Auteur : Stephen M. Metzger
Monica Brînzei & William O. Duba (eds.), Principia on the Sentences of Peter Lombard. Exploring an Uncharted Scholastic Philosophical Genre Across Europe, Turnhout, Brepols, « Studia Sententiarum » 7, 2024, 2 vols, XXVII-699 pages et VI-468 pages ; version électronique en libre accès sous licence Creative Commons.
Il peut sembler un peu curieux de considérer les éditeurs et contributeurs de ces deux volumes substantiels comme des pionniers, et pourtant cette désignation est entièrement justifiée. Cela ne signifie pas que les Principia universitaires formaient un domaine complètement ignoré. Au fil des ans, de nombreux chercheurs avaient fourni des indications sur l’existence de ces textes, leur nature, leur contexte historique et leur contenu. Franz Ehrle fut le premier, mais on peut aussi mentionner Palémon Glorieux, Damasus Trapp ou Jeanne Barbet. Cependant, aussi importantes qu’aient été et que continuent d’être ces études, elles n’ont pas clarifié la situation et ont laissé les étudiants en philosophie, théologie et histoire intellectuelle médiévales plus interrogatifs que vraiment éclairés. Il y avait besoin de poursuivre le travail, mais le terrain était difficile, constitué de textes courts, écrits par des auteurs inconnus, dans des manuscrits largement ignorés. En d’autres termes, donner à ces textes la place qui leur revient nécessitait un énorme investissement en temps et en efforts. Tel Prométhée descendant de l’Olympe, les éditeurs et les contributeurs de ces volumes ont apporté la lumière et fourni la carte permettant de naviguer dans ces eaux étranges et périlleuses.
Il pourrait être tentant de qualifier de définitive cette étude des Principia, et certains voudront sans doute le prétendre. Ce serait une erreur, et les éditeurs, dans leur introduction, s’empressent de dire que ces études ne constituent qu’une première étape dans l’examen des Principia des Sentences dans leur intégralité. Bon nombre des contributions incluses dans ce volume peuvent être qualifiées à juste titre d’essais. Il reste encore beaucoup de travail à faire et, comme le soulignent les éditeurs, d’autres études sont attendues. Quoi qu’il en soit, la communauté scientifique dispose enfin d’un guide fiable sur ce genre universitaire.
La nature des Principia et les diverses significations du terme sont magistralement exposées dans le « Guide » de Monica Brînzei qui ouvre l’ouvrage (p. 1-37). Les Principia sont le fruit d’un exercice universitaire officiel qui se déroulait au début d’un cours de licence sur les quatre livres des Sentences de Pierre Lombard. Le premier volume est consacré aux universités de Paris et d’Oxford et contient douze essais, tandis que le second présente neuf contributions concernant Bologne, Cracovie, Florence, Heidelberg, Prague et enfin Vienne.
Sous le titre général de Principia se trouvent trois éléments distincts. Le premier est un sermon oral. Son verset scripturaire initial, qui guide la présentation, traite soit de la nature des Sentences en général, soit du sujet de chaque livre en particulier. Ces citations bibliques contiennent souvent des jeux de mots qui permettent d’identifier l’auteur et qui constituent une sorte de copyright ou de moyen d’identification, sans que celui-ci doive signer de son nom. Le « discours-sermon » est suivi d’une protestatio, dans laquelle le bachelier promet de défendre la vérité théologique et de ne rien dire qui lui soit contraire. Enfin, vient un débat sur une question théologique spécifique, qui a souvent d’importantes implications philosophiques. Là se trouve la caractéristique la plus frappante d’un Principium. Lors de ces débats, d’autres bacheliers appartenant à la cohorte de la même année académique (des socii) fournissaient les arguments auxquels l’orateur devait répondre. Cet aspect permet de savoir quels étaient les étudiants d’une année donnée, et quels étaient les sujets théologiques et philosophiques dont ils désiraient le plus discuter. Ces deux volumes fournissent ainsi de nombreuses informations prosopographiques sur les étudiants des xive et xve siècles, en particulier dans les contributions de William Courtenay (p. 41-63 et p. 431-471) et de Christopher Schabel (p. 261-366, mais les cinq articles de ce dernier fournissent tous des informations importantes à cet égard). Les cas d’étude spécifiques se concentrent soit sur un « discours-sermon » initial, soit sur une question disputée, et de nombreux textes sont édités pour la première fois dans les annexes.
Ces volumes mettent en lumière des aspects intéressants de la vie universitaire qui semblent aujourd’hui, sinon certains, du moins très probables. Le premier est que des actes qui au xiiie siècle relevaient typiquement de la compétence des maîtres passent dans le domaine d’exercice des bacheliers au plus tard dans la deuxième décennie du xive siècle. Par exemple, lors d’une cérémonie d’intronisation d’un nouveau maître en théologie au xiiie siècle, le théologien promu prononçait deux discours valorisant la théologie et la plaçant au-dessus de toutes les autres sciences. Le Rigans montes de Thomas d’Aquin est peut-être l’exemple le plus connu, mais il en existe plusieurs autres étudiés par Nancy Spatz dans sa thèse non publiée. Il n’y a guère d’exemples de textes magistraux de ce type au xive siècle, mais il existe de nombreux textes similaires rédigés à cette époque par des bacheliers, et qui font l’objet de ces deux volumes.
