Auteur : Victor Béguin

G. W. F. HEGEL, Vorlesungen über die Geschichte der Philosophie III. Nachschriften zum Kolleg des Wintersemesters 1825/26 (Gesammelte Werke, Bd. 30,3), éd. Klaus Grotsch, Hamburg, Meiner, 2023, X-568 p.

Ce volume vient poursuivre l’édition de l’ensemble des témoins documentant les Leçons sur l’histoire de la philosophie de Hegel dans le cadre des Gesammelte Werke. Après les cours de 1819, 1820-1821 (GW 30,1) et 1823-1824 (GW 30,2), c’est désormais le cours de 1825-1826 dont les sources sont intégralement publiées par Klaus Grotsch. Comme GW 28,4, qui paraît au même moment, ce volume est naturellement dédié à la mémoire de Walter Jaeschke, décédé peu de temps avant sa publication : non content d’avoir assuré la supervision de l’édition des cours dans l’édition des GW, Jaeschke avait apporté à l’édition scientifique des cours sur l’histoire de la philosophie dans l’ancienne « série bleue » des Vorlesungen une contribution reconnue. Personne n’aura fait plus que lui, ces trente dernières années, pour rendre accessible aux chercheurs le véritable Hegel, celui qui n’a pas seulement écrit, mais aussi enseigné.

Ce nouveau volume est d’une exceptionnelle richesse, puisqu’il présente environ 550 pages de texte, avec d’amples variantes consignées dans l’apparat critique. Mais c’est aussi probablement le moins attendu de la série. En effet, grâce aux efforts pionniers de Walter Jaeschke et Pierre Garniron, une première édition complète du cours de 1825-1826 avait été publiée dans les tomes 7 à 9 de l’ancienne « série bleue » des éditions Meiner entre 1986 et 1996. Certes, les principes éditoriaux adoptés diffèrent : dans l’ancienne édition, les efforts avaient porté sur l’établissement d’un texte continu en orthographe modernisée, assorti de quelques brèves variantes en note ; dans le présent volume, en revanche, la Nachschrift la plus complète (celle de Griesheim) est éditée telle qu’elle a été transmise, dans son orthographe d’origine, et les variantes tirées des autres Nachschriften sont abondamment citées dans l’apparat critique lorsqu’elles en diffèrent afin de donner accès à l’ensemble du matériau disponible. Mais il n’en demeure pas moins que la Nachschrift Griesheim était déjà bien connue des spécialistes, puisqu’elle avait déjà servi de base à l’établissement du texte de l’ancienne édition. La vraie nouveauté réside sans doute dans un témoin découvert entre-temps et dont les leçons ont pu être retenues pour cette nouvelle édition ; en effet, autant les Nachschriften Griesheim, Löwe, Pinder, Stieve et l’anonyme dédiée à Helcel avaient déjà été prises en compte en 1986-1996, autant une Nachschrift établie par Dove est venue s’ajouter à la liste des sources.

Après une introduction de 65 pages, on trouve 32 pages consacrées à la « philosophie orientale ». La comparaison avec les précédents volumes permet d’affirmer qu’il s’agit d’une innovation du cours de 1825-1826, ce qui est tout à fait significatif, même si, comme on le sait, ce développement a pour principal objectif de montrer que cette « philosophie orientale » (c’est-à-dire surtout indienne) n’appartient pas à l’histoire de la philosophie proprement dite. Par la suite, c’est comme toujours la « philosophie grecque » qui est, de très loin, la plus développée : ce ne sont pas moins de 304 pages qui lui sont dévolues, face auxquelles les 57 pages sur la philosophie médiévale confirment le statut (certes justifié par les nécessités du concept, mais tout de même) de parent pauvre de cette époque intermédiaire. Les 83 pages consacrées à la « philosophie récente » (neuere Philosophie) apportent, entre autres choses, des éléments intéressants sur la construction de l’historiographie hégélienne de ce que l’on appelle désormais plutôt la philosophie allemande classique. Le récit est limpide : seuls sont retenus Kant, Jacobi, Fichte et Schelling, et ils sont ordonnés selon une succession logique Kant – Fichte – Schelling (à l’horizon de laquelle se trouve bien entendu Hegel lui-même, comme l’indique en toute clarté la dernière phrase, p. 1 336), dans laquelle « on parlera aussi » de Jacobi, mais « en lien avec Kant » (p. 1 309). Si la pensée de Jacobi est bien exposée, sa position dans le récit apparaît déjà marginale (puisqu’il n’est, dans la lecture hégélienne, qu’un double inversé – et à ce titre, presque redondant – de Kant). On voit alors comment cette historiographie hégélienne constitue la matrice du grand récit de « l’idéalisme allemand » et de ses quatre « grandes figures », Kant, Fichte, Schelling et Hegel.

Victor BÉGUIN (ENS de Lyon)

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Pour citer cet article : G. W. F. HEGEL, Vorlesungen über die Geschichte der Philosophie III. Nachschriften zum Kolleg des Wintersemesters 1825/26 (Gesammelte Werke, Bd. 30,3), éd. Klaus Grotsch, Hamburg, Meiner, 2023, X-568 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXIII, Archives de philosophie, tome 86/4, Octobre-Décembre 2023, p. 149-186.

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G. W. F. HEGEL, Vorlesungen über die Philosophie der Religion und Vorlesungen über die Beweise vom Dasein Gottes. Nachschriften zu den Kollegien über Religionsphilosophie der Sommersemester 1827 und 1831 und über die Beweise vom Dasein Gottes vom Sommersemester 1829 (Gesammelte Werke, Bd. 29,2), éd. Walter Jaeschke, Hamburg, Meiner, 2021, VIII-483 p.

Ce volume poursuit la publication des notes prises par les auditeurs des cours de Hegel sur la philosophie de la religion. Après un premier volume (GW 29,1) couvrant les cours de 1821 et 1824, ce sont désormais les sources des cours de 1827 et 1831 qui sont ici éditées par Walter Jaeschke. Conformément aux principes adoptés dans les GW, un cahier sert pour chaque cours de texte de référence, et les variantes données par les autres sources disponibles sont renvoyées en note. L’ensemble des matériaux connus est donc mis à disposition des chercheurs. On mesure le chemin parcouru depuis les premières éditions de Marheineke (1832) et Bauer (1840), chemin qui est, en un sens, celui même de l’approche scientifique et critique du corpus hégélien.

