EnglishPhilosophie, psychologie, psychanalyse. Perspectives sur la transformation sociale

Tome 86, cahier 1, Janvier-Mars 2023

Katia Genel & Emmanuel Delille, Avant-propos

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Frédéric Fruteau de Laclos, Psychologie historique et « retour à Freud ». Des compatibilités refoulées

La science française a d’abord réservé un mauvais accueil à la psychanalyse. La psychologie historique, objective, comparée s’est notamment insurgée contre la « fixité » de l’inconscient freudien. Mais il paraît difficile de soutenir des positions comparatistes en se fondant sur une complète variabilité du mental. A contrario, les épistémologues et les psychologues qui ont fait des tendances un invariant anthropologique sont parvenus à instaurer des comparaisons historiques pertinentes. L’étude du premier « retour à Freud » prôné par Lacan prouve même que la reconnaissance de principes métapsychologiques, loin d’entraver la pratique du comparatisme, peut aider à la fonder.

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Claire Pagès, Réflexions croisées sur les destins sociaux des désirs. Freud / Adorno & Horkheimer / Elias

La production désirante se trouve informée par le fait que le sujet affectif est inscrit dans une époque, une culture, un milieu social et tributaire de différentes formes de socialisation qui le disposent ou l’inclinent à désirer telle ou telle chose. Les trois théories que nous proposons de confronter font valoir l’origine principalement sociale des défenses suscitées par la vie pulsionnelle. Cette transformation affective est nommée par Freud refusement culturel (Kulturversagung), par Adorno et Horkheimer intégration totale ou répression (Repression) et par Elias également répression et refoulement des pulsions (Dämfung der Triebe) mais au sens d’une capacité accrue d’autocontrôle (Selbstkontrolle) ou d’autocontrainte (Selbstzwänge). Qu’est-ce qui spécifie et distingue chacune de ces trois formes d’intégration de la norme sociale à la personne, pour reprendre une expression d’Elias dans La Société de cour ?

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Katia Genel & Agnès Grivaux, Les besoins : une mise à l’épreuve de la psychanalyse par la Théorie critique

Le présent article se propose de revenir sur l’apport de la psychanalyse à l’élaboration de la théorie sociale critique développée par Adorno et Horkheimer. Pour en éclairer la spécificité, il se consacre à l’étude de la théorie des besoins que ces auteurs élaborent dans les années 40, qui vise à élucider comment il est possible de satisfaire socialement les besoins de tous sans reconduire la domination de la nature. L’article démontre la contribution de la psychanalyse au développement de cette théorie, qui se constitue dans un dialogue avec les notions freudiennes d’autoconservation et d’étayage. Il entend détailler comment la théorie des besoins permet de mettre en lumière la façon dont cette théorie sociale critique met à l’épreuve la théorie freudienne des pulsions : le concept de besoin s’établit dans la théorie sociale par l’intermédiaire d’une confrontation avec la naturalité propre à la pulsion, et permet à la théorie sociale d’élaborer un concept de nature dans lequel nature interne et nature externe sont articulés et différenciés.

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Pierre-François Noppen, Freud et la logique de l’aveuglement dans les « Éléments de l’antisémitisme » de Horkheimer et Adorno

Cet article propose un examen de la conception controversée de l’« antisémitisme politique » que développent Horkheimer et Adorno. En l’essence, ma lecture retrace leur appropriation critique de Freud. Je montre d’abord comment ils puisent dans Totem et tabou pour défendre qu’un interdit de la mimèsis, ou de l’imitation, est au cœur du processus des Lumières. Je montre ensuite comment ils s’appuient sur la conception freudienne de l’identification et de la formation du moi pour défendre que l’imitation est néanmoins ce qui permet la formation du sujet et le processus des Lumières. Selon ma lecture, cette tension crée les conditions nécessaires à l’émergence de l’antisémitisme politique.

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Emmanuel Delille, L’hygiène mentale selon Heinrich Meng. En marge de l’Institut de recherche sociale et de ses réseaux

Cette contribution apporte des éclaircissements sur le rôle du médecin et psychanalyste Heinrich Meng dans les réseaux de l’Institut de recherche sociale, en particulier sur sa perspective hygiéniste en santé mentale. Directeur adjoint de l’Institut de psychanalyse de Francfort au côté de Karl Landauer, Meng fut le porteur d’un programme de réformes sociales et de prévention appelé Psychohygiene, une conception de l’hygiène mentale adossée à la psychanalyse. Ce cadre de référence explique pourquoi et comment Meng a surtout été force de propositions en prophylaxie plutôt qu’en théorie, à l’unisson avec les pédagogues et les associations engagées dans la prévention en santé mentale. Même si Meng fut l’éditeur de nombreux ouvrages de psychanalyse appliquée aux institutions sociales, il est resté en marge de la théorie critique, à la fois à l’écart des sciences sociales et en dehors des premiers cercles de l’institut en exil.

