Auteur : Matteo Caiazzi

Francesco CERRATO : Stili di vita. Fonti, forme e governo nella filosofia spinoziana dell’affetto, Milano, Mimesis, 2017, 170 p.

En réfléchissant sur les causes profondes qui ont entraîné à partir des années 1970 un tournant dans les études spinozistes, en particulier dans l’attention plus grande portée à la question des affects, l’auteur analyse une série d’hypothèses sur la philosophie de Spinoza et leurs implications dans certaines problématiques de la société du XVIIe siècle.

Le premier chapitre, consacré à l’analyse du concept de cause dans ses différentes déclinaisons, fournit le pivot autour duquel se construit l’argumentation. Il est montré comment, à travers la notion de cause immanente, Spinoza construit son ontologie, caractérisée par un réseau de relations horizontales à l’intérieur duquel le tout – la Substance – n’est pas placé dans une position d’éminence particulière par rapport à ses parties – les modes. La démonstration vise à souligner comment ce modèle ontologique fournit à Spinoza les conditions argumentatives pour développer la critique de l’idée de cause finale et redimensionner et historiciser la portée du discours prophétique. En acceptant l’axiomatique de Spinoza, il est impossible d’imaginer un cosmos téléologiquement orienté ou d’admettre l’existence d’une hiérarchie des êtres, à l’intérieur de laquelle certains hommes bénéficieraient d’une position privilégiée. Le deuxième chapitre propose une confrontation avec Descartes sur un thème particulier : la peur. Le choix d’approfondir cette passion pour faire ressortir les traits saillants et les principales nouveautés de ce modèle éthique est loin d’être arbitraire, car il offre à Cerrato l’occasion d’élaborer une réflexion intéressante pour saisir certains aspects-clés des changements sociaux survenus entre les XVIe et XVIIe siècles : une fois apprivoisées les forces de la nature, à travers le développement de dispositifs de plus en plus efficaces pour en contrôler les effets, c’est l’autre homme qui est perçu comme menace immédiate, ainsi que le montrent les architectures politiques conçues à partir de l’âge moderne. Après ce que l’on pourrait considérer comme la pars destruens du volume, Cerrato aborde des questions d’ordre gnoséologique ; il détermine les caractéristiques fondamentales de l’idée de vérité, à travers les concepts de loi de nature, de notion commune et d’adéquation pour mettre en évidence le processus qui permet la conversion des passions en affects actifs, et jeter les bases pour la fondation d’un espace d’action intersubjectif ou, pour utiliser le terme de Balibar, transindividuel. Le quatrième et dernier chapitre est consacré à une analyse de l’interprétation de l’auteur qui a peut-être le plus contribué à remettre au centre la théorie des affects, comprenant la philosophie de Spinoza comme une pratique de la libération et une critique de l’idéologie : Gilles Deleuze. À partir d’une comparaison des deux ouvrages, Spinoza et le problème de l’expression et Spinoza. Philosophie pratique, Cerrato reconstruit un moment essentiel pour comprendre le développement des études spinoziennes contemporaines.

Tout en jouant sur le rapport paradoxal entre liberté et nécessité, cet ouvrage est à signaler pour sa capacité à plonger le lecteur au cœur du débat contemporain.

Matteo CAIAZZI

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Pour citer cet article : Matteo CAIAZZI, « Francesco CERRATO : Stili di vita. Fonti, forme e governo nella filosofia spinoziana dell’affetto, Milano, Mimesis, 2017 », in Bulletin de bibliographie spinoziste XL, Archives de Philosophie, tome 81/4, Octobre-décembre 2018, p. 857-889.

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Alessandro PALLASSINI : Finitezza e Sostanza. Sulla fondazione della libertà politica nella metafisica di Spinoza, Pistoia, Petite Plaisance, 2017, 288 p.