De manière plus précise, ce volume présente quatre ensembles de documents de nature assez différente. Premièrement, il donne la transcription d’une Nachschrift anonyme offrant un aperçu extrêmement détaillé (en quelque 230 pages !) du cours sur la philosophie de la religion de 1827. Ce texte est complété par les variantes (relativement peu nombreuses, en comparaison de la place qu’elles occupent dans certains autres volumes des GW) tirées des cahiers Boerner et Hube ainsi que d’un autre cahier anonyme qui n’avait pas pu être pris en compte dans la précédente édition Jaeschke (1983-1985, dans la « série bleue » de Meiner) et constitue donc un matériau nouveau. Il n’est pas besoin de rappeler la richesse et l’intérêt extrêmes de ce cours, déjà connus des lecteurs de la précédente édition.

Deuxièmement, W. Jaeschke propose une nouvelle transcription de l’unique témoin du cours de 1831 : un ensemble d’extraits d’une Nachschrift anonyme recopiés par David Friedrich Strauss. Ces extraits couvrent toutes les parties du cours, mais n’en donnent malheureusement, en une quarantaine de pages, qu’une image assez approximative.

Troisièmement, le volume comprend également une section consacrée à la transmission secondaire, composé de ce que l’ancienne édition Jaeschke nommait, d’un terme emprunté au vocabulaire de l’exégèse biblique, le Sondergut, c’est-à-dire les passages des éditions Marheineke et Bauer dont aucune source n’a pu être identifiée dans le manuscrit autographe de 1821 ou les cahiers d’auditeurs connus. Ce matériau n’est pas négligeable, puisqu’il couvre environ 160 pages. Alors qu’il figurait en note de bas de pages dans la précédente édition, il est désormais mis bout à bout en une suite d’extraits, ce qui n’en facilitera sans doute pas la lecture. Notons cependant que l’éditeur a accompli le travail extrêmement précieux consistant à relever, pour chaque passage, les parallèles et échos offerts par les Nachschriftenet le manuscrit, ce qui ne manquera pas de rendre bien des services.

Mais le principal apport de ce volume est à chercher dans sa quatrième et dernière partie, qui présente la transcription de deux cahiers d’auditeurs relatifs aux Leçons sur les preuves de l’existence de Dieu professées par Hegel en 1829. Il s’agit là d’un véritable événement éditorial, puisque ce cours n’était pour l’instant connu que par la version publiée en 1832 dans l’édition des « amis du défunt », présentée comme un texte préparé par Hegel lui-même pour une publication qui n’avait pu aboutir de son vivant. Or il est bien connu que le manuscrit autographe ayant servi de base à l’édition a, depuis, été perdu. Les deux Nachschriften ici publiées pour la première fois réduisent donc notre dépendance à l’égard du travail des premiers éditeurs en nous permettant de comparer le texte mis au point par Hegel et transcrit par eux, avec quelques traces du cours qu’il a prononcé. Parmi les problèmes que ces nouveaux documents peuvent contribuer à résoudre, le plus passionnant est sans doute celui de savoir si le texte de 1832 est ou non achevé. Le problème est le suivant : d’un côté, les Leçons dans leur état publié présentent toutes les caractéristiques formelles de l’achèvement (notamment parce qu’elles se referment sur la mention « terminé le 19 août 1829 », qui renvoie à la date de la dernière séance du cours) ; mais d’un autre côté, si l’on considère leur contenu, elles donnent l’impression d’être inachevées, puisque seule la preuve cosmologique y est abordée de manière détaillée. Les deux Nachschriften permettent de trancher un point important : le contenu du texte publié en 1832 correspond à celui des cours de 1829. Il n’y manque rien : les deux ensembles se referment sur l’examen des variantes religieuses et philosophiques du panthéisme, qui s’inscrit dans une discussion de grande ampleur sur la preuve cosmologique menée à partir du rapport entre nécessité et contingence. On peut dès lors se poser la question : Hegel n’a-t-il pas eu le temps de présenter tout ce qu’il avait prévu de dire ? Mais comme il n’existe à notre connaissance aucun autre exemple d’un cours qui n’aurait pas été achevé faute de temps, on peut se demander si le texte des Preuves, tel qu’on le connaît depuis 1832, n’est pas complet. Il faudrait alors se ranger à l’hypothèse défendue entre autres par Jean-Marie Lardic dans l’introduction à son excellente traduction du texte de 1832, selon laquelle seule la preuve cosmologique remplit à strictement parler la tâche que Hegel assigne à l’entreprise consistant à prouver l’existence de Dieu, à savoir « l’élévation de l’esprit humain à Dieu » (GW 29,1, p. 447), ce qui expliquerait qu’elle soit la seule à faire l’objet d’une analyse détaillée. Cette solution serait sans doute décevante si l’on s’attendait à une grande réinterprétation systématique des trois preuves dans leur formulation kantienne, mais elle pourrait cadrer avec la position « stratégique » originale que les preuves occupent dans l’exposition du système (celle d’une médiation entre la représentation religieuse et la logique). Sans trancher une question aussi épineuse dans l’espace très réduit de cette recension, on ne peut que remercier W. Jaeschke de mettre à disposition des documents qui redistribuent les données du problème et nous permettent d’envisager sa prochaine résolution.

Victor BÉGUIN (Université Grenoble Alpes)

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Pour citer cet article : G. W. F. HEGEL, Vorlesungen über die Philosophie der Religion und Vorlesungen über die Beweise vom Dasein Gottes. Nachschriften zu den Kollegien über Religionsphilosophie der Sommersemester 1827 und 1831 und über die Beweise vom Dasein Gottes vom Sommersemester 1829 (Gesammelte Werke, Bd. 29,2), éd. Walter Jaeschke, Hamburg, Meiner, 2021, VIII-483 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXII, Archives de philosophie, tome 85/4, Octobre-Décembre 2022, p. 167-204.

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Georg OSWALD, Das freie Sich-Entlassen der logischen Idee in die Natur in Hegels Wissenschaft der Logik (Hegel-Studien, Beiheft 70), Hamburg, Meiner, 2020, 205 p.