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Marion Maurin & Aurélia Peyrical, Introduction aux conférences d’Adorno sur Freud, Los Angeles, 1948

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Theodor W. Adorno, Psychanalyse et sociologie (traduction inédite)

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Bruno Quélennec, Introduction à « Ernst Simmel et la philosophie freudienne » de Max Horkheimer

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Max Horkheimer, Ernst Simmel et la philosophie freudienne (traduction inédite)

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Odile Tourneux, L’institution imaginaire de la société chez Thomas Hobbes

La notion d’imagination est centrale dans l’œuvre de Thomas Hobbes et pourtant sous étudiée. Derrière une apparente homogénéité du corpus, la notion d’imagination subit des évolutions importantes au fil des décennies. Hobbes comprend peu à peu l’imagination comme une activité indissociablement cognitive et affective. L’intérêt pour le rôle des affects dans la vie mentale va conduire Hobbes à placer l’imagination au cœur de son anthropologie et de son système politique. Cet article défend l’idée selon laquelle Hobbes fait de l’imagination le fondement de l’institution sociale et politique.

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Claire Etchegaray, La peine et la perte chez Adam Smith. Une psychologie morale du deuil

Adam Smith qualifie de selfish l’expérience affective du deuil qui prend en anglais le nom de grief. D’après Patrick Frierson, Smith a pourtant bien conscience que nous sommes peinés par la perte d’un être qui avait à nos yeux une valeur intrinsèque et non une simple valeur instrumentale. Mais alors pourquoi qualifier la peine de selfish ? Pour répondre nous mettons en regard la conception de Smith et l’approche de Lord Kames sur la peine. Puis nous expliquons pourquoi cette selfishness n’empêche pas la peine d’être moralement approuvée. Enfin nous montrons que Smith en vient à proposer une délicate psychodynamique du deuil.

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Daniel Loick, Analyse collective et consciousness-raising. Deux techniques de transformation de soi autour de 1968

Dans le contexte des révoltes de Mai 68, certains groupes politiques ont développé des techniques collectives de transformation de soi. On en explore ici deux versions : « l’analyse de groupe », inspirée par la psychanalyse et pratiquée dans le mouvement étudiant ouest-allemand, et le « consciousness raising », utilisé par les féministes radicales étasuniennes. En comparant ces pratiques, on montre que le problème qu’elles posent a concerné un mauvais choix de méthode et non la discussion collective des affects individuels, désormais incriminée par certains récits rétrospectifs sur Mai 68 et critiques libérales. Contre ces dernières, on conclut par une brève défense de la politisation des formes de vie.

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Hubert Bost, Bayle calviniste libertin (par Andy Serin)

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Julien Farges et Dominique Pradelle (dir.), Husserl. Phénoménologie et fondements des sciences
Aurélien Djian, Husserl et l’horizon comme problème. Une contribution à l’histoire de la phénoménologie (par Baptiste Protais)

Après avoir présenté les « réformes » de la dialectique hégélienne par Croce et Gentile, nous examinons leur critique par Gramsci : les penseurs néo-idéalistes nieraient, contrairement à Hegel, les contradictions réelles – négation liée à certains égards à la logique des révolutions passives. Nous nous arrêtons ensuite sur les conceptions de l’État de Croce et de Gentile, dont les perspectives – respectivement libérale et étatiste – pêchent toutes deux par abstraction pour Gramsci. Ce dernier s’attache à penser l’État en son sens intégral (dans son unité dialectique avec la société civile), et juge pour cela nécessaire, ici aussi, de revenir à Hegel.

