Auteur : Valentin Braekman
William OF OCKHAM, Questions on Virtue, Goodness, and the Will, édité et traduit par Eric W. Hagedorn, Cambridge, Cambridge University Press, 2021, 400 p.
Guillaume d’Ockham est depuis toujours perçu comme un penseur de la rupture, celui qui a définitivement abandonné les anciennes conceptions du monde, de la connaissance et du langage. L’éthique ne fait pas exception. À son époque déjà, ses affirmations sur le péché et la toute-puissance divine lui ont valu l’emprisonnement et la condamnation. On retiendra de lui l’idée selon laquelle il peut être vertueux de haïr Dieu, si telle est la volonté de ce dernier. Au XXe siècle encore, Ockham est présenté sous les traits d’un volontariste radical par Frederick Copleston et comme un pourfendeur du droit naturel antique par Michel Villey. Il faut pourtant se poser la question suivante : que lit-on d’Ockham ? Son chef-d’œuvre, la Somme de logique, contient très peu de remarques sur l’éthique. Ses idées en la matière sont disséminées dans un vaste corpus dont les textes sont de nature variée et répondent à des objectifs très différents.
Le mérite premier de la publication d’Eric W. Hagedorn est de rendre accessible la pensée éthique d’Ockham, non seulement en vertu de la traduction proposée, mais également, et peut-être surtout, en vertu de l’ordre qu’elle met dans les textes. L’ouvrage est composé selon un plan très structuré qui facilite grandement la compréhension de la pensée ockhamienne, de la psychologie à la théologie, en passant par la théorie de l’action et l’éthique. Presque tous les textes d’Ockham touchant à ces matières sont ici traduits, à l’exception de la septième des Quaestiones variae connue sous le titre « De connexione virtutum ». Celle-ci aurait évidemment mérité sa place dans cette sélection, mais le choix de l’auteur est cependant parfaitement compréhensible, puisque le texte fait déjà l’objet d’une excellente traduction anglaise par Rega Wood.
Ce ne sont donc pas moins de vingt-sept questions, dont une bonne partie n’avait jamais été traduite en anglais, qui nous sont proposées. Certaines d’entre elles ont été très peu étudiées, même par les meilleurs spécialistes. Elles sont ici regroupées en quatre sections qui nous donnent à comprendre les critères de leur sélection. La première porte sur « la volonté créée » et s’intéresse essentiellement à la « psychologie » d’Ockham : le rapport entre l’intellect et la volonté, le plaisir et la peine, l’amour et la haine, la fin ultime, etc. La seconde porte sur « la volonté divine » et s’intéresse essentiellement aux limites de cette volonté : Dieu peut-il créer un monde meilleur ? Sa volonté peut-elle être empêchée par une volonté créée ? Est-il soumis à une obligation ? Cette section est la plus homogène de toutes puisqu’elle est constituée de cinq questions successives extraites de la fin de l’Ordinatio. La troisième section porte sur la vertu et la bonté morale. On touche ici au cœur de l’ouvrage et à l’éthique ockhamienne proprement dite. S’y trouvent des questions sur la nature et la génération de la vertu, sur la tempérance et la prudence, sur le péché mortel et sur le fondement de la bonté morale. La dernière section, quant à elle, traite en particulier de la charité, du mérite et de la grâce. Elle comprend plusieurs questions portant sur les vertus théologales et sur les conditions de l’acte méritoire. Voici donc les textes éthiques d’Ockham présentés pour la première fois de façon systématique et exhaustive.
L’Introduction est très éclairante sur l’état des textes et sur les choix relatifs à la traduction. Elle rappelle que, concernant le Commentaire des Sentences, seule l’Ordinatio (livre I) a fait l’objet d’une révision par Ockham. Les autres livres (II à IV) sont le résultat d’une transcription non éditée de son enseignement (Reportatio). Or, et c’est un point que l’auteur ne mentionne pas, la plupart des textes d’Ockham sur l’éthique (en particulier la section 3) sont extraits de reportationes ; un point qu’il faut garder à l’esprit au moment de les interpréter. Comme toute traduction, celle-ci procède de choix qui peuvent être discutés. Cependant, l’auteur met tout en œuvre pour les justifier et rendre ses décisions compréhensibles. Son intention est d’allier la fidélité, la précision et l’accessibilité du texte. Enfin, après une courte biographie, l’Introduction donne un aperçu de la théorie d’Ockham dans l’histoire de la pensée occidentale. Les remarques à ce propos restent très générales et l’auteur ne s’étend pas : ce n’est pas l’objet de son volume. Un état de la question permet de bien situer le débat entre les chercheurs et les différentes interprétations des thèses d’Ockham en éthique. Le lecteur francophone sera peut-être déçu de constater que la littérature prise en considération est exclusivement anglo-saxonne, mais cela n’enlève rien à la grande qualité du travail accompli. Il est rare de trouver en si peu de pages tant d’informations utiles à la lecture.
En définitive, l’ouvrage d’E. W. Hagedorn est un outil précieux, non seulement pour l’enseignement, mais également pour l’étude de la théorie morale ockhamienne. Réalisé avec le plus grand soin, il ne fait aucun doute qu’il ouvre la porte à de nouvelles recherches en la matière et peut-être aussi à la révision de certaines thèses interprétatives.
Valentin Braekman
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Pour citer cet article : William OF OCKHAM, Questions on Virtue, Goodness, and the Will, édité et traduit par Eric W. Hagedorn, Cambridge, Cambridge University Press, 2021, 400 p., in Bulletin de philosophie du Moyen Âge XXV, Archives de philosophie, tome 87/3, Juillet-Septembre 2024, p. 199-202.