 

 

Issu d’une thèse de doctorat soutenue à l’Université Ruprecht-Karl de Heidelberg, le livre de G. Oswald est sans doute la première monographie intégralement consacrée à l’une des questions les plus complexes et les plus disputées de l’exégèse hégélienne : comment faut-il comprendre la transition de la logique à la philosophie de la nature, telle qu’elle est exposée dans la dernière page de la Doctrine du concept et dans le § 244 de l’Encyclopédie ? Cette véritable crux du commentaire est d’une importance capitale, car elle met en jeu aussi bien la cohérence d’ensemble du système que le statut respectif de la logique et de la Realphilosophie ou la détermination conceptuelle de la nature. Pour répondre à cette question, l’auteur adopte une méthode qu’il qualifie lui-même de « reconstruction systématique » ou « immanente » (p. 13-14), sans se priver d’emprunter occasionnellement aux deux autres méthodes identifiées dans son introduction, à savoir la recherche historico-critique des sources et la « reconstruction libre ». En conséquence de ce choix méthodologique, l’ouvrage s’emploie à reconstituer, de manière plausible, la cohérence logico-systématique de la pensée hégélienne à partir d’une analyse minutieuse des textes ; ni son inscription dans l’histoire de la philosophie, ni son actualité possible ne sont au cœur de la recherche présentée, bien que l’une comme l’autre soient évoquées en plusieurs endroits de l’ouvrage. Pour mener à bien ce travail, l’auteur procède en cinq étapes. Dans un premier temps (ch. 1-2), il tente tout d’abord de comprendre quelle est cette « idée absolue » qui se « laisse aller librement » dans (ou à) la nature ; ces deux chapitres consistent donc essentiellement en un commentaire de la section « Idée » de la Doctrine du concept de 1816. Dans un deuxième temps (ch. 3), l’auteur expose un certain nombre de principes concernant la « méthode » spéculative, et revient à cette occasion sur le sens précis des termes « concept » et « système ». Dans un troisième temps (ch. 4), il s’interroge sur le caractère « ouvert » ou « fermé » du système exposé dans la Science de la logique à partir d’une analyse du rapport entre l’idée et les notions de subjectivité et d’objectivité. Un quatrième moment (ch. 5) est consacré à l’étude minutieuse des textes de Hegel explicitement consacrés à la transition logique/nature : il s’agit alors de déterminer en quel sens la transition de la logique à la philosophie de la nature est une sortie hors de la logique et dans quelle mesure elle est programmée à l’intérieur de la logique. Dans un cinquième temps (ch. 6), l’auteur tire les conséquences de son analyse de ladite transition pour la détermination conceptuelle et systématique du rapport entre logique et Realphilosophie.

De manière générale, l’ouvrage se soucie moins d’avancer des thèses originales et fracassantes (il n’en formule pas moins de véritables thèses interprétatives) que d’étudier le détail des textes pour proposer avec la prudence qui s’impose une reconstruction aussi fidèle que possible à l’ambition hégélienne. Les analyses proposées se caractérisent notamment par l’attention portée à la précision de la terminologie hégélienne et une conscience nette des enjeux conceptuels et systématiques dont les choix terminologiques sont porteurs. On pourra cependant regretter que le status quaestionis ne soit pas mené avec plus d’exhaustivité, et que la littérature secondaire discutée demeure assez restreinte : on aurait été en droit d’attendre une bibliographie exhaustive dans les quatre langues traditionnelles de l’exégèse hégélienne (alors que les littératures francophone et italophone sont totalement ignorées). Malgré ces limites, l’ouvrage est une contribution de valeur à la compréhension de l’un des points les plus difficiles du système hégélien.

Victor BÉGUIN (Université Grenoble Alpes)

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Pour citer cet article : Georg OSWALD, Das freie Sich-Entlassen der logischen Idee in die Natur in Hegels Wissenschaft der Logik (Hegel-Studien, Beiheft 70), Hamburg, Meiner, 2020, 205 p.

, in Bulletin de littérature hégélienne XXXII, Archives de philosophie, tome 85/4, Octobre-Décembre 2022, p. 167-204.

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G. W. F. HEGEL, Vorlesungen über die Geschichte der Philosophie II. Nachschriften zum Kolleg des Wintersemesters 1823/24 (Gesammelte Werke, Bd. 30,2), éd. Klaus Grotsch, Hamburg, Meiner, 2020, 328 p.

Dans le cadre de la publication intégrale des Nachschriften des leçons hégéliennes qui vient couronner l’entreprise des GW, ce volume est le deuxième du tome dévolu aux Leçons sur l’histoire de la philosophie, placé sous la responsabilité de Klaus Grotsch. Un premier volume, compilant les sources relatives aux cours du semestre d’été 1819 (Nachschrift anonyme complétée à l’aide du résumé d’un cahier de Henning) et du semestre d’hiver 1820/21 (Nachschrift Häring), a déjà paru en 2016. Ce deuxième volume contient, quant à lui, la transcription complète de la Nachschrift Hotho du cours dispensé lors du semestre d’hiver 1823/24 ainsi que des annotations marginales (particulièrement fines et précieuses) ajoutées a posteriori à ce document par le même Hotho. Il fait figurer dans l’appareil critique en bas de page les variantes tirées de la Nachschrift Hube, conformément au principe adopté pour la publication des Nachschriften dans les GW. On trouve à la fin du volume une innovation bienvenue : une version préparatoire de la notice éditoriale à paraître dans le futur vol. 30,6, qui donne en quelques pages des indications permettant de mieux situer et utiliser les documents publiés. Espérons que cela devienne la norme dans les GW, car les volumes composant un tome donné sont souvent difficilement maniables tant que le volume d’Anhang, qui paraît en dernier, n’est pas disponible.

Le matériau présenté dans ce nouveau volume est presque intégralement inédit. En effet, seule l’introduction de ce cours avait été éditée par Garniron et Jaeschke en 1994 dans le tome 6 de l’ancienne « série bleue » des Vorlesungen aux éditions Meiner. Pour le reste, la connaissance de ce que Hegel avait enseigné en matière d’histoire de la philosophie ne pouvait jusqu’à présent s’appuyer – sans compter bien sûr GW 30,1 – que sur l’édition Michelet, composée à partir de deux cahiers perdus (Michelet, 1823/24 et Kampe, 1829/30) et d’un cahier conservé (Griesheim, 1825/26), et sur l’édition préparatoire de Garniron et Jaeschke dans la « série bleue » (1986/96), qui, après avoir édité chaque version de l’introduction, ne proposait qu’une reconstitution intégrale du cours de 1825/26, le mieux documenté. Autant dire que ce volume représente un apport considérable à la connaissance de l’histoire hégélienne de la philosophie. Il réjouira également l’amateur de philologie hégélienne par ce qu’il nous apprend sur l’édition Michelet : on découvre en effet, p. 786 de la notice éditoriale, que de nombreuses leçons de la Nachschrift Hube figurant ici en variantes infrapaginales se retrouvent quasiment à l’identique dans l’édition Michelet. Considérant que ce dernier affirme s’être appuyé, pour le cours de 1823/24, sur ses propres notes, perdues depuis, on peut raisonnablement supposer que les leçons en question conservent d’infimes traces d’expressions réellement prononcées par Hegel…

