Auteur : Pierre Manimont

 

Pirmin STEKELER-WEITHOFER & Wolfgang NEUSER (dir.), Die Idee der Natur. Analyse, Ästhetik und Psychologie in Hegels Naturphilosophie, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2022, 480 p.

Ce volume collectif, dirigé par Pirmin Stekeler-Weithofer (Leipzig) et Wolfgang Neuser (Kaiserslautern), rassemble des contributions prononcées entre 2016 et 2019 dans le cadre de l’Internationaler Arbeitskreis zu Hegels Naturphilosophie, qui tournent toutes autour de la notion de « nature » dans les textes hégéliens. Le spectre couvert par « l’idée de nature » telle qu’elle est ici entendue est large : après une partie liminaire qui vise une problématisation générale, on lira des interventions sur la philosophie de la nature à proprement parler (seconde partie), la place de l’idée de nature dans l’esthétique (troisième partie), ou encore sur les aspects psychologiques de la naturalité que sont le rôle de l’habitude, l’animalité de l’âme, etc. (dernière partie). L’angle problématique relativement commun aux différentes approches peut être identifié dans les deux articles ouvrant le premier volet (Pirmin Stekeler-Weithofer, Dieter Wandschneider), et explique le titre de l’ouvrage : la tentative hégélienne de penser la nature, et même de la présenter comme le terrain de la libération et de l’autodéveloppement de l’Idée logique, mènent-elles à une considération du naturel pour lui-même, ou renferment-elles une forme de transcendantalisme nécessaire, selon lequel toute nature est posée par l’Idée qu’elle développe, et considérée seulement en ce sens ?

Dans l’article de Pirmin Stekeler-Weithofer, qu’on lira en priorité pour aborder le volume, le naturel est présenté comme une « présupposition transcendantale » de tout développement spirituel, et c’est en ce sens que chez Hegel, et non chez un Feuerbach ou un Marx, l’on peut trouver une telle correction naturaliste de l’ordre réel entre la spiritualité et ses conditions matérielles. Ce fil de questionnement est encore sous-entendu thétiquement lorsqu’il est question de la « limitation » du savoir hégélien par l’élément naturel (Ermylos Plevrakis, Manfred Wetzel), ou, à l’inverse, de la limitation du savoir naturel par le primat de l’Idée logique. Dans cette veine, le questionnement de Walter Tydecks (« Das gefährdete Denken des Menschen ») est peut-être l’un des plus originaux du volume : si l’Idée est la condition d’apparition de la nature (comme immédiateté sensible), est-ce par subreption que Hegel parle de « nature » de la réflexion, ou même de l’Idée ? Au contraire, Hegel doit poser une consanguinité dialectique entre la nature du concept (la dialectique) et la nature libérée par le concept (le non idéel comme tel), pour que ces deux termes ne soient pas parfaitement homonymes. Tydecks replace cette décision hégélienne sur l’essence double du naturel dans l’horizon luthérien de la théologie de la croix, de manière certes contestable mais stimulante. Il est en cela un bon exemple des rapprochements, parfois inattendus, qu’on pourra trouver dans le volume, et ce surtout en sa partie esthétique et psychologique : l’art serait le point culminant de la Naturphilosophie, puisqu’y paraît l’Idée mieux encore que dans l’« être-là » simplement naturel (Renate Wahsner), ou même le devenir « dionysiaque » de l’Idée logique (Wolfgang Lenski).

Les auteurs ne visent pas à effacer la contingence du séminaire où ils ont d’abord prononcé leurs présentations : le lecteur qui y cherche une unité de ton et de méthode devra se tourner plutôt et uniquement vers les quatre premiers exposés. De manière générale, l’usage constant du terme « transcendantal » pour parler du mouvement de libération dialectique de l’Idée dans la nature, discuté parfois (Dieter Wandschneider), mais souvent adopté sans justification ultérieure, pourra étonner le lecteur français, habitué par plusieurs travaux à penser en retour que le caractère organique de la dialectique déborde justement la question des seules conditions de possibilité de la connaissance. Dans l’ensemble, c’est par sa réflexion sur les rapports du naturel et de l’idéal que le volume mérite l’attention. Il met volontairement en avant l’aspect stimulant de cette réflexion, à titre de travail d’interprétation sur la portée métaphysique ou naturaliste de l’œuvre hégélienne, plutôt que l’exhaustivité historique, qui lui aurait imposé de se construire différemment (notamment via une confrontation à Kant et à la Naturphilosophie schellingienne) ; c’est bien dans cette perspective qu’on peut l’envisager.

Pierre MANIMONT (Sorbonne Université)

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Pour citer cet article : Pirmin STEKELER-WEITHOFER & Wolfgang NEUSER (dir.), Die Idee der Natur. Analyse, Ästhetik und Psychologie in Hegels Naturphilosophie, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2022, 480 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXIII, Archives de philosophie, tome 86/4, Octobre-Décembre 2023, p. 149-186.

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