Auteur : Zuo Huang

 

Terzi, Pietro, Rediscovering Léon Brunschvicg’s Critical Idealism. Philosophy, History and Science in the Third Republic, London, Bloomsbury Academic, 2022, 336 p.

Plusieurs décennies après l’ouvrage biographique de Marcel Deschoux Leon Brunschvicg, ou l’idéalisme à hauteur d’homme (Paris, Seghers, 1969), la « rediscovery » à laquelle le titre de cette monographie de Léon Brunschvicg appelle n’implique pas une « renaissance » des doctrines de ce dernier ; il s’agit seulement de jeter la lumière sur une personnalité peu lue de nos jours mais essentielle par le rôle historique qu’elle a joué dans l’histoire complexe de la philosophie française du tournant des xixe-xxe siècles et la généalogie de la pensée française du xxe siècle (p. 2). Le chapitre 3 détaille le rapport de Brunschvicg avec l’histoire de la philosophie européenne, et notamment la figure de Descartes. Le chapitre 2 expose les réflexions de Brunschvicg sur les fondements mathématiques de l’idéalisme cartésien : dans les Regulæ ad directionem ingenii, Descartes partirait des concepts de dimension et d’extension, ramenant toutes les choses extérieures à l’ordre et à la mesure, réduisant toutes sortes de qualités sensibles à des quantités, tout en juxtaposant l’arithmétique et la géométrie, où la quantité impliquée est soumise à la restriction que lui impose la représentation spatiale, alors que dans la Géométrie, grâce à l’utilisation de la nouvelle méthode analytique, ces juxtapositions seraient devenues une hiérarchie, et les représentations spatiales auraient été subordonnées à une algèbre purement symbolique, c’est-à-dire à l’équation, le représentant typique de cette algèbre. À partir de là, l’auteur affirme même que « la théorie des équations articulée dans la Géométrie est au cœur de toute la révolution cartésienne » (p. 54) : ainsi l’idée cartésienne (et aussi spinozienne) du cercle n’est-elle pas image mais équation, parce que la géométrie algébrique cartésienne fait dépendre la vérité des lois de l’intelligence, c’est-à-dire que les propriétés d’une courbe sont déduites de sa définition analytique, d’une équation abstraite, sans référence directe à son image (p. 59). Ces analyses, discutables en elles-mêmes mais cohérentes avec le grand récit de Brunschvicg sur les origines de l’idéalisme cartésien dans ses ouvrages comme Les Étapes de la philosophie mathématique (Paris, Félix Alcan, 1912), Spinoza et ses contemporains (Paris, Félix Alcan, 1923) et Écrits philosophiques, tome I : L’Humanisme de l’Occident. Descartes, Spinoza, Kant (Paris, Puf, 1949), ont appelé dans l’histoire du commentaire cartésien nombre d’objections et de réserves : il demeure qu’elles eurent grand poids à leur époque. Ajoutons que, si Brunschvicg, comme Bergson, considère Descartes et Pascal comme un couple (raison vs émotion, etc.), il n’est pas malvenu à l’auteur de ce livre de faire place à d’autres couples (Bossuet et Fénelon, Voltaire et Rousseau, Comte et Biran) jusqu’au couple Brunschvicg et Bergson lui-même (p. 30). Bel hommage, même s’il demeure à l’évidence inapproprié de qualifier Brunschivcg de père de la philosophie française contemporaine, « this forsaken father of French contemporary philosophy » (p. 4).

Zuo Huang (South China Normal University)

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Pour citer cet article : Terzi, Pietro, Rediscovering Léon Brunschvicg’s Critical Idealism. Philosophy, History and Science in the Third Republic, London, Bloomsbury Academic, 2022, 336 p., in Bulletin cartésien LIV, Archives de philosophie, tome 88/1, Janvier-Mars 2025, p. 234-235.

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