Dans l’ensemble, les grands équilibres correspondent à ceux de l’édition Michelet : écrasante domination de la philosophie antique (145 p., soit plus de la moitié du développement total), attention certaine à la philosophie moderne (92 p.), et philosophie médiévale réduite à la portion congrue (27 p.). Pour brèves qu’elles soient, ces 27 pages sont cependant précieuses, car elles donnent une excellente idée des principes expliquant la dévalorisation de la séquence médiévale (voir notamment, à la p. 663, cette note marginale limpide : la philosophie médiévale est « la philosophie comme aliénation [Entäußerung] d’elle[-même], ou au service de la religion »), et des conséquences de cette dévalorisation sur le traitement concret qu’en donne Hegel. Parmi les passages remarquables du texte édité, on peut également citer quelques belles pages sur Plotin, alors couramment taxé de Schwärmerei et auquel Hegel tient à rendre sa dignité de philo-sophe (p. 654-657), ou encore la tentative hardie de démontrer l’identité de résultat entre les philosophies de Jacobi et de Kant (p. 747 sq.). La satisfaction du chercheur face à ce volume est d’autant plus grande qu’il peut encore s’attendre à voir publier, dans les années à venir, des centaines de pages de matériau inédit, ce qui ne manquera pas de stimuler les travaux sur une partie encore trop souvent délaissée du système hégélien.

Victor BÉGUIN (Université de Poitiers)

Retrouver ce compte rendu et l’ensemble du Bulletin de littérature hégélienne XXXI chez notre partenaire Cairn

Pour citer cet article : G. W. F. HEGEL, Vorlesungen über die Geschichte der Philosophie II. Nachschriften zum Kolleg des Wintersemesters 1823/24 (Gesammelte Werke, Bd. 30,2), éd. Klaus Grotsch, Hamburg, Meiner, 2020, 328 p., in Bulletin de littérature hégélienne XXXI, Archives de philosophie, tome 84/4, Octobre-Décembre 2021, p. 141-180.</p

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Friedrich Heinrich JACOBI, Nachlass, Reihe I, Band 1,1 & 1,2 : Die Denkbücher Friedrich Heinrich Jacobis, herausgegeben von Sophia Victoria Krebs, Stuttgart-Bad Canstatt, frommannholzboog, 2020, XXXVI + 599 p.

Les travaux sur l’œuvre et la pensée de Friedrich Heinrich Jacobi présentent un remarquable contraste selon que l’on se trouve de l’un ou l’autre côté du Rhin. En Allemagne, bien qu’il ait fait l’objet d’une reconnaissance tardive, Jacobi a désormais gagné sa place au panthéon des grands auteurs de la philosophie allemande classique : depuis les travaux pionniers des années 1960, monographies, articles, volumes collectifs et études comparatives se succèdent à un rythme soutenu. Le meilleur témoignage de cet intérêt est l’édition historico-critique des Werke. Gesamtausgabe, dans laquelle est publiée l’intégralité des écrits avec, à chaque fois, un appareil critique très fourni. Cette entreprise est actuellement poursuivie par deux autres séries encore en cours de publication : la correspondance complète, et, plus récemment, le Nachlass, complétés, dans le cadre d’un vaste projet collectif de l’Académie des sciences de Saxe, par un ample Jacobi-Wörterbuch dont la publication en ligne doit commencer à la fin de l’année 2021. Parmi les derniers fruits de la recherche allemande sur Jacobi, on peut également citer, sans exhaustivité aucune, les travaux de Birgit Sandkaulen, Carmen Götz ou Oliver Koch, ainsi que plusieurs colloques et ouvrages collectifs dont certains ont été réalisés à l’occasion du bicentenaire de la mort du philosophe. […]

Victor BÉGUIN

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Pour citer cet article : Friedrich Heinrich JACOBI, Nachlass, Reihe I, Band 1,1 & 1,2 : Die Denkbücher Friedrich Heinrich Jacobis, herausgegeben von Sophia Victoria Krebs, Stuttgart-Bad Canstatt, frommannholzboog, 2020, XXXVI + 599 p. , Archives de philosophie tome 84/4, 2021, , Octobre-Décembre 2021, p. 133-138.</p

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Nadine MOOREN, Hegel und die Religion. Eine Untersuchung zum Verhältnis von Religion, Philosophie und Theologie in Hegels System (Hegel-Studien, Beiheft 66), Hamburg, Meiner, 2018, 253 p.

Issu d’une thèse de doctorat soutenue en 2016 à l’Université de Münster, le livre de N. Mooren se donne pour objectif principal de clarifier la célèbre thèse hégélienne selon laquelle religion et philosophie ont le même contenu, mais diffèrent par la forme. Le plan de l’ouvrage est annoncé dès les premières pages : dans une première partie, religion et philosophie sont replacées dans la théorie de l’esprit absolu, ce qui permet de présenter leurs caractéristiques communes et leurs différences spécifiques ; une deuxième partie étudie, dans une perspective épistémique, la manière dont elles se rapportent à leur contenu commun, ce qui est l’occasion d’une mise au point sur le type de savoir qui est en jeu dans la Gemeinde ; enfin, la troisième partie, sans doute la plus riche, accomplit le programme annoncé par le sous-titre de l’ouvrage en étudiant, à partir de la Science de la logique, la signification du couple forme/contenu et la manière dont il éclaire le rapport entre religion et philosophie, ainsi que les positions épistémologiques de Hegel sur la théologie et la philosophie spéculative.

L’exécution de ce programme est servie par une écriture très claire, qui a le mérite de faire régulièrement le point sur l’avancée du raisonnement. L’intérêt de cet ouvrage réside dans son approche essentiellement épistémique : au plus loin de toute controverse religieuse, l’auteure prend au sérieux les affirmations hégéliennes selon lesquelles l’esprit absolu est essentiellement un type de savoir, et construit à partir de là une interprétation résolument non-métaphysique, qui s’appuie notamment sur d’utiles analyses sémantiques visant à dégager les différentes significations d’un terme (par exemple « savoir ») dans le corpus hégélien. Il est intéressant de voir une représentante du courant « non-métaphysique » s’attaquer à la religion : cela renouvelle les questionnements hérités des approches antérieures, qu’elles soient historiques (Jaeschke) ou théologiques (par exemple, Küng ou Brito).

