Auteur : Francisco Javier Espinosa
Nacho Bañeras : Spinoza y la no-dualidad. Del cuerpo a la Alegría, Barcelona, Editorial Kairós, 198 p.
Fondateur d’une école de connaissance de soi, de pensée critique et d’accompagnement thérapeutique, l’auteur utilise la « philosophie contemplative » occidentale comme thérapie, comme forme de développement personnel et de remède à la souffrance existentielle d’aujourd’hui. Il est clairement influencé par la pensée hindoue, notamment par le mouvement Advaita. Tel est le cadre de sa lecture de Spinoza.
L’introduction traite de la connaissance de soi, ce qui implique la délimitation du monde apparent (contingent et superflu) par rapport au monde réel et vrai qui nous habite en profondeur, selon une vision stoïcienne perçue chez Spinoza. Dans l’unité du réel, nos sentiments habituels d’individualité et de séparation disparaissent. Ainsi, l’auteur relève chez Spinoza la dimension corporelle de sa pensée, marginalisée et sous-estimée par la tradition philosophique occidentale. Il n’y a donc pas chez Spinoza de dualité entre la Nature et le moi, entre l’esprit et le corps.
Dans le chapitre « La philosophie et le corps », l’auteur montre que pour Spinoza le corps ne constitue pas une partie de nous : en revanche, notre corps c’est nous-même. Cela implique l’acceptation de la réalité et le rejet d’une dualité illusoire. Dans « Apatride de chair », Bañeras montre à travers un voyage dans l’histoire la responsabilité théorique engagée quant à cet enjeu chez Platon, le christianisme, la modernité (qui a compris le corps comme une machine) et le capitalisme (qui l’a compris comme un objet de consommation). Le chapitre 3, « Spinoza et l’unité de l’existence », est central ; il développe la thèse de la béatitude comme un état d’unité de l’individu avec la réalité à condition de renoncer au préjugé qui consiste à s’imaginer comme une exception dans la nature. On ne voit toutefois pas clairement si l’auteur fait une distinction – comme c’est le cas chez Spinoza – entre la joie et le contentement de soi (laetitia et acquiescentia in se ipso), car il interprète le contentement comme la vibration émise par la puissance de Dieu, qui doit être écoutée. Dans le chapitre 4, « L’oubli de la force de l’être ou de l’impulsion », il recourt à Wilhelm Reich pour revendiquer la dimension corporelle de l’individu face à la psychanalyse de type mental. Dans « Le contentement ou l’état de relaxation », il considère la philosophie de Spinoza comme une sagesse de vie. Spinoza invite les individus à devenir autonomes par rapport aux causes extérieures qui les affectent et déclenchent la fluctuatio animi. Dans le cheminement vers l’indépendance, ils sont tenus de se tourner vers eux-mêmes pour renoncer à l’influence des circonstances extérieures. La vertu consiste donc dans la prise de conscience de leur propre impulsion en surmontant les préjugés de finalité et d’autonomie. Mais l’auteur passe alors malheureusement sous silence les conséquences politiques de ces considérations, comme si la vie commune n’était pas au centre de la philosophie de Spinoza. Enfin, dans « Spinoza, une philosophie non-duelle », l’auteur estime erroné de classer toute l’œuvre spinoziste dans la tradition non-duelle (Advaita), mais il reconnaît que bon nombre de propositions ainsi que la signification de l’œuvre s’inscrivent dans cette tradition : (1) en raison de sa défense de l’existence d’une substance unique, Dieu ; (2) par son rejet de la distinction entre sujet et objet de la connaissance ; (3) en raison de l’affirmation de l’individu comme mode de la substance, de la négation de la dualité entre substance et modes, ainsi que par la critique de la liberté illusoire ; et (4) par la compréhension de l’amour comme l’expression interne de la nature divine elle-même.
L’ouvrage a ainsi pour intérêt de mesurer l’influence de la pensée de Spinoza sur les écoles de connaissance de soi et de thérapie.
Francisco Javier Espinosa
Retrouver ce compte rendu et l’ensemble du Bulletin de bibliographie spinoziste XLVII chez notre partenaire Cairn
Pour citer cet article : Nacho Bañeras : Spinoza y la no-dualidad. Del cuerpo a la Alegría, Barcelona, Editorial Kairós, 198 p., inBulletin de bibliographie spinoziste XLVII, Archives de philosophie, tome 88/4, Octobre-Décembre 2025, p. 173-202.
♦♦♦
Gonzalo Ricci Cernadas, La República de Spinoza: ciudadanía, instituciones y libertad, Granada, Comares, 249 p.
Gonzalo Ricci, enseignant à l’université de Buenos Aires, est connu des chercheurs français pour son livre La Multitude chez Spinoza. De la physique à la politique. En 2022, il avait soutenu sa thèse de doctorat intitulée Spinoza y el republicanismo: el problema de la libertad. Le livre dont il s’agit ici est basé sur cette thèse mais, comme l’auteur l’indique à la première page, il apporte quelques corrections et précisions.
Toute la question est de savoir si l’on peut parler de républicanisme chez Spinoza. Le premier chapitre examine l’état de la question parmi les chercheurs. Pour quelques-uns, Spinoza appartient au républicanisme en raison de sa défense de la démocratie radicale. Une seconde position exclut de sa philosophie le républicanisme à cause du vocabulaire géométrique et naturaliste utilisé, parce qu’il l’écarterait du langage de la vertu et de la participation civiques commun aux républicains anglais de la même époque (comme Harrington). Il y a enfin tous ceux qui défendent chez Spinoza un républicanisme nourri par le régime aristocratique.
