Auteur : Marco Ferrari

Pierpaolo CESARONI, La vita dei concetti. Hegel, Bachelard, Canguilhem, Macerata, Quodlibet, 2020, 304 p.

L’ouvrage trouve son origine dans la conviction selon laquelle l’une des nécessités les plus urgentes pour la philosophie politique actuelle est de penser à neuf les modalités de pensabilité de la politique. Il s’agit, en ce sens, d’un livre sur le penser et sur la politique comme pensée – où la nécessité de penser la politique va de pair avec celle de comprendre quel type de pensée est la politique et à quels types de concepts elle doit avoir affaire.

La structure du livre reproduit cette double intention. Dans la première partie, l’auteur présente les traits caractéristiques de sa propre position philosophique, qu’il nomme épistémologie des concepts. En élaborant une interprétation originale de Hegel, en tant que « philosophe du concept » et du concept comme « puissance créatrice » (schöpferische Macht), « création d’une catégorie qui rend pensable ce qui, dans les déterminations déjà posées, n’est pas déjà là » (p. 84), et en identifiant en même temps dans l’épistémologie historique, notamment chez Bachelard et Canguilhem, l’héritage le plus fidèle de la leçon hégélienne, Pierpaolo Cesaroni insiste sur la nécessité d’adopter une posture épistémologique que l’on peut résumer dans la conviction selon laquelle « la science, ou épistemé, constitue le plan au sein duquel se meut la réflexion philosophique » (p. 11), sans que cela implique toutefois une réduction de celle-ci à « un redoublement superflu de la pratique scientifique » (p. 24). Adopter une posture épistémologique signifie plutôt attribuer à la philosophie, d’un côté, « une fonction critique et pédagogique vis-à-vis des domaines épistémiques dans lesquels elle s’exerce » (p. 114), et, de l’autre, la tâche de faire émerger, dans l’activité des pratiques scientifiques, « la sensation de possibilités théoriques différentes » ; cela est particulièrement indiqué au regard de toutes les sciences – telle la politique – qui « se contentent de produire de pures généralités sans parvenir à transformer en problèmes les contradictions qui les traversent » (p. 115).

Selon l’auteur, cela est possible de deux façons : soit 1) en faisant de l’histoire des sciences, c’est-à-dire en rendant opératoires aujourd’hui des structures problématiques repérables au sein de l’histoire d’une science particulière, soit 2) en mobilisant ce que Canguilhem a défini comme idéologie scientifique, c’est-à-dire en concentrant son attention sur les procès d’extension d’un concept scientifique en un domaine différent de celui auquel il appartient pour montrer, d’un côté, l’inadéquation à laquelle se trouvent confrontées les opérations de ce type, de l’autre, la fécondité que le fait de repérer cette inadéquation confère à la production de nouveaux concepts.

C’est vers cette seconde option que l’auteur se tourne, dans la seconde partie, pour aboutir à ce qu’il définit de façon cohérente comme une épistémologie des concepts politiques. D’abord à travers un parcours programmatique à travers la philosophie biologique de Canguilhem, puis en ravivant de façon originale le thème de la (dis)continuité entre le vital et le social (épistemé biologique/épistemé politique) – avec Canguilhem, mais en allant aussi au-delà, dans une direction où l’auteur renouvelle de façon très originale son rapport à la tradition historico-conceptuelle padouane à laquelle il appartient. Cesaroni s’attache à dessiner l’espace spécifique d’une épistemé politique, en mettant en question les idéologies scientifiques qui, en saturant cet espace, rendent impossible son articulation effective – la science politique mainstream et les concepts sur lesquels elle se fonde (souveraineté et représentation) ainsi que les sciences sociales (l’économie politique notamment) – et en identifiant les catégories sur lesquelles devrait au contraire reposer sa singularité (justice et gouvernement).

Marco FERRARI (Università di Padova) [trad. J.-M. Buée]

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Pour citer cet article : Pierpaolo CESARONI, La vita dei concetti. Hegel, Bachelard, Canguilhem, Macerata, Quodlibet, 2020, 304 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXII, Archives de philosophie, tome 85/4, Octobre-Décembre 2022, p. 167-204.

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