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Bulletin cartésien LII

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La question des rapports entre les transformations, en l’homme, de l’état de sa psyché (Ψυχη) et celles d’une société s’est tôt imposée en philosophie pour revenir ensuite de manière récurrente au fil de son histoire.
Cherchant la constitution idéale d’une Cité (Πολις) afin que la justice y prenne réalité, Platon établit déjà un lien dans sa République entre la santé et les maladies de la psyché et celles de la Cité. Il puise au lexique médical les termes de catharsis (Καθαρσις) ou pharmakon (Φαμαρκον), et préconise des mesures politiques aux allures de traitements curatifs pour libérer psyché et Cité des maux et dégradations qui les corrompent. Pour autant, la psyché n’est pas l’objet, dans sa philosophie, d’une science particulière. C’est avec le De Anima d’Aristote que se constitue pour la première fois une science de la psyché en philosophie.
Quelque deux mille ans plus tard, l’Anglais Robert Burton, dans son Anatomie de la mélancolie, établit des correspondances entre la mélan­colie qui affecte la psyché d’une personne et celle qui peut se propager dans le corps social d’un État au risque de le désagréger. Moins d’un siècle plus tard, dans sa Lettre sur l’enthousiasme, Shaftesbury, lui aussi anglais, recommande au pouvoir politique des mesures pour immuniser la cité de Londres contre les troubles provoqués par le zèle religieux de certaines minorités dans l’espace public et l’esprit de ses habitants. Empêcher ces minorités, par voie de justice et contraintes policières, de manifester leur foi serait pour Shaftesbury contreproductif et risquerait de les faire basculer dans un fanatisme religieux, dévastateur pour la santé et la paix du corps social. À l’inverse, l’humour étant à ses yeux une excellente thérapie des esprits, il préconise de moquer leurs pratiques les plus caricaturales par des saynètes jouées les jours de marché. S’il n’est question d’une science de la psyché ni chez Burton ni chez Shaftesbury, la philosophie n’en avance pas moins un peu plus tard, avec Hume dans son Traité de la nature humaine, vers une intelligence fine des rapports entre mouve­ments dynamiques et affectifs de la psyché et transformations de la société.
Du côté du monde allemand, Rudolph Göckel, à la fin du xvie siècle, est l’un des premiers philosophes à donner le nom de Psychologia à cette partie du savoir humain qui fait de la psyché son objet propre. Plus tard, toujours en monde allemand, Wolff fait de la Psychologia une partie constituante de la métaphysique, et la divise en deux branches. L’une, la Psychologia rationalis délivre un savoir rationnel sur ce que la psyché est en elle-même, c’est-à-dire du point de vue de son essence. L’autre, la Psychologia empirica, dont Wolff est le fondateur, présente une description du fonctionnement de la psyché sous la forme d’un parcours de la conscience de soi dans son rapport à ce qui est en dehors de soi. Il y enracine sa philosophie pratique, cette dernière englobant les domaines de l’éthique et du juridique. Plus tard encore, Kant se saisit de la Psychologie empirique développée par Baumgarten dans sa propre Métaphysique à la suite de Wolff. Il en fait le noyau germinatif d’une nouvelle discipline philosophique, l’Anthropologie, qu’il est le premier à enseigner en monde allemand et dont il extrait la matière de ses leçons de philosophie politi­que et morale. C’est trouver de nouveau avec Kant, et avant lui avec Wolff, la question des rapports entre le fonctionnement de la psyché et celui de la société. La psychologie empirique restera par la suite en monde allemand dans la sphère de la philo­sophie avant de s’en émanciper pour devenir une partie en soi du savoir humain : quel que soit le nom qui lui sera ultérieure­ment donné, psychologie ou psychanalyse, et quel que soit le terme utilisé pour désigner psyché, âme, esprit humain, ou encore intériorité du point de vue de ce qui se tisse au plus profond de cette intériorité. La publication par Brentano en 1874 de Psychologie d’un point de vue empirique est l’une des attestations de cette émancipation. Or cette publication situe aussitôt l’une des sources de la forme inédite que prendra la philosophie avec Husserl, à savoir une nouvelle phénoménologie, quand ce dernier met en dialogue la philosophie, dont il hérite, avec la psychologie empirique de Brentano. S’annoncent les rapports à venir entre la philosophie et ce qui a été une de ses constituantes, avant de devenir la psychologie, la psychanalyse au xxe siècle.
Le dossier Philosophie, psychologie, psychanalyse. Perspectives sur la trans­formation sociale, coordonné par Emmanuel Delille et Katia Genel, ne propose pas une nouvelle page d’histoire sur les rapports entre philosophie et sciences de la Ψυχη. Il explore les passages qui se sont ouverts au xxe siècle ainsi que les circulations de notions, de questions, de méthodes qui se sont établies entre psychologie, psychanalyse et les autres sciences humaines qui, parmi ces dernières, permettent à la philosophie de revêtir une nouvelle figure, celle d’une philosophie sociale. Cette dernière donne une forme vivante et évolutive à une pensée de la société. Le dialogue est la clef de ces circulations, ainsi que le met en pratique chaque article de ce dossier. Les traductions inédites de deux conférences de Theodor W. Adorno sur Freud et d’un article de Max Horkheimer intitulé « Ernst Simmel et la philosophie freudienne » publiées dans ce dossier sont un magistral exemple du dialogue, jamais achevé, entre philosophie et sciences de la Ψυχη : un dialogue fécond pour déchiffrer le tissage des transformations sociales et leurs causes, examiner les questions soulevées par ces transformations.
La Rédaction

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