Auteur : Marouchka Boin

Alexis PHILONENKO : Spinoza et la liberté, Paris, Ovadia, 2017, 760 p.

Il n’est pas tâche facile pour un commentateur de s’attaquer à un monument tel que l’Éthique de Spinoza ; cette tâche est d’autant plus ardue que, depuis plusieurs décennies, le vif intérêt qu’elle suscite a été l’occasion pour bon nombre d’auteurs de proposer des ouvrages dont certains semblaient avoir définitivement dit ce qu’il y avait à dire à son sujet. Mais il en faut bien davantage à A. Philonenko, qui se présente avant tout comme historien de la philosophie mais également comme grand amateur de sport – et plus particulièrement de boxe –, pour renoncer à une entreprise de décryptage nouvelle et à coup sûr singulière. A. Philonenko, comme à son habitude, propose donc ici une analyse exigeante et érudite de l’Éthique de Spinoza, à l’heure où celui-ci voit souvent sa pensée simplifiée voire caricaturée. Il possède l’immense mérite de poser un regard nouveau et opiniâtre sur l’Éthique, en partant du principe, comme l’annonce la quatrième de couverture, que « la grande difficulté du spinozisme est à rechercher dans le langage » ; cette difficulté est intimement liée au fait qu’il possède une duplicité : il y a le langage philosophique d’une part, et le langage ordinaire, « vulgaire » d’autre part. En ce sens, le langage peut tromper et nous induire en erreur. Or, pour Alexis Philonenko, il convient de ne pas dissocier le « dire » et le « faire » – ce qui n’est pas sans rappeler la célèbre formule de John Austin, « Quand dire, c’est faire » : à ses yeux, « la morale est enracinée dans la linguistique », logique et existence apparaissent comme inextricablement liées. La phrase qui vient conclure le livre est d’ailleurs la suivante : « On retiendra ici […] que le grand défaut de Descartes fut de mépriser l’expérience, et la grande qualité de Spinoza de relier la logique et l’existence ». Il est bien difficile de rendre brièvement compte de la somme érudite que constitue Spinoza et la liberté ; on retrouve dans cet ouvrage une mise en perspective originale et minutieuse de l’Éthique avec des auteurs et commentateurs fort bien connus d’Alexis Philonenko : Kant, Fichte et autres penseurs de l’idéalisme allemand sont convoqués aux côtés de Leibniz et Nietzsche, Gueroult et Wolfson pour ne citer qu’eux. L’auteur nous invite ainsi à relire avec un œil nouveau Spinoza, guidés par l’obsession du texte et la rigueur conceptuelle qui apparaissent au fil de ses publications comme sa signature, sa marque de fabrique. Loin des agitations intellectuelles vaines et superficielles, il rencontre authentiquement les auteurs et puise sans relâche dans cette formidable et éternelle fontaine de jouvence que sont les textes. Spinoza et la liberté apparaît comme un guide vers la compréhension de la philosophie de Spinoza, qui elle-même peut nous mener à la béatitude.

Marouchka BOIN

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Pour citer cet article : Marouchka BOIN, « Alexis PHILONENKO : Spinoza et la liberté, Paris, Ovadia, 2017 », in Bulletin de bibliographie spinoziste XL, Archives de Philosophie, tome 81/4, Octobre-décembre 2018, p. 857-889.

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