Auteur : Silvia Di Donato

 

Daniel FRANK et Aaron SEGAL (éd.), Maimonides’ Guide of the Perplexed. A Critical Guide, Cambridge, Cambridge University Press, « Cambridge Critical Guides », 2023, 316 p.

Cette nouvelle publication, consacrée au chef-d’œuvre de la philosophie juive médiévale qu’est le Guide des égarés de Maïmonide, se veut une collection d’essais critiques – quatorze – discutant autant de questions ou sujets philosophiques cruciaux soulevés dans ou par le traité. Elle rassemble les contributions de spécialistes reconnus de l’œuvre de Maïmonide et de la philosophie juive médiévale, et montre, au prix de quelques redondances, l’ampleur du questionnement philosophique et du débat que cette œuvre suscite toujours.

Le volume est divisé en six parties, visant la parabole menant au bien humain véritable et répliquant en cela l’ordre du Guide. Auparavant, nous signalerons, même si c’est marginal, une coquille dans l’introduction (p. 1) concernant la localisation géographique de Montpellier, lieu du brûlement sur la place publique du Guide et du Livre de la connaissance, en 1232 : la ville ne se trouve évidemment pas dans le Nord de la France, mais en Occitanie, dans le Sud. La partie I concerne la forme du traité et sa structure. La contribution de Daniel Frank, « The Structure and the Purpose of the Guide », esquisse la trajectoire du livre et son objectif, à savoir mener son destinataire, ainsi que tout lecteur préparé, à une vie d’excellence rationnelle, dépassant la perplexité et fondée sur la véritable science de la Loi, qui est indubitablement philosophique. C’est sous cet angle, défendant la relation étroite entre la structure du Guide, ses discussions philosophiques et sa finalité, que l’auteur considère l’articulation des trois parties de l’ouvrage. Cette suggestion est appliquée à l’analyse d’un cas d’étude (III, 22-23) visant la tension entre sagesse, perfection intellectuelle et béatitude véritable.

L’articulation entre éléments formels et intention théorique fonde l’analyse d’Igor De Souza, « The Guide as a Biblical Commentary », qui s’interroge sur l’approche exégétique de Maïmonide. Certes, le Guide n’est pas un commentaire formel ; en discutant des éléments textuels et théoriques de l’interprétation maïmonidienne des passages bibliques, dans la première partie du Guide, l’auteur propose de la regarder comme un commentaire conceptuel de la Bible.

La partie II porte sur la condition humaine et l’origine de l’homme. Dans le chapitre rédigé par Shira Weiss, « Paradise and the Fall », se trouve une présentation de Guide I, 2 et de la position maïmonidienne concernant la condition originaire de l’homme – ce qui fait que l’homme est homme –, qui était l’état de perfection dans laquelle se trouvait Adam avant sa désobéissance et l’expulsion du jardin d’Éden. La relation entre bien et mal, et vrai et faux, entre morale et intellect (Guide I, 3), est aussi le noyau autour duquel se développe le chapitre de Daniel Rynhold, « Maimonides on the Nature of Good and Evil », qui argumente sur la radicalité du cognitivisme de Maïmonide et ses implications, à travers le filtre d’une approche philosophique contemporaine.

Sur les thèmes abordés dans cette partie, on se doit de renvoyer à l’analyse menée par Colette Sirat (voir C. Sirat et S. Di Donato, « Maïmonide et les autographes du Dalālat al-Ḥā’irīn », Paris, Vrin, 2011), négligée par les auteurs. Ceci met en lumière, me semble-t-il, une limite du présent volume, dont les références bibliographiques sont presque exclusivement anglophones. Ceci ne permet pas de situer certaines contributions dans le cadre de la discussion académique internationale.

