Auteur : Frédéric Manzini

Raffaele CARBONE, Chantal JAQUET et Pierre-François MOREAU (dir.) : Spinoza-Malebranche : à la croisée des interprétations, Lyon, ENS Éditions (La croisée des chemins), 256 p.

Les destins divergents de Spinoza et de Malebranche nous ont fait oublier à quel point ils ont été pendant longtemps associés, comparés, parfois assimilés – et ce très tôt, dès le vivant de Malebranche. Même si l’Oratorien s’est toujours vigoureusement élevé contre la pertinence d’un tel rapprochement, même s’il s’est toujours défendu d’avoir quelque inspiration partagée avec celui qui lui paraissait n’être rien de plus qu’un affreux athée, nombreux sont ceux qui ont cru voir dans les philosophies respectives des deux auteurs des points communs suffisamment importants pour s’interroger sur une troublante et problématique parenté. Serait-elle due au fait que Spinoza et Malebranche soient tous les deux des héritiers de Descartes ? Comment, sinon, expliquer leur étonnante proximité sur un certain nombre de sujets ? Peut-on affirmer, comme l’écrivait Hegel, à la fois que « le spinozisme est l’achèvement du cartésianisme » et que « [le malebranchisme] est le spinozisme sous une autre forme, une forme pieuse, théologique » (Leçons sur l’histoire de la philosophie, cit. p. 27) ?

Le premier mérite de cette publication est de proposer un état des lieux de l’exégèse qui concentre, dès une préface et une introduction précieuses, les références permettant de mieux se repérer dans cette histoire commune. Elle offre aussi l’occasion de revisiter des dossiers déjà délimités et d’en ouvrir quelques nouveaux. Ainsi Pierre-François Moreau propose-t-il une relecture fine et précise de la correspondance de Dortous de Mairan, dont on sait qu’il a interpellé Malebranche sur des aspects quasi spinozistes de son système, et des réponses apportées par ce dernier. La contribution d’Éric Marquer montre que Spinoza et Malebranche rejettent l’idée cartésienne d’une transparence de la conscience à soi-même. De manière plus inattendue, Raffaele Carbone étudie les deux auteurs d’un point de vue politique, d’après la manière dont ils pensent la constitution de la société civile. On regrettera toutefois, dans cette première partie, l’absence d’articles qui auraient développé frontalement les questions les plus cruciales qui sont celles du rôle de la volonté et de la liberté, ou de la confrontation entre l’étendue intelligible et l’attribut de l’étendue. La seconde moitié du livre s’intéresse aux réceptions des philosophies de Spinoza et de Malebranche chez des auteurs variés, allant de Condillac à Hume en passant par Leibniz et Du Marsais notamment. On retiendra la remarquable contribution d’Antonella Del Prete (« Malebranche-Spinoza, aller-retour. Le parcours polémique de Pierre-Sylvain Régis ») qui, à travers la figure de Régis et sa critique de la définition malebranchienne de Dieu comme « tout être », montre comment tous s’inscrivent dans l’histoire de la métaphysique qui les englobe.

Comme toute publication des actes d’un colloque, celle-ci ne se caractérise pas nécessairement par une grande unité. Elle n’en permet pas moins d’aider à combler un réel vide dans l’histoire de l’interprétation des deux auteurs, de concentrer utilement plusieurs dossiers d’étude et de dresser un certain nombre de perspectives qui ne demandent qu’à être davantage explorées.

Frédéric MANZINI

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Pour citer cet article : Frédéric MANZINI, « Raffaele CARBONE, Chantal JAQUET et Pierre-François MOREAU (dir.) : Spinoza-Malebranche : à la croisée des interprétations, Lyon, ENS Éditions (La croisée des chemins), 2018 », in Bulletin de bibliographie spinoziste XLI, Archives de Philosophie, tome 82/4, octobre-décembre 2019, p. 853-890.

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