Ce travail s’expose cependant à un certain nombre d’objections. Premièrement, il ne traite que de la religion chrétienne : certes, il s’agit de la religion « accomplie », c’est-à-dire dans sa figure vraie, mais le soin que met Hegel à pister la formation de l’esprit absolu dans la religion déterminée est-il si anecdotique qu’il ne mérite aucune mention ? Deuxièmement, la constitution du corpus étonne : l’auteure ne se réfère qu’à l’Encyclopédie et au manuscrit des Leçons sur la philosophie de la religion de 1821, sans tenir compte des Nachschriften pourtant éditées dès les années 1980, et, surtout, sans jamais justifier ce choix pourtant discutable. Troisièmement, la bibliographie apparaît étonnamment pauvre en littérature secondaire, y compris germanophone (sans même parler des publications francophones, totalement ignorées) : l’auteure se prête peu au jeu du débat interprétatif, et ne mentionne pas les commentateurs qui l’ont précédée dans les voies qu’elle emprunte (par exemple, p. 112-113, on peut avoir l’impression que l’emploi du terme « institution », tel que défini par les sociologues Berger et Luckmann, est une originalité de l’ouvrage : c’est faire peu de cas des travaux de Henrich ou Kervégan). En particulier, l’absence de toute référence aux débats théologiques autour de la philosophie hégélienne de la religion (on cherchera en vain les noms de Barth, Jüngel, Balthasar ou Küng) apparaît comme un manque dans une étude dont la distinction de la philosophie et de la théologie constitue un enjeu explicite. En revanche, la culture « analytique » de l’auteure informe l’ouvrage de part en part, marquant une tendance à nourrir le commentaire hégélien de ressources puisées chez Wittgenstein, Putnam ou Frege (il est au demeurant révélateur que les deux commentateurs hégéliens les plus cités soient Quante et Halbig). Non seulement le profit de cette approche peine à apparaître, mais elle peut même s’avérer délusoire. Ainsi p. 44 : le passage sur la confession fait référence à la théorie des actes de langage, mais ne dit mot de la culture confessionnelle protestante qui rend possible une telle focalisation sur l’acte de la confession d’une doctrine, sur laquelle Hegel s’est d’ailleurs lui-même exprimé dans un texte jamais cité par l’auteure, l’Oratio pour le tricentenaire de la Confession d’Augsbourg (cf. les travaux de Ph. Büttgen). En privilégiant la philosophie analytique du XXe siècle et une base textuelle très restreinte, ce type d’étude risque de perdre de vue les ressources les plus utiles à la compréhension de Hegel, à savoir le corpus hégélien lui-même, et son contexte historique (qu’il est du reste particulièrement important de considérer pour ce qui touche au problème de la religion). Du point de vue du recenseur, ces différentes difficultés ne sont pas sans limiter l’apport de cette interprétation d’inspiration analytique à la lecture de Hegel.

Victor BÉGUIN (Université de Poitiers)

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Pour citer cet article : Victor BÉGUIN, « Nadine MOOREN, Hegel und die Religion. Eine Untersuchung zum Verhältnis von Religion, Philosophie und Theologie in Hegels System (Hegel-Studien, Beiheft 66), Hamburg, Meiner, 2018 », in Bulletin de littérature hégélienne XXIX, Archives de Philosophie, tome 82/4, Octobre-décembre 2019, p. 815-852.

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Thomas OEHL & Arthur KOK (dir.), Objektiver und absoluter Geist nach Hegel. Kunst, Religion und Philosophie innerhalb und außerhalb von Gesellschaft und Geschichte, Leiden-Boston, Brill, 2018, xxii-934 p.

Cet imposant volume, qui avoisine le millier de pages, recueille 36 variations autour de l’un des thèmes les plus mystérieux et les plus décisifs de l’hégélianisme : le rapport entre esprit objectif et esprit absolu. L’efficace introduction des éditeurs, en plus d’offrir un utile survol du contenu des contributions, situe ce thème à la fois dans le système de Hegel et dans le moment interprétatif actuel. Il en ressort que le problème posé par l’articulation subtile entre l’esprit objectif et l’esprit absolu, qui a souvent mobilisé l’ingéniosité des commentateurs, présente un défi spécifique pour tout un pan de la littérature hégélienne contemporaine, celui qu’unifie un même souci d’« actualisation » : dans un espace identifié par les éditeurs comme « post-habermassien », on s’est surtout, d’après eux, préoccupé du social et de son historicité, ce qui a conduit à se désintéresser de ce que Hegel range sous la rubrique « esprit absolu », stigmatisé comme « métaphysique » et/ou simplement réduit à sa dimension socio-historique.

Cet angle mort du commentarisme (déjà identifié dans des termes proches par H. F. Fulda en ouverture d’un article de 2003, dont la reprise ouvre le présent volume) est ici mis au cœur du volume, auquel il donne sa problématique directrice, ainsi formulée par les éditeurs : « la société et l’histoire sont-elles ou non les horizons ultimes de validité et de description de tout ce qui est spirituel ? » (p. 2) Ou encore, pour le dire en termes d’exégèse hégélienne : comment faire droit à la fois à l’autonomie relative de l’esprit objectif et de l’esprit absolu (i. e. au fait que l’art, la religion et la philosophie soient conçus par Hegel sous une espèce différente des phénomènes simplement « historico-mondiaux »), et à leur articulation (l’esprit absolu ayant manifestement son site dans l’esprit objectif, comme en témoigne l’historicité de ses trois figures) ? On saluera une telle réflexivité, qui honore d’autant plus les éditeurs qu’elle fait parfois défaut aux tendances « actualisantes » de l’hégélianisme contemporain, ainsi que le choix résolu d’une perspective associant – et non opposant – sensibilité aux résonances actuelles de Hegel et solidité de l’ancrage historique, philologique et systématique (selon diverses nuances déclinées au fil des contributions). C’est donc à la fois le problème traité – à tous égards central – et la posture méthodologique adoptée – à la fois pluraliste et rigoureuse – qui font l’intérêt de ce volume : son principal mérite est sans doute de s’atteler (avec plus ou moins de bonheur selon les articles, nécessairement inégaux) à prendre au sérieux (p. 3) l’esprit absolu, en mettant à distance les connotations métaphysiques ou théologiques charriées par cette locution, sans pour autant verser dans un déflationnisme qui, à force de vouloir rendre Hegel acceptable, parvient surtout à le rendre inintéressant.