En outre, il est bien connu que, vers 1320, le célèbre genre des questions quodlibétales disparaît. Mais il a survécu sous deux formes distinctes : la question dite « sorbonique » et la quaestio collativa des Principia dus aux bacheliers. En effet, sur la base des conclusions de ces volumes, il apparaît maintenant que ce que Palémon Glorieux, Nancy Spatz et moi-même avons affirmé, à savoir que la cérémonie de réception d’un maître (inceptio) comprenait au xiiie siècle des questions disputées, n’est pas vrai. Glorieux, travaillant à partir de statuts plus tardifs, a sans doute confondu la pratique des xive et xve siècles avec la cérémonie d’entrée en fonction typique du xiiie siècle. Mon intuition est qu’un tel débat n’avait pas lieu lors de la réception des maîtres en théologie au xiiie siècle, et un témoignage en est qu’il n’y a pas de questions in aula (qui se tenaient le matin in aula episcopi) ni in vesperiis (le soir), qui auraient dû suivre selon Glorieux le Rigans montes de Thomas d’Aquin. Cependant, les témoins manuscrits de tels textes datant du xiiie siècle sont peu nombreux, nous n’en avons le plus souvent qu’un seul. On ne peut donc pas affirmer avec certitude que de telles disputes n’ont pas eu lieu chez les maîtres du xiiie siècle, mais cela semble de plus en plus improbable.
En outre, plusieurs contributions dans ces volumes soulignent le passage de la performance orale des discours et des questions disputées à leur forme écrite finale et mettent l’accent sur les différences entre elles. Comme les Quodlibeta, les Principia ont été révisés et complétés après la tenue de l’événement, notamment en ce qui concerne les positions des socii qui sont plus largement présentées dans une version ultérieure. Deux éléments en ressortent. D’une part, un texte écrit circule parmi les bacheliers avant et après le débat, facilité par la disponibilité croissante du papier comme support d’écriture, ce qui explique aussi la survie de ces textes. Deuxièmement, cela remet en question la relation entre les prologues placés avant le commentaire d’un théologien donné sur les Sentences, et le texte lui-même. Ces prologues peuvent être, et sont peut-être souvent, des versions révisées de la performance orale, ce qui signifie qu’à l’origine ils sont des discours principiels. Cependant, cela est vrai non seulement pour le « discours-sermon » qui sert de préface ou de prologue, mais aussi pour les questions disputées principielles.
Dans sa contribution au premier volume, Florian Woller pose la question suivante : quel est le texte qui figure au début des commentaires du xiiie siècle sur les Sentences, par exemple ceux de Thomas d’Aquin et de Bonaventure, qui commencent par une citation scripturaire de la même manière que les discours principiels des xive et xve siècles examinés dans ces volumes, et lus d’une manière tout à fait similaire ? Il se peut qu’au xiiie siècle il y ait eu quelque chose de semblable aux actes universitaires étudiés ici. Il y a eu une certaine continuité de la tradition à travers le temps, même si l’université elle-même est devenue plus « centrée sur les étudiants » dans les premières décennies du xive siècle. Cela semble probable, mais ce qui est vraiment innovant et nouveau au xive siècle, ce sont les questions disputées sur un sujet spécifique débattu par les socii d’une année académique donnée.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur ces deux volumes, qui totalisent près de 1 200 pages, et cette recension ne leur a pas rendu pleinement justice. Avant de conclure, il convient toutefois de mentionner un autre point concernant le « discours-sermon » initial. Les Principia ne sont pas l’apanage de la faculté de théologie. Dans le manuscrit (ayant appartenu à Pierre Roger) du Vatican, Borghese 83, Anneliese Maier a identifié aux fos 24r-25r un discours-principium de la faculté de médecine. De même, dans une section consacrée aux discours principiels du xive siècle, le premier d’entre eux, un manuscrit de Saint-Gall, est le prologue de la Sententia in librum Metaphysicae d’Humbert de Preuilly (Cod. 1023, p. 75-77). Ce texte est-il dérivé d’un Principium prononcé par Humbert à un moment donné de son séjour à la faculté des lettres, toutes les facultés organisaient-elles de tels événements académiques publics pour les maîtres ou les bacheliers ? Ces événements comprenaient-ils des débats, combien de textes de ce type provenant d’autres facultés ont-ils survécu ? La carte fournie par Monica Brînzei, William Duba et leurs nombreux collaborateurs est indispensable, mais elle laisse aussi beaucoup d’espace pour d’autres études.
Stephen M. Metzger
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Pour citer cet article : Monica Brînzei & William O. Duba (eds.), Principia on the Sentences of Peter Lombard. Exploring an Uncharted Scholastic Philosophical Genre Across Europe, Turnhout, Brepols, « Studia Sententiarum » 7, 2024, 2 vols, XXVII-699 pages et VI-468 pages ; version électronique en libre accès sous licence Creative Commons, in Bulletin de philosophie du Moyen Âge XXVI, Archives de philosophie, tome 88/3, Juillet-Septembre 2025, p. 256-259.