Redécouvrir Canguilhem
Philosophie, santé, écologie
Tome 87, cahier 1, Janvier-Mars 2024
Claire Crignon & Cécilia Bognon-Küss, Avant-propos
Delphine Olivier, Réhabilitation contemporaine d’un Canguilhem philosophe : un arrière-plan conflictuel
Une affirmation récurrente parcourt les travaux récents : l’essor des études canguilhémiennes aurait permis de prendre conscience du caractère philosophique de cette œuvre, indûment considérée comme relevant de l’histoire des sciences ou de l’épistémologie. Mais comment la philosophie canguilhémienne aurait-elle pu être oubliée ? Cette affirmation surprenante doit être resituée dans un contexte de débats sur la nature de la philosophie des sciences.
Emiliano Sfara, Des concepts clés pour l’écologie contemporaine : technique, milieu et médecine
Jusque là peu connus, les deux textes de Canguilhem sur l’écologie sont réunis dans le tome V des Œuvres complètes. Chez lui, le sujet est intrinsèquement lié aux concepts de technique et de milieu. Ce qui éclaire ces questions : l’être humain doit-il renoncer aux techniques pour restaurer un équilibre supposé avec la nature, ne serait-il pas plutôt nécessaire de rendre à ses besoins leur priorité sur les intérêts économiques ?
Clémence Guillermain, Vieillir, à la lumière de la philosophie biologique
Même si la philosophie biologique de Canguilhem n’aborde que très peu la question du vieillissement, ses réflexions sur la santé et la maladie, le normal et le normatif, et plus généralement sur le vivant, constituent, dans leur ensemble, un cadre théorique pertinent pour l’appréhender. À la lumière d’un exemple, nous montrerons qu’elles permettent d’ouvrir un espace de dialogue entre réflexion philosophique et biologie contemporaine du vieillissement.
Guillaume Le Blanc, Le conflit des santés. Essai
La réflexion de Canguilhem est précieuse car elle souligne qu’il n’existe pas de science de la santé : la santé relève d’abord d’une évaluation, qui vient de l’épreuve de la maladie. Deux sens de la santé entrent dès lors en conflit qui traversent les différentes analyses de l’Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique, la santé comme abus et la santé comme régulation. Il semble bien que l’enjeu d’une philosophie de la vie soit de parvenir à les articuler.
Pierpaolo Cesaroni, La vita dei concetti. Hegel, Bachelard, Canguilhem (par Francesco Callegaro)
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Valérie Bettelheim, La question animale et ses enjeux : l’éclairage néoplatonicien
La question animale se pose à notre siècle dans un contexte de déconstruction qui cependant côtoie la perduration d’une discrimination ontologique de l’animal. Or l’éclairage que peut apporter la pensée de Plotin nous suggère un nouveau paradigme capable de libérer la différence animale : en suspendant l’éthique à l’ontologie, Plotin propose à l’homme de « laisser-être » l’animal, en tant que désinence du vivant dont il lui importe d’assurer la sauvegarde.
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Havi Carel, La maladie. Le cri de la chair (par Claire Crignon)
Stéphane Madelrieux, Philosophie des expériