de la seconde partie de la Poétique d’Aristote consacrée au comique, on mesure l’importance de ce traité hégélien du comique, reconstitué dans sa portée systématique. Sérieux et comique constituent deux versants de l’esthétique de Hegel, différents mais d’importance au moins comparable. « Tragédie et satire sont sœurs : ensemble, leur nom est vérité » : Hegel, avec les outils et le génie qui lui sont propres, se rapprocherait presque de Dostoïevski. Et, lorsqu’il s’amuse de son propre jeu de mots rapprochant Deutschtum et Deutschdumm (p. 12), Hegel se fait l’incarnation même de cet esprit qui, puisqu’il ne respecte rien, ne saurait arrêter cet élan fait de négation élevant irrémédiablement vers l’universel.

Julien LABIA (CPGE, Nevers)

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Pour citer cet article : Julien LABIA, « Niklas HEBING, Hegels Ästhetik des Komischen (Hegel-Studien, Beiheft 63), Hamburg, Meiner, 2015 » in Bulletin de littérature hégélienne XXVII, Archives de Philosophie, tome 80/4, Octobre-décembre 2017, p. 773-802.


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