Auteur : Roberto Morani

Sasha HRNJEZ, Tertium datur. Sintesi e mediazione tra criticismo e idealismo speculativo, Milano, Mimesis, 2017, 329 p.

Le problème du tiers s’est posé à la philosophie depuis ses origines : à partir de Platon, de Démocrite, d’Aristote, la pensée n’a cessé de s’interroger sur ce problème sous ses différents aspects, en le considérant comme une sorte d’angle privilégié ou de point de départ pour aborder les questions philosophiques fondamentales (ainsi l’universel et le particulier, l’être et le néant, le mouvement et l’immobilité, l’un et le multiple, la négation et la régression à l’infini). Le livre de Sasha Hrnjez, Tertium datur. Sintesi e mediazione tra criticismo e idealismo speculativo [Tertium datur. Synthèse et médiation entre criticisme et idéalisme spéculatif], analyse la configuration moderne de la figure conceptuelle du tiers, étroitement liée à l’apparition du principe de la subjectivité.

La recherche menée par Hrnjez se centre sur Kant et sur Hegel, dont les projets philosophiques – le criticisme et l’idéalisme spéculatif – montrent des affinités aussi bien que des divergences fondamentales. Dans la première partie du livre, l’auteur examine la Critique de la raison pure et le rôle du tiers endossé par le sujet transcendantal : il démontre ainsi que la conscience de soi se présente comme un principe de synthèse reliant les opposés que sont l’entendement et la sensibilité. Le deuxième chapitre analyse la fonction de synthèse jouée, dans la Critique de la faculté de juger, par le jugement réfléchissant. L’auteur parvient à la conclusion que ni l’expression théorique du tiers ni sa reconfiguration esthétique ne s’affranchissent de la structure dualiste : à cause du fondement subjectif, chez Kant la figure du tiers se transforme continuellement, en passant de tiers inclus à tiers exclu, et en jouissant ainsi d’une fonction régulatrice (als ob) démunie de tout pouvoir constituant, simple chaînon intermédiaire et lien entre des termes opposés.

C’est à partir de cette conclusion que le texte examine le programme philosophique de la médiation et de l’immanence radicale élaboré par Hegel. Dans les trois chapitres de la deuxième partie du livre, l’auteur décrit la façon dont le philosophe de Stuttgart, dans ses textes d’Iéna (La Différence entre les systèmes philosophiques de Fichte et de Schelling, et Foi et savoir, chap. I), dans la doctrine du commencement de la Science de la logique (chap. II), et dans la figure de la conscience de soi de la Phénoménologie de l’esprit (chap. III), reconnaît à la figure du tiers le statut de synthèse immanente originaire et dynamique des opposés. La dialectique du commencement logique se présente comme le paradigme conceptuel de la reconfiguration hégélienne du tiers : le mouvement permettant le passage de l’être au néant et du néant à l’être comme des moments qui se co-impliquent donne au tertium un profil relationnel, qui dépasse l’acception kantienne du tiers en tant qu’élément reliant des contextes séparés. Chez Kant, le passage de l’un à l’autre des deux termes hétérogènes (entendement et sensibilité, liberté et nature) n’invalide pas leur irréductible séparation ; chez Hegel, en revanche, le passage se fait dans la forme de la médiation et de la transfiguration.

Le livre de Sasha Hrnjez montre que le besoin conceptuel du tiers se développe, chez Kant et chez Hegel, selon des modèles conceptuels différents – celui de la synthèse et de la communication chez le premier, celui de la médiation dialectique chez le deuxième. Ce faisant, cet ouvrage a deux grands mérites : le premier, de nature historiographique, est de montrer que la relation entre les deux grands penseurs allemands ne peut être réduite à une opposition de paradigmes philosophiques mutuellement exclusifs, mais devrait plutôt être considérée comme une réponse différente au même problème du tiers, dans une relation qui est celle de la concordia discors. Le second mérite, dont la nature est théorique, est d’attirer l’attention sur une des questions fondamentales de la philosophie, que la pensée contemporaine doit concevoir de façon autonome et sans subordination au passé.

Roberto MORANI (Università degli Studi di Firenze)

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Pour citer cet article : Roberto MORANI, « Sasha HRNJEZ, Tertium datur. Sintesi e mediazione tra criticismo e idealismo speculativo, Milano, Mimesis, 2017 », in Bulletin de littérature hégélienne XXIX, Archives de Philosophie, tome 82/4, Octobre-décembre 2019, p. 815-852.

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