Avec cet ouvrage, Alessandro Pallassini s’inscrit dans la lignée des études spinozistes qui se réfèrent à des auteurs tels que Matheron, Tosel et Balibar, pour étudier le lien entre la libre causalité de la Substance et la passivité typique de l’existence modale et tracer ainsi une théorie de la liberté individuelle et collective compatible avec le système métaphysique, strictement déterministe, exposé par Spinoza dans son Éthique. L’architecture conceptuelle reconstruite par Pallassini s’articule en trois sections. La première – La struttura ontologica del reale – est consacrée à l’analyse du tissu ontologique profond du cosmos spinozien, et fournit la base sur laquelle, dans les deuxième et troisième parties – respectivement, La costituzione dello spazio umano et La libertà dell’uomo – le discours moral et politique est greffé.

L’hypothèse théorique de base, qui soutient l’argumentation de l’ouvrage, permettant de fonder sur le niveau ontologique les conditions de l’agir individuel et inter-individuel, peut se résumer de la façon suivante. Si Dieu est immanent, et si les naturalia, les modes, ne peuvent exister que dans et comme parties de Dieu, alors la différence entre la liberté ou activité de la substance et celles du mode doit être une différence d’ordre purement quantitatif. Autrement dit, chez Spinoza le terme « libertas » présente une signification univoque autant par rapport à la Substance que par rapport à toute production naturelle donnée : entre les deux états ontologiques, apparemment fort divergents, il y a en effet plusieurs points de contact. Chose parmi d’autres, structurellement liée à sa propre condition d’existence modale et radicalement sujette à la domination des passions, l’homme est néanmoins en mesure de se placer, grâce à la connaissance adéquate, au niveau d’une partie active et productive du réel. L’intériorisation et la compréhension des lois, qui règlent de manière nécessaire les événements naturels, déclenchent ainsi ce processus infiniment perfectible par lequel l’homme peut se déterminer selon les lois de sa propre nature, atteignant des degrés de liberté toujours plus grands.

La définition de ces concepts nous permet alors d’accéder au véritable cœur du livre : une analyse de la façon dont Spinoza interprète, éthiquement et politiquement, ces importants, mais encore abstraits, résultats théoriques. En passant en revue les thèses et les théories contenues dans le TP et le TTP, l’auteur observe comment les composantes imaginatives et rationnelles de la mens humaine se socialisent au sein des communautés, montrant ainsi la complexité et le caractère concret du discours politique spinozien. La politique prends alors forme comme cette dimension à travers laquelle les différents appétits rationnels et imaginatifs des individus, se rencontrant et s’affrontant, donnent vie à un corpus collectivum, l’État, constamment traversé par des forces centrifuges et centripètes engendrées par les actions et les passions humaines, éternellement suspendu entre l’utopie d’une condition de parfaite cohésion et coopération et la menace – tout aussi irréalisable – d’une désagrégation de toute forme de collectivité, le pur état de nature. Il est ainsi souligné jusqu’à quel point la conception ontologique et anthropologique de Spinoza, en plaçant l’action causée par l’idée adéquate dans une dimension immédiatement collective, non seulement permet de dépasser les abstractions et les apories propres aux positions contractualistes, mais est aussi à l’origine de l’« option démocratique » épousée par le philosophe néerlandais.

À travers ce parcours, Pallassini nous restitue le portrait d’une liberté dans la finitude comprise comme processus continu, constamment marqué par une série de conquêtes, de défaites et de reconquêtes ; une liberté qui permet de considérer l’homme non seulement comme un effet de la Natura naturans, mais aussi comme capable de s’autodéterminer, de produire et de se reproduire lui-même, de reproduire aussi son espace social. Une liberté qui, même lorsqu’elle se réfère à l’individu, ne peux être conçue que par rapport à l’autre.

Matteo CAIAZZI

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Pour citer cet article : Matteo CAIAZZI, « Alessandro PALLASSINI : Finitezza e Sostanza. Sulla fondazione della libertà politica nella metafisica di Spinoza, Pistoia, Petite Plaisance, 2017 », in Bulletin de bibliographie spinoziste XL, Archives de Philosophie, tome 81/4, Octobre-décembre 2018, p. 857-889.

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