Auteur : Yoshitomo Onishi
Baruch SPINOZA : Œuvres complètes, sous la direction d’Osamu Ueno et Izumi Suzuki, t. III, Éthique. Traduction japonaise et notes par Osamu Ueno, Tokyo, Iwanami, 370 p.
Par cette édition critique de l’Éthique s’inaugure au Japon une nouvelle édition intégrale de Spinoza selon la structure suivante. Dans les deux premiers tomes à paraître bientôt seront rassemblées les œuvres publiées du vivant de Spinoza : les Principes de la philosophie de Descartes, les Pensées métaphysiques (t. I) et le Traité théologico-politique (t. II). Vient ensuite ce tome III pour l’Éthique, achevée de son vivant mais parue de façon posthume. Quant aux œuvres inachevées, elles seront réunies dans le tome IV : Traité de l’amendement de l’intellect, Traité politique, Précis de grammaire de la langue hébraïque. Le tome V sera réservé au Court Traité sur Dieu, l’homme et son bien-être, resté inconnu des éditeurs des Opera Posthuma, tandis que le tome VI correspondra à la correspondance. Enfin, toutes ces traductions, annotations et introductions, confiées aux spécialistes de chacune des œuvres, seront complétées par le supplément qu’est le tome VII, avec la chronologie, la première traduction japonaise de la préface des Opera Posthuma, le catalogue des livres de Spinoza, la bibliographie et un index détaillé.
Un tel projet de nouvelle édition se fixe pour but de présenter au lecteur japonais un Spinoza complet, conforme à l’actualité de la recherche spinoziste. En effet, la première édition moderne qui fut réalisée par notre prédécesseur Hisashi Hatanaka date à peu près de la Deuxième Guerre mondiale. Depuis, elle a toujours servi de source de premier ordre en japonais pour la majorité des lecteurs, spécialistes ou non. Certes, aujourd’hui encore on ne doutera pas de la qualité exceptionnelle de cette édition monumentale. Mais il est devenu manifeste aussi que les travaux menés il y a plus de trois quarts de siècle doivent être complétés ou corrigés sous certains aspects. Non seulement les quatre lettres découvertes après l’édition Gebhardt et le Précis de grammaire de la langue hébraïque doivent être traduits, mais aussi, et s’agissant surtout de l’Éthique, il faut établir à nouveaux frais le texte de base pour une nouvelle traduction. Voilà l’exigence qui s’impose à tout essai de critique textuelle de l’Éthique du fait de la découverte du manuscrit du Vatican en 2010.
À travers l’analyse attentive de ce manuscrit, on s’accorde maintenant à penser que la traduction néerlandaise, Nagelate Schriften (NS), ne peut plus rester au même rang que l’édition latine des Opera Posthuma (OP), établies toutes deux juste après la mort du philosophe. Ainsi, on ne peut plus se reposer sur l’édition de Gebhardt, qui leur accorde une égale importance. Par ailleurs, on ne parvient pas encore à un consensus sur le statut du manuscrit de Vatican. Alors que la traduction néerlandaise de C. Vermeulen (2012) donne la priorité au manuscrit, les OP demeurent canoniques chez P. Cristofolini ainsi que chez P.-F. Moreau dans leurs traductions respectives, italienne (2014) et française (2020).
En bénéficiant des tentatives multilingues les plus récentes, Osamu Ueno, directeur de l’édition japonaise et traducteur de l’Éthique, a cherché à trouver un compromis entre deux sources principales. D’un côté, eu égard à des idées philosophiques proprement dites, la plus grande attention a été portée au manuscrit, qui revêt la marque plus directe de la plume de Spinoza. D’un autre côté, la relecture et la mise en forme, effectuées avec attention par les éditeurs des OP, ont été bien prises en compte. Il va sans dire que, même dans le premier cas, les erreurs apparentes ont été soumises à une correction fondée sur les OP ou les NS et en se référant à l’édition exemplaire de F. Akkerman, P. Steenbakkers, P.-F. Moreau.
Visant de ces manières à l’exactitude scientifique – celle-ci a été aussi bien cherchée au niveau du choix des termes techniques dans la langue japonaise –, la nouvelle traduction entend simultanément faciliter la lecture de l’Éthique pour un public élargi et ménager un espace ouvert à des interprétations diverses. De ce point de vue, la présentation de l’œuvre se borne à fournir des informations stricto sensu nécessaires et les annotations sont destinées en principe soit à expliquer de manière brève les concepts clés, soit à indiquer les différences qui existent entre les textes de référence. Parachevé ainsi avec le plus grand soin, ce troisième tome, en attendant les six autres, servira de premier instrument de travail pour quiconque aspire à approfondir sa connaissance de la philosophie de Spinoza, et s’inscrira dans le champ des études spinoziste à l’échelle mondiale.
Yoshitomo ONISHI
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Pour citer cet article : Baruch Spinoza : Œuvres complètes, sous la direction d’Osamu Ueno et Izumi Suzuki, t. III, Éthique. Traduction japonaise et notes par Osamu Ueno, Tokyo, Iwanami, 370 p., in Bulletin de bibliographie spinoziste XLV, Archives de philosophie, tome 86/4, Octobre-Décembre 2023, p. 187-216.