Les contributions, qu’il est impossible de résumer ici, se distribuent selon un plan en six parties habilement conçu, dont le principe général est celui d’une multiplication des approches : le rapport entre esprit objectif et esprit absolu est au cœur de tous les articles, mais il sera abordé successivement (1) depuis la Phénoménologie de l’esprit, (2) depuis l’esprit objectif (ce qui est notamment l’occasion de revenir à nouveaux frais sur le rapport entre État et religion ; relevons ici la thèse de T. Dangel, qui soutient que leur réconciliation ne peut s’opérer que dans la philosophie), (3) depuis l’esprit absolu (selon quatre ponctuations : généralités, art, religion, philosophie, ce qui permet notamment d’utiles mises au point sur l’art à l’époque moderne ou la mort de Dieu), (4) depuis la transition systématique de l’un à l’autre (avec en particulier un remarquable article d’A. Arndt sur « l’accomplissement de l’esprit absolu dans l’esprit objectif »), (5) depuis divers éléments de contexte, et (6) depuis la philosophie analytique. Il est toutefois regrettable que la littérature francophone ne soit jamais mentionnée, et cela d’autant plus que les positions défendues par Bourgeois dans son classique Éternité et historicité de l’esprit selon Hegel auraient mérité d’être discutées. En outre, l’intérêt qu’il y a à mêler Hegel aux courants et aux débats analytiques contemporains n’apparaît pas flagrant ; on sera cependant sensible aux manières analytiques de commenter Hegel esquissées dans les articles de P. Stekeler-Weithofer et C. G. Martin, qui se veulent (au moins partiellement) immanentes et pourront, à ce titre, intéresser les plus réticents à ce genre d’approche. L’ouvrage remplit donc son objectif, en offrant à la fois un point de départ solide pour l’étude du rapport entre esprit objectif et esprit absolu chez Hegel, et un panorama des différents types d’interprétations et d’usages auxquels se prête actuellement l’hégélianisme sur ce point.

Victor BÉGUIN (Université de Poitiers)

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Pour citer cet article : Victor BÉGUIN, « Thomas OEHL & Arthur KOK (dir.), Objektiver und absoluter Geist nach Hegel. Kunst, Religion und Philosophie innerhalb und außerhalb von Gesellschaft und Geschichte, Leiden-Boston, Brill, 2018 », in Bulletin de littérature hégélienne XXIX, Archives de Philosophie, tome 82/4, Octobre-décembre 2019, p. 815-852.

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Georg Wilhelm Friedrich HEGEL, Vorlesungen über die Philosophie der Religion und Vorlesungen über die Beweise vom Dasein Gottes. Nachschriften zu den Kollegien über Religionsphilosophie der Sommersemester 1821 und 1824 , (Gesammelte Werke, Bd. 29,1), hrsg. von Walter Jaeschke und Manuela Köppe, Hamburg, Felix Meiner, 2017, vi-451 p.

La publication des cahiers de notes prises par les auditeurs des cours de Hegel se poursuit à un rythme soutenu dans la deuxième section des Gesammelte Werke, comme le souligne chaque nouvelle livraison du Bulletin ; voici désormais lancée, avec ce premier volume du tome 29 (qui devrait en compter trois), une nouvelle édition des Leçons sur la philosophie de la religion. Celles-ci sont les dernières à faire leur entrée dans les GW, probablement parce qu’elles étaient, jusqu’au lancement de cette entreprise, les seules à avoir fait l’objet d’un travail systématique de collation et d’édition des sources disponibles réalisé par W. Jaeschke (auteur en outre de travaux fondamentaux sur le texte et le développement de ces Leçons) et publié, également chez Meiner, dans l’ancienne série « bleue » des Vorlesungen (t. 3-5, 1983-1985). En toute logique, c’est encore à W. Jaeschke, en collaboration avec M. Köppe, que revient la tâche d’en procurer une nouvelle édition de référence dans le cadre des GW, dont il est par ailleurs devenu le maître d’œuvre.

Cette nouvelle édition, contrairement à ce que l’on pourrait penser, n’est pas une simple redite de la précédente. On peut d’abord supposer que, de même que pour les autres volumes de la série, les cahiers ont fait l’objet d’un travail de transcription nouveau. Ensuite, les principes éditoriaux adoptés diffèrent ici sur au moins trois points : premièrement, contrairement à l’ancienne édition qui adoptait un ordre thématique (un volume par grande partie du cours), les leçons sont ici données dans l’ordre chronologique adopté par les autres volumes de la série, ce qui rend plus aisée la lecture d’une année de cours dans sa continuité ; deuxièmement, contrairement à l’ancienne édition qui prenait le parti d’une reconstruction par agglomération des différents cahiers, la présente édition donne le texte de la Nachschrift jugée la meilleure, renvoyant en note les variantes et/ou compléments apportés par les autres cahiers pour demeurer au plus près du texte tel qu’il nous a été transmis ; et, troisièmement, l’orthographe et la ponctuation d’origine ont ici été conservées.

En ce qui concerne le cours de 1824, pour lequel le texte de base est, comme en 1983, le remarquable cahier von Griesheim, cette nouvelle édition n’introduit pas de nouveauté fondamentale, et son apport tient essentiellement à son appareil critique exhaustif (qui donne notamment accès à l’ensemble des intéressantes variantes du cahier Pastenaci) et à la prise en compte des leçons alternatives tirées de la Nachschrift Dove, qui n’était pas connue dans les années 1980. Pour le cours de 1821, en revanche, ce volume présente (p. 1-110) un nouveau document : le cahier d’A. Ph. Ganzoni, là où aucune Nachschrift de ce cours n’était connue à l’époque de l’ancienne édition. Il est particulièrement intéressant de pouvoir comparer cette prise de notes avec le manuscrit autographe de Hegel, édité par W. Jaeschke dans le t. 17 des GW (comparaison facilitée par le rappel, en marge de l’édition du cahier Ganzoni, de la pagination de ce dernier volume) : c’est une occasion rare de pouvoir mesurer, quoique de manière nécessairement partielle, l’écart entre le cahier dont Hegel se servait pour faire cours et ce qu’un auditeur a noté de sa parole vivante. Le cahier Ganzoni est, comme on peut s’y attendre, plus synthétique et accessible que le manuscrit autographe, dont la lecture est rendue difficile par la densité de son écriture elliptique et souvent très paratactique, mais semble en même temps préserver la trace de ce que l’on peut supposer être des développements proprement oraux ; on peut en prendre pour exemple l’intéressant passage sur les oracles dans la religion grecque (p. 67-68), qui non seulement éclaire en les reformulant, mais aussi développe par certains aspects les remarques du manuscrit. Ce matériau nouveau ne manquera donc pas de susciter l’intérêt des chercheurs et d’enrichir notre connaissance de cette partie du système ; il faudra cependant attendre la parution du t. 29,3 pour avoir accès à l’appareil philologique permettant de tirer tout le profit possible de ce nouveau volume.

