Auteur : Majk Feldmeier

 

Hans JOAS, Im Bannkreis der Freiheit. Religionstheorie nach Hegel und Nietzsche, Berlin, Suhrkamp, 2020, 668 p.

Les réflexions que Hans Joas a rassemblées sous le titre Im Bannkreis der Freiheit. Religionstheorie nach Hegel und Nietzsche se fondent sur la « thèse substantielle selon laquelle la religion et l’histoire des religions ne peuvent être discutées aujourd’hui autrement qu’en relation avec les exigences normatives et l’histoire de la liberté politique » (p. 15). Qu’il ne s’agisse pas là d’un conditionnel, voilà qui devrait être clair : nous n’avons pas affaire à un rapport de type « si…, alors… », mais il s’agit ici au contraire d’affirmer que l’on doit inévitablement parler de la religion, et en parler de cette manière – cette position de l’auteur devrait être familière aux lecteurs du présent ouvrage. En effet, H. Joas lui-même a toujours rejeté la thèse d’une sécularisation globale et a favorisé une prise de conscience renouvelée de la religion comme facteur encore décisif dans le processus d’auto-compréhension moderne, et pas seulement dans le domaine de la sociologie de la religion.

Toutefois, même lorsqu’il est reconnu comme indispensable, ce lien discursif entre religion et liberté se révèle souvent défavorable à la religion ; plus précisément, il l’est partout où l’on tente d’éclairer la relation si essentielle entre la foi religieuse et la liberté politique en s’inscrivant dans une orientation philosophique hégélienne. Car la « synthèse de l’histoire de la religion et de la liberté » propre à Hegel représente déjà en soi, d’après Hans Joas, « une impasse pour la théorie de la religion » (p. 21). Et ce, à quatre titres : premièrement, il faut reprocher à Hegel une compréhension intellectualiste de la foi religieuse ; deuxièmement, il faut remettre en question les idées de Hegel sur le lien entre la religion et la liberté politique, principalement sur la base des expériences du XXe siècle ; troisièmement, il faut corriger, sur cette base, la conception hégélienne de la liberté, pour enfin et surtout, quatrièmement, surmonter son eurocentrisme et son christianocentrisme.

Dans une succession de chapitres dont l’organisation même exprime les positions évoquées à l’instant, Hans Joas trace une série de portraits d’un total de seize penseurs dont la réflexion interdisciplinaire sur le thème de la religion laisse apparaître une « tradition propre », bien qu’une « tradition cachée » (p. 11). Selon la modeste prétention de ce volume, exhumer cette tradition ne représente rien de plus (mais aussi rien de moins) qu’un premier pas sur la voie conduisant à pouvoir offrir une alternative à Hegel – mais aussi à Nietzsche – afin de rendre davantage justice au phénomène de la religion et à son rôle dans la modernité.

Faute de place, ces portraits ne peuvent ici être discutés en détail. Cependant, il convient de relever une idée qui traverse tout l’exposé. Dans la première partie, H. Joas présente trois penseurs (Ernst Troeltsch, Rudolf Otto, Max Scheler) qui, dans l’horizon de la psychologie de la religion de William James et du travail de Wilhelm Dilthey sur une herméneutique historique, insistent, contre la conception hégélienne d’une religion en fin de compte intellectualiste, qui n’atteint sa forme adéquate que dans le langage conceptuel de la philosophie spéculative, sur l’expérience de foi conceptuellement insaisissable de l’individu ainsi que sur son ancrage indispensable, mais toujours imparfait, non pas dans un processus historique objectif, mais dans une réalité intersubjective toujours déjà partagée. Pour E. Troeltsch, une telle insistance vise donc aussi et surtout « une critique de toute auto-compréhension triomphaliste d’une communauté religieuse ou d’un ordre politique. Ni le christianisme, ni aucune autre religion ou vision séculaire du monde ne prend jamais, à une époque donnée, une forme qui pourrait être appelée la réalisation définitive et complète de l’idéal ; et aucune incarnation future ne sera une telle réalisation. » (p. 69) Cet objectif politique confère à Troeltsch une « importance primordiale » (p. 66), non seulement pour cette première partie, mais tout au long de l’ouvrage. Car c’est surtout à partir de cette idée d’une nécessaire modestie du penseur religieux que s’ouvre un espace non seulement pour appréhender la diversité des religions, mais aussi pour poser la question « d’une généalogie historique globale de l’universalisme moral » (p. 44), que Joas déploie dans son dernier chapitre – ici aussi en contraste critique avec Nietzsche. Puisqu’il ne s’agit que d’une perspective possible, « l’absence de penseurs non occidentaux, chrétiens et autres » (p. 14) que Hans Joas lui-même déplore dans l’introduction, ne semble pas être un défaut. Et il est encore moins critiquable que les réflexions complexes de Hegel et Nietzsche ne soient pas présentées. Le présent volume, extrêmement réussi, invite plutôt à une relecture et à une réévaluation de Hegel et de Nietzsche.

Majk FELDMEIER (Ruhr-Universität Bochum) [trad. Victor Béguin]

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Pour citer cet article : Hans JOAS, Im Bannkreis der Freiheit. Religionstheorie nach Hegel und Nietzsche, Berlin, Suhrkamp, 2020, 668 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXI, Archives de philosophie, tome 84/4, Octobre-Décembre 2021, p. 141-180.</p

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