Auteur : Ron B. Thomson

 

Nicole Oresme, tome X : Astronomie, dioptrique et cinétique. Deux suites de questions sur la sphère, précédées de Jean de Sacrobosco, Traité de la sphère, intr., édition et trad. A. Boureau, Paris, Les Belles Lettres, « Bibliothèque scolastique » 20, 2024, 641 pages

Le volume contient une présentation du texte latin et une traduction française du Traité de la sphère de Jean de Sacrobosco, ainsi que deux séries de questions d’Oresme concernant la sphère. Le projet d’édition repose sur l’idée de présenter d’abord les textes les plus anciens, généralement écrits en latin, puis ultérieurement les textes plus tardifs, généralement en moyen français. Celui de Sacrobosco sert de point de départ pour cet ensemble puisqu’à l’époque c’était le traité le plus connu présentant une description cosmographique de l’univers.

Pour ce dernier, l’éditeur reproduit verbatim le texte latin édité par Lynn Thorndike en 1949 avec une traduction française en face à face. La traduction paraît assez fidèle à l’original, avec quelques commentaires en notes pour en expliquer les difficultés. Les notes contiennent aussi des commentaires utiles sur le contenu scientifique du texte, lorsqu’une explication développée est requise. Mais l’éditeur omet un problème majeur du texte de Sacrobosco : son usage de deux figures différentes pour la longueur d’un degré (nord-sud ou est-ouest à l’équateur), celle d’Ératosthène, à savoir 700 stades, c’est-à-dire 87,5 milliers ou miles, ancienne mesure utilisée à l’époque d’Oresme (environ 143 km), p. 39, et celle d’al-Farghani, à savoir 56,77 milliers (environ 92,75 km) p. 97 ; or c’est un point qu’Oresme commentera spécifiquement dans son Traictié de l’espere.

Si inclure le texte de Sacrobosco a un sens dans le contexte global du projet (tenant compte des volumes à paraître) qui vise à présenter les écrits d’Oresme sur la cosmologie, il n’en a ici que dans la mesure où Oresme semble se référer à lui dans la première série de questions de ce volume. Mais le véritable parallèle serait à faire avec le traité français plus tardif, le Traictié de l’espere (bien qu’il y ait de grandes différences entre ces deux traités), dans la mesure où Sacrobosco centre son propos sur une description physique du cosmos, ainsi que de la terre et de ses régions. Dans le premier ensemble de questions d’Oresme, il est certes fait référence à l’œuvre de Sacrobosco, mais seulement comme l’une des nombreuses autorités qui ont contribué à la discussion de ces sujets. Cela étant dit, il est toujours utile d’avoir le texte latin réimprimé et de nouveau disponible, et d’en avoir une traduction en français.

Le premier ensemble de questions publié ici se trouve dans un seul manuscrit (Erfurt, Universitäts- und Forschungsbibliothek Erfurt/Gotha, ms. Amplon. Qo 299) dont l’attribution à Oresme a été objet de débats depuis sa découverte en 1961. Alain Boureau est plus affirmatif que d’autres à propos de son authenticité, et suppose qu’il a été composé vers 1340, dans les années de jeunesse d’Oresme ou peu après ses 20 ans. Mais, quoi qu’il en soit de cette attribution, il s’agit d’une série intéressante de questions et, en fin de compte, en avoir une transcription latine et une traduction française améliore notre connaissance des discussions du xive siècle sur le cosmos.

Le texte, qui comprend en tout dix-sept questions, suit la forme scolastique standard de ce genre de textes : proposition, énoncé d’une large variété d’autorités soutenant ou contredisant cette thèse, discussion de chacune, et conclusion de l’auteur. Chaque question est centrée sur un point spécifique : par exemple, la première question examine la thèse initiale que l’on trouve chez Sacrobosco (qui cite Euclide) à propos de la nature mathématique ou de la nature physique de la sphère. Il y a plusieurs questions sur la sphère ou les sphères célestes : son mouvement, le nombre de sphères, est-ce que les sphères sont vraiment sphériques ? D’autres portent sur la terre : est-elle sphérique, est-ce que ses pôles se meuvent ? Et il y a des questions sur divers cercles célestes – le cercle équatorial, les tropiques, les colures, le zodiaque, son inclinaison et comment il est divisé. Trois d’entre elles sont centrées sur la question de savoir si certaines zones de la terre sont habitables – un sujet commun à de nombreux textes cosmographiques. Finalement, on en trouve à propos du mouvement excentrique du soleil, de la luminosité de la lune et des éclipses. Toutes visent généralement à prouver la nature largement admise de ces sujets (généralement considérés comme mathématiques) plutôt que de s’en tenir à leur simple description comme c’est le cas chez Sacrobosco mais aussi dans le traité plus tardif d’Oresme, le Traictié de l’espere.

Également intitulé Questiones super de spera, le deuxième ensemble de questions en contenant 13, a été initialement édité par Garrett Droppers en 1966 dans sa thèse à l’université du Wisconsin. Parmi les quatre manuscrits contenant ces dernières, Alain Boureau préfère choisir comme base pour son texte celui de la bibliothèque Vaticane, plutôt que celui de la bibliothèque Riccardiana de Florence. Il explique qu’il réédite ou retravaille le texte pour cette raison. Mais, sur la base d’une rapide comparaison de quelques parties, je ne trouve aucune différence entre les deux transcriptions du latin. Peut-être cependant des différences apparaissent-elles ailleurs.

Selon G. Droppers, ces « études originales ou […] questions sur des problèmes particuliers, implicites ou explicites, dans le texte de Sacrobosco (ou peut-être quelque autre traité élémentaire) […] sont vraisemblablement trop sophistiquées et problématiques pour une classe élémentaire ». Les thèmes en sont la nature des lignes et des points, généralement au sens mathématique (questions 1 et 2), la doctrine aristotélicienne du lieu puis de la lourdeur et de la légèreté (question 3 à 6), l’analyse dynamique et cinématique du mouvement terrestre et céleste (question 7 à 13). Le rapport entre ces questions et l’œuvre de Buridan est bien présenté dans l’introduction et les notes. Mais on peut immédiatement voir que ces sujets sont sans relation avec ceux que l’on trouve dans l’autre série de questions et dans le Traictié de l’espere.

Ce volume, et en particulier les deux séries de questions, rend accessible des textes d’Oresme qui n’ont donné lieu à aucune circulation ni étude significative, ce dont nous devons être reconnaissants à l’éditeur. Les chercheurs ont maintenant un nombre significatif de traités sur le mouvement, la cosmologie et l’astronomie, sur lesquels ils peuvent fonder une description plus précise de ces sujets durant le Moyen Âge.

Une petite remarque au passage : dans le graphique des pages 102-103, la latitude pour le milieu du premier climat devrait être 16°, comme il est indiqué dans le texte lui-même (et non 16°40′) ; et la latitude du début du troisième climat devrait être 27°30′ (et non 24°30′).

Ron B. Thomson

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Pour citer cet article : Nicole Oresme, tome X : Astronomie, dioptrique et cinétique. Deux suites de questions sur la sphère, précédées de Jean de Sacrobosco, Traité de la sphère, intr., édition et trad. A. Boureau, Paris, Les Belles Lettres, « Bibliothèque scolastique » 20, 2024, 641 pages, in Bulletin de philosophie du Moyen Âge XXVI, Archives de philosophie, tome 88/3, Juillet-Septembre 2025, p. 266-268.

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