Victor BÉGUIN (Université de Poitiers)

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Pour citer cet article : Victor BÉGUIN, « Georg Wilhelm Friedrich HEGEL, Vorlesungen über die Philosophie der Religion und Vorlesungen über die Beweise vom Dasein Gottes. Nachschriften zu den Kollegien über Religionsphilosophie der Sommersemester 1821 und 1824 , (Gesammelte Werke, Bd. 29,1), hrsg. von Walter Jaeschke und Manuela Köppe, Hamburg, Felix Meiner, 2017 », in Bulletin de littérature hégélienne XXVIII, Archives de Philosophie, tome 81/4, Octobre-décembre 2018, p. 821-856.

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Die Bibliothek Georg Wilhelm Friedrich Hegels, (Gesammelte Werke, Bd. 31), hrsg. von Manuel Köppe, Hamburg, Felix Meiner, 2017, 1990 p. en 2 vol.

À titre de supplément aux GW paraissent aujourd’hui deux imposants volumes d’un millier de pages chacun présentant un inventaire raisonné de la bibliothèque de Hegel. Voilà enfin réalisé un projet annoncé dès les années 1960 comme cinquième « Beiheft » des Hegel-Studien, mais abandonné après plusieurs vicissitudes éditoriales, le volume n’ayant finalement jamais paru ; et cela, grâce au travail magistral de Manuela Köppe, qui vient achever ce qu’avaient commencé Friedhelm Nicolin, Klaus Düsing et Ingo Rill. Les principes de son travail sont, comme il est d’usage dans les GW, exposés avec tous les détails historiques et philologiques requis dans l’Editorischer Bericht placé à la fin du second volume, auquel nous renvoyons d’emblée pour plus de détails. La bibliothèque de Hegel ne nous est pas parvenue, car elle a été vendue après la mort du philosophe par sa femme et ses fils, pour des raisons qui ne sont d’ailleurs pas complètement éclaircies (p. 1816) ; la liste complète des ouvrages qu’elle comportait a cependant été dressée par le catalogue de la vente aux enchères ayant eu lieu à partir du 3 mai 1832. Ce dernier offre donc une image précise de ce qu’était, à la veille de sa mort, la bibliothèque personnelle de Hegel, et présente de ce fait un intérêt capital pour la compréhension de sa pensée : c’est ce document qui est édité, avec un impressionnant luxe de détails, dans ces deux volumes.

On peut aisément imaginer l’ampleur de la tâche de l’éditrice, qui a consisté à retrouver tous les ouvrages décrits dans ce catalogue pour les identifier ; pour chacun d’entre eux sont données, dans une présentation claire, la page de titre et, autant que possible, la table des matières, ce qui rendra à coup sûr de grands services ; le classement adopté est celui, thématique, du catalogue de 1832. L’éditrice rappelle cependant que l’édition de ce catalogue, si précise et exhaustive qu’elle soit (et elle l’est ici incontestablement), ne saurait régler une fois pour toutes la question, devenue centrale dans la recherche hégélienne, des sources à partir desquelles Hegel a travaillé, bien qu’elle y apporte une contribution décisive ; en effet, la comparaison entre le catalogue de 1832 et les sources mentionnées par Hegel dans ses ouvrages, ses cours ou sa correspondance fait apparaître des manques. On peut donc supposer que Hegel a consulté en bibliothèque certains ouvrages qu’il ne possédait pas personnellement (p. 1815), ou s’est défait avant sa mort de livres possédés au cours de sa vie, comme le suggère par exemple l’absence, dans le catalogue de 1832, de son exemplaire personnel de la Differenzschrift, qu’un chercheur japonais a récemment retrouvé chez un libraire de Tōkyō (p. 1819). N’attendons donc pas plus de ces volumes qu’ils n’en peuvent offrir ; ils n’en apportent pas moins, par la richesse et la précision du matériau nouveau qu’ils livrent au public, une importante contribution à la Hegel-Forschung en renforçant son assise philologique : les recherches à venir ne manqueront pas d’en tirer profit. Un seul exemple : tous ceux qu’intéresse l’étude des sources de la philosophie de la nature, naguère initiée par Michael J. Petry, feront sans doute leur miel de la cinquième section (« Mathématiques, sciences naturelles et médecine ») du catalogue.

Victor BÉGUIN (Université de Poitiers)

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Pour citer cet article : Victor BÉGUIN, « Die Bibliothek Georg Wilhelm Friedrich Hegels, (Gesammelte Werke, Bd. 31), hrsg. von Manuel Köppe, Hamburg, Felix Meiner, 2017 », in Bulletin de littérature hégélienne XXVIII, Archives de Philosophie, tome 81/4, Octobre-décembre 2018, p. 821-856.

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Jean-Renaud SEBA & Guillaume LEJEUNE (dir.), Hegel : une philosophie de l’objectivité, Paris, Kimé, 2017, 302 p.

Le volume édité par J.-R. Seba et G. Lejeune présente les actes d’un colloque qui s’est tenu à l’Université de Liège du 12 au 14 novembre 2015. Il rassemble douze contributions en trois langues (français, anglais, allemand) consacrées à la place de la notion d’objectivité dans la pensée de Hegel et aux différents aspects qu’elle revêt dans son œuvre. Cet angle d’approche est original et neuf ; il permet d’aborder des textes plus rarement commentés que d’autres (ainsi la section « Objectivité » de la Doctrine du concept), de proposer des éclairages transversaux innovants et de relativiser quelque peu l’image d’un Hegel unilatéralement « penseur de la subjectivité », héritée par exemple de la lecture naguère conduite par Heidegger à partir de sa notion de « métaphysique de la subjectivité ». La remarquable variété avec laquelle ce thème est traité dans le volume – variété aussi bien des aspects du système abordés que des approches (systématique, historique et/ou pragmatique), des traditions interprétatives et des aires linguistiques dont proviennent les auteurs – doit être soulignée, tant elle contribue à sa réussite d’ensemble. Les analyses rassemblées dans l’ouvrage s’organisent selon quatre axes. Une première partie étudie les « présuppositions objectives du système », c’est-à-dire les conditions historiques (R. Legros) et phénoménologiques (J.-R. Seba) de sa validité, ainsi que la manière dont le système réfléchit son rapport à ses propres présuppositions (S. Stein). Une seconde, la plus développée, présente cinq études des différentes figures de l’objectivité dans la Science de la logique qui se concentrent sur le chapitre éponyme de la Doctrine du concept (E. Renault revient sur sa situation à première vue surprenante au sein de la logique subjective, B. Haas y déchiffre à la fois une théorie d’ensemble et une typologie des modèles scientifiques, J.-G. Schülein offre un éclairage utile et précis sur sa fonction dans le dispositif d’ensemble de la Logique, et A. Sell en commente plus précisément le sous-chapitre consacré à la téléologie), mais sans s’interdire des excursions dans d’autres parties de la Logique (avec un article de R. Pippin sur l’effectivité). Une troisième partie aborde la question de l’objectivité de et dans la nature, occasion pour G. Marmasse de proposer une mise au point précise sur le rapport entre objectivité et subjectivité dans la nature, et pour G. Lejeune de s’interroger sur la conception de la nature impliquée par une approche philosophique de celle-ci opérée du point de vue de l’esprit. Une quatrième partie, enfin, est consacrée à l’esprit objectif, avec deux contributions de J.-F. Kervégan (qui se demande, dans une synthèse magistrale de ses travaux sur la philosophie du droit, quelle est exactement l’« objectivité » de ce dernier) et É. Djordjevic (qui l’aborde d’un point de vue plus thématique en revenant sur l’articulation entre le social et le politique). Mais l’intérêt de ce volume ne tient pas seulement à celui des contributions qu’il rassemble : les éditeurs leur ont en effet adjoint un important appareil scientifique, comportant une précieuse introduction à la fois historique et systématique, une conclusion qui rassemble les résultats des analyses présentées sous forme d’une « clarification sémantique du concept d’objectivité » chez Hegel, un glossaire et une bibliographie sélective, qui font de cet ouvrage, plus que de simples actes de colloque, un véritable instrument de travail.

