Auteur : Silvia Locatelli

Lorenzo RUSTIGHI, Back Over the Sexual Contract. A Hegelian Critique of Patriarchy, Lanham-London, Lexington Books, 2022, 316 p.<

L’ouvrage est consacré au concept de patriarcat dans les théories modernes du contrat social. Plus précisément, il étudie l’interaction entre patriarcat et démocratie, en entendant celle-ci comme dérivant des théories du contrat social. Le texte se présente comme une tentative pour appliquer la philosophie hégélienne à la théorie du contrat social, en partant de ce qu’il considère comme l’omniprésence de la pensée patriarcale autrefois et aujourd’hui. Il prend alors appui sur les réflexions féministes sur un genre de contrat particulier, le contrat sexuel.

Lorenzo Rustighi examine la théorie du contrat social, qui trouve son point de départ dans le Léviathan de Hobbes, et qui, selon lui, constitue un point de rupture avec les formes antérieures de pensée politique. En effet, le contrat social fait passer d’une interrogation sur la governance – liée aux questions de la justice, du bonheur et de la vertu – à la question du power – impliquant l’élimination de toutes les interrogations précédentes au nom d’une politique éthiquement indifférente et fondée sur l’identité immédiate et assumée (autorisée) entre volonté individuelle et volonté collective. C’est dans cette situation qu’apparaît la grande contradiction de la démocratie moderne, où « la pure hétéronomie surgit, comme un facteur de constante déstabilisation […], du postulat démocratique de la pure autonomie » (p. 10). En effet, s’appuyant sur la pensée d’Olympe de Gouges, l’auteur note que la contradiction propre à toute démocratie consiste dans la réémergence constante de la différence (et notamment de la différence sexuelle) que la logique contractuelle cherche pourtant à éliminer et qu’elle ne peut comprendre.

Il devient ainsi possible de montrer le lien relationnel entre le patriarcat et la politique, en sorte que l’auteur peut affirmer, en s’opposant à des autrices comme Carole Pateman, l’impossibilité d’une division nette (d’entendement, dirait Hegel) entre assujettissement et liberté, entre privé et public. Cela lui permet de soutenir que faire du patriarcat un « problème » à éliminer de la politique moderne n’aide en rien à comprendre la logique de cette politique, qui est au contraire intrinsèquement liée à la rationalité patriarcale.

Pour l’auteur, on ne peut concevoir une démocratie capable de comprendre la différence (sexuelle) sans accéder à une « nouvelle compréhension constitutionnelle de la catégorie de gouvernance » (p. 233). C’est ici que l’hégélianisme pourrait être utile. D’un côté, en effet, l’auteur en appelle au penser hégélien pour critiquer négativement les effets contradictoires des diverses formes de contractualisme politique. De l’autre, il établit comment, avec Hegel, on peut penser une Aufhebung du concept moderne de Sovereignty en faveur du concept de l’État moderne – c’est-à-dire d’un État tel qui introduit dans son concept de pouvoir l’idée de justice, et réussit ainsi à se défaire de la « logique abstraite de légitimation qui avait pris possession des institutions politiques européennes après la Révolution française » (p. 244). En ce sens, selon Rustighi, la notion hégélienne de constitution est à saisir comme une tentative, constamment renouvelée et jamais pleinement atteinte, pour tenir ensemble le particulier et le général, pour concilier et mettre en dialogue des éthiques plurielles et différentes, au sein d’un État qui maintient sa structure, mais en réussissant à porter son attention sur la différence jamais résolue et à jamais insoluble qu’il porte en lui.

Silvia LOCATELLI (Universidade de Lisboa) [trad. J.-M. Buée]

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Pour citer cet article : Lorenzo RUSTIGHI, Back Over the Sexual Contract. A Hegelian Critique of Patriarchy, Lanham-London, Lexington Books, 2022, 316 p.<, in Bulletin de littérature hégélienne XXXII, Archives de philosophie, tome 85/4, Octobre-Décembre 2022, p. 167-204.

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Stefania ACHELLA, Pensare la vita. Saggio su Hegel, Bologna, Il Mulino, 2020, 320 p.

Le livre de Stefania Achella vise à présenter une relecture du travail de Hegel à l’aune du concept de vie, et, plus précisément, à l’aune du modèle de l’organisme vivant que nous offrent les sciences biologiques. Lire Hegel à la lumière de ce concept permet de considérer son système en mettant l’accent sur la vitalité du penser spéculatif.

En premier lieu, la tentative de saisir conceptuellement la vie incite à la recherche d’un modèle adéquat. En effet, la réflexion hégélienne se situe dans un contexte scientifique et philosophique qui n’est pas encore assez mûr pour penser ce phénomène de façon rigoureuse : d’un côté, les études liées à la biologie commencent à montrer l’insuffisance de la physique mécanique pour décrire le processus vital ; de l’autre, la philosophie kantienne présente la vie comme un mystère qui ne peut être connu scientifiquement au moyen du paradigme de la causalité efficiente.

Hegel, pressentant que le phénomène vital exhibe de lui-même le paradigme cognitif adéquat à sa compréhension, parvient à résoudre ce problème en fournissant « un nouveau modèle de la raison » (p. 157), le penser spéculatif, formé sur le modèle du phénomène vital que nous fournit la biologie. On parvient ainsi à la coïncidence des lois du penser et des lois de la vie, de l’organisme. Selon S. Achella, les caractéristiques qui font du modèle organique une référence adéquate pour la rationalité du penser spéculatif sont diverses : l’aptitude à la connexion concrète de l’universel et du particulier, le rapport constitutif à la finitude, la mort, la négation, considérées comme les moteurs du processus vital et de la raison spéculative ; le développement à travers un mouvement autorégulé et autodéterminé.

D’après l’autrice, l’analyse du processus vital ne représente pas pour Hegel un projet exclusivement épistémologique, mais aussi ontologique. En effet, le penser spéculatif partage avec la réalité la même structure vitale, dynamique, organiquement structurée. Autrement dit, il est fondamental de montrer le développement dialectique de la réalité, dans la mesure où « la vie n’est pas seulement un exemple du développement du penser, mais est elle-même un penser vivant » (p. 206). Ainsi, l’ontologie hégélienne se structure comme une « ontologie vivante » (p. 182), qui trouve ses dynamiques propres dans l’épistémologie du penser spéculatif.

Silvia LOCATELLI (Università degli Studi di Padova) [trad. J.-M. Buée]

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Pour citer cet article : Stefania ACHELLA, Pensare la vita. Saggio su Hegel, Bologna, Il Mulino, 2020, 320 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXI, Archives de philosophie, tome 84/4, Octobre-Décembre 2021, p. 141-180.

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