La partie III étudie le Créateur et la métaphysique. Le chapitre signé par Daniel Davies et Charles Manekin, « The Scope of Metaphysics », ouvre cette partie en considérant la place et le but de la métaphysique dans le Guide et dans le Mishneh Torah, selon une riche perspective à la fois textuelle et doctrinale. L’analyse d’Aaron Segal, « His Existence is Essentiality », porte aussi un regard aigu sur Maïmonide en tant que métaphysicien, notamment dans la discussion sur l’existence de Dieu et son essentialité, parmi les attributs divins. Le dernier chapitre de cette partie, par Silvia Jonas, « Whereof One cannot Speack », se penche de nouveau sur la question de l’ineffabilité divine et discute des implications philosophiques de la radicalité de la théorie maïmonidienne affirmant l’impossibilité d’une description positive de Dieu et d’une appréhension de sa réalité véritable, de la part de l’homme.

La partie IV traite de la réalité créée. Trois essais sont consacrés à divers aspects de la relation entre Dieu et l’univers créé, entre philosophie naturelle et noétique, dont il est question dans la deuxième partie du Guide. Les chapitres consacrés à la création du monde (Guide II, 13-30) sont la base textuelle de la contribution de Tamar Rudavsky, « Creation and Miracles in the Guide », où l’autrice relève et analyse les raisons et les issues de la tension conceptuelle à laquelle les doctrines de la création du monde et des miracles soumettent le naturalisme aristotélicien de Maïmonide. La reconstruction de la théorie de la prophétie et de la méthode prophétique, dans le Guide, font l’objet du chapitre de Dani Rabinowitz, « The Prophetic Method in the Guide ». L’auteur s’intéresse notamment au rapport entre vision prophétique et formation de la croyance, et s’appuie, dans son discours, sur de théories épistémologiques anciennes et contemporaines. Le troisième chapitre de cette partie, par Josef Stern, « Maimonides’ Modalities », considère des aspects critiques de la place des modalités – nécessité, possibilité et impossibilité – dans le corpus et l’argumentation de Maïmonide, en tant que contexte philosophique et logique de ces derniers.

La partie V est consacrée à la finitude humaine. Warren Z. Harvey consacre un chapitre, « Maimonides’ Critique of Anthropocentrism and Teleology », à reconstruire, détailler et examiner la discussion que Maïmonide aborde dans Guide III, 13, à propos de la fin ultime de l’univers et de la négation de l’anthropocentrisme. Dans sa fine analyse, l’auteur considère les aspects critiques de la position de Maïmonide et son évolution dans les différents ouvrages. Le problème de l’existence du mal est posé et analysé par David Shatz, « Maimonides and the Problem(s) of Evil », en considérant à la fois le point de vue métaphysique et psychologique de son approche (Guide III, 10-13 ; 17 ; 20-23).

La partie VI concerne les buts de l’homme. Le volume se conclut avec deux essais portant sur la Loi et sur la perfection humaine. La nature et l’intention de la loi divine, sa source et son but, et la question parallèle du fondement de l’autorité de la Loi (sagesse divine vs volonté), sont le sujet de la contribution de Moshe Halbertal, « The Nature and Purpose of Divine Law », qui vise notamment les chapitres II, 40 et III, 26-49, du Guide, où Maïmonide discute des raisons des commandements. L’essai de Steven Nadler, « Maimonides on Human Perfection and the Love of God », examine les connotations et les implications de la perfection ultime de l’homme, la vertu rationnelle, la perfection de l’intellect atteinte par la connaissance des vérités positives démontrées. Dans ce contexte, l’auteur prend en compte la question de l’amour de Dieu, notion et condition qui fait indéniablement partie de la perfection ultime de l’homme. L’analyse étudie le propos de Maïmonide et met en lumière les différences entre les écrits halakhiques et le Guide (III, 51-54), au sujet de l’amour de Dieu, entre un résultat du plus haut degré de perfection de la connaissance, et un état cognitif et intellectuel, identique à l’appréhension intellectuelle elle-même.

Silvia Di Donato

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Pour citer cet article : Daniel FRANK ET Aaron SEGAL (éd.), Maimonides’ Guide of the Perplexed. A Critical Guide, Cambridge, Cambridge University Press, « Cambridge Critical Guides », 2023, 316 p., in Bulletin de philosophie du Moyen Âge XXV, Archives de philosophie, tome 87/3, Juillet-Septembre 2024, p. 199-202.

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