La clarification de la question passe par l’analyse du contexte historique, objet du deuxième chapitre. L’auteur précise les conceptions intellectuelles et les coordonnées politiques, sociales, économiques et religieuses, par rapport auxquelles Spinoza a élaboré sa position. Le troisième chapitre permet de remettre en question les trois interprétations évoquées, car aucune ne considère le contexte hollandais proprement républicain ; en conséquence, elles déforment (dans une certaine mesure) sa pensée politique.
Dans la deuxième partie du livre où il développe sa thèse, l’auteur étudie le concept de citoyenneté en le reliant à celui de vertu civique (chapitre IV) ; il examine la fonction des institutions en tant qu’effet nécessaire de la potentia multitudinis – les notions de citoyenneté et d’institutions étant placées au centre même des réflexions républicaines. Pour Spinoza en effet, les institutions de l’État sont un instrument pour canaliser les antagonismes en mettant les intérêts particuliers au service de l’intérêt commun, ce qui est au cœur du républicanisme. En outre, la potentia ou la vertu du citoyen qui cherche sa propre utilité ne peut être séparée de la politique, car c’est précisément dans l’État qu’elle se réalise effectivement. Il n’y a pas d’autre option pour cela que la participation active à la politique : question centrale et chère au républicanisme, en particulier au républicanisme néerlandais.
Le dernier chapitre est consacré à ce qui occupe le centre des débats républicains : la revendication de la liberté comme valeur suprême. Ricci évoque la célèbre affirmation de Spinoza, à savoir que la véritable fin de l’État est la liberté. Il ne s’agit pas de dominer les hommes, mais de les libérer de la peur afin qu’ils puissent utiliser leur raison comme il convient (TTP 20/G III 240-241). L’auteur interprète la liberté spinozienne dans un sens positif bien précis, c’est-à-dire comme l’autodétermination, l’autonomie et l’indépendance des citoyens, condition qui rend possible l’égalité et la liberté de pensée. Il souligne en conclusion que Spinoza ne tient pas intégralement au républicanisme (au sens de Pocock, Skinner et Pettit), mais qu’on ne peut l’isoler de l’ensemble de thèses et de propositions républicaines qui fleurissent alors aux Pays-Bas.
Le livre présente quelques difficultés de lecture : l’auteur ne cite pas les œuvres de Spinoza selon le système standard, ce qui rend difficile l’identification des textes ; il cite souvent des passages sans faire mention du traducteur ; il omet d’indiquer dans la bibliographie finale quelques-unes des éditions citées. Cela dit, le livre présente de l’intérêt à la fois pour son analyse de la question républicaine, sa réévaluation de la politique chez Spinoza, ainsi qu’un résumé de ses principales interprétations.
Francisco Javier Espinosa
Retrouver ce compte rendu et l’ensemble du Bulletin de bibliographie spinoziste XLVI chez notre partenaire Cairn
Pour citer cet article : Gonzalo Ricci Cernadas, La República de Spinoza: ciudadanía, instituciones y libertad, Granada, Comares, 249 p., in Bulletin de bibliographie spinoziste XLVI, Archives de philosophie, tome 87/4, Octobre-Décembre 2024, p. 193-218.
♦♦♦
Eugenio FERNANDEZ : La encrucijada de los afectos. Ensayos Spinozistas, ed. de J. Carvajal, M. L. de la Cámara y R. de Pablos, Cuenca, Universidad de Castilla-La Mancha, 446 p.
Il s’agit d’un recueil de seize articles et chapitres de livres sur la philosophie de Spinoza signés par Eugenio Fernández. Celui-ci, décédé prématurément en 2005, fut professeur de philosophie à l’Université Complutense de Madrid, où il développa un travail d’enseignement et de recherche très fécond. Grand connaisseur de Spinoza, il lui avait consacré sa thèse de doctorat intitulée Potencia y razón en B. Spinoza (1988). Il fut le vice-président du Seminario Spinoza à sa fondation, puis en devint le président. C’est aussi lui qui créa le « Boletín de Bibliografía Spinozista ».
Après une introduction générale de Raúl de Pablos, les travaux d’E. Fernandez sont présentés en trois parties : la première porte sur le désir et les affects envisagés comme le moteur des actions humaines ; la seconde s’attache aux notions majeures, telles que puissance, volonté, imagination et piété ; la troisième intègre d’autres apports relatifs à la relation entre la pensée de Spinoza et celles de Kant, de Hegel ou de María Zambrano.
L’examen des textes de Spinoza par notre auteur manifeste un travail philologique poussé et le souci de ne pas fermer l’interprétation ; comme le titre du recueil le suggère, Eugenio Fernandez a lu la pensée de Spinoza comme une croisée de chemins, un lieu qui unit différentes provenances et ouvre de nouvelles voies. Il a dessiné un tableau du carrefour des affects, où le corps et l’esprit, le désir et la raison, la passion et l’action, l’individu et la société se rencontrent. Plutôt qu’à reconstruire le système d’une nature humaine triomphante, il visait à cartographier les repères offerts par la pensée de Spinoza : une condition humaine faible et finie, mais aussi la puissance et la joie. Ce recueil stimule la lecture de Spinoza ; il fait aussi ressentir la joie de partager un tel engagement.
Francisco Javier ESPINOSA
Retrouver ce compte rendu et l’ensemble du Bulletin de bibliographie spinoziste XLI chez notre partenaire Cairn
Pour citer cet article : Francisco Javier ESPINOSA, « Eugenio FERNANDEZ : La encrucijada de los afectos. Ensayos Spinozistas, ed. de J. Carvajal, M. L. de la Cámara y R. de Pablos, Cuenca, Universidad de Castilla-La Mancha, 2018 », in Bulletin de bibliographie spinoziste XLI, Archives de Philosophie, tome 82/4, octobre-décembre 2019, p. 853-890.