Victor BÉGUIN (Université de Poitiers)

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Pour citer cet article : Victor BÉGUIN, « Jean-Renaud SEBA & Guillaume LEJEUNE (dir.), Hegel : une philosophie de l’objectivité, Paris, Kimé, 2017 », in Bulletin de littérature hégélienne XXVIII, Archives de Philosophie, tome 81/4, Octobre-décembre 2018, p. 821-856.

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Alain BADIOU, L’Infini. Aristote, Spinoza, Hegel (1984-1985), Paris, Fayard, 2016, 318 p.

Le développement de la pensée d’Alain Badiou s’est de longue date accompagné d’un dialogue serré avec la logique hégélienne, dialogue dont un certain nombre de publications ont déjà marqué les étapes, depuis « La subversion infinitésimale » (Cahiers pour l’analyse, n° 9, 1967) en passant par sa contribution au volume Le Noyau rationnel de la dialectique hégélienne (1977), son premier traité philosophique personnel, Théorie du sujet (1982), la quinzième « méditation » de L’Être et l’événement (1988), jusqu’au chap. II.2 de L’Être et l’événement II : Logiques des mondes (2006), assorti d’une longue note dans laquelle Badiou, coutumier de ces exercices de rétrospection, récapitule lui-même les principales étapes de cette explication. C’est aujourd’hui une pièce centrale de ce dossier qu’il livre au public avec la publication du séminaire de 1984-1985 consacré à une analyse du concept d’infini chez Aristote, Spinoza, Pascal et Hegel.

Ce séminaire forme un diptyque avec celui sur l’Un, publié l’année dernière et consacré quant à lui à Platon, Descartes et Kant. Le statut de ces deux textes est complexe : il s’agit à la fois, pour Badiou, d’accompagner la préparation de L’Être et l’événement en « pass[ant] au filtre de la grande histoire de la philosophie quelques concepts majeurs du livre en préparation » (p. 7), de se livrer à l’exercice du commentaire des grands textes de la tradition, mais aussi de proposer une manière toute personnelle de faire de l’histoire de la philosophie, qui consiste à lire y compris et peut-être surtout dans les creux et les impasses des grandes philosophies des élaborations de la catégorie sans doute la plus centrale de la pensée badiousienne, celle de sujet. Il y a là d’ailleurs, notons-le en passant, une proximité troublante avec l’histoire hégélienne de la philosophie, dans laquelle Hegel lit les philosophes de la tradition à l’aune de son propre concept de l’esprit absolu comme sujet.

C’est donc autant sur Badiou que sur les auteurs qu’il étudie que l’on en apprendra en lisant ce texte. Mais on aurait tort de minimiser le profit d’une telle lecture, par exemple pour un hégélien ; certes, ce dernier trouvera sans doute beaucoup à redire, mais une fois accepté ce texte pour ce qu’il est, à savoir une explication qui n’est pas de simple exégèse avec le concept hégélien d’infini, on ne peut (malgré d’inévitables approximations) qu’en reconnaître les grandes qualités philosophiques, dont la moindre n’est pas de s’attacher à dramatiser la radicalité de l’hégélianisme, qu’il faut d’après Badiou se garder de normaliser par la paraphrase savante. Cette lecture centrée sur L’Être de 1812 n’est pas gratuitement irrévérencieuse, mais prend au sérieux le caractère partiellement contingent de l’« obscurité » d’un texte écrit dans l’urgence pour pointer la nécessité d’en déplier patiemment le fonctionnement sans se départir d’une certaine vigilance critique, ni céder à la fascination que peuvent exercer des expressions trop vite hypostasiées comme « le savoir absolu » – toutes exigences qui, bien que mises en œuvre sous la forme d’une lecture « symptomale » parfois violente qui ne fera pas l’unanimité, ne nous en paraissent pas moins devoir être méditées par les hégéliens. Du point de vue méthodologique, c’est donc paradoxalement le caractère profane et critique de cette lecture qui en fait l’intérêt.

Quant à son intérêt philosophique, il tient à ce qu’on y voit Badiou ferrailler de manière à la fois bienveillante et distanciée avec une pensée qui représente peut-être, dans l’histoire, la plus majestueuse tentative d’accomplir la tâche qu’il assigne lui-même à la philosophie, à savoir articuler une pensée du sujet à une doctrine de l’absolu. Cette approche latérale – ce qui en fait l’originalité – amène le texte à proposer plusieurs analyses très suggestives : on y trouvera par exemple un stimulant commentaire du chapitre sur l’être-là (p. 226 sq.), une critique pertinente du Hegel de Gérard Lebrun (p. 251-253), deux pages frappantes sur la critique kierkegaardienne de Hegel (p. 260-261) ou encore une analyse dense et profonde de la dialectique comme processus d’explicitation/rétroaction (p. 298 sq.) et, en fin de compte, le texte le plus détaillé consacré à ce jour par Badiou à la pensée hégélienne.

Victor BÉGUIN (Université de Poitiers)

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Pour citer cet article : Victor BÉGUIN, « Alain BADIOU, L’Infini. Aristote, Spinoza, Hegel (1984-1985), Paris, Fayard, 2016 » in Bulletin de littérature hégélienne XXVII, Archives de Philosophie, tome 80/4, Octobre-décembre 2017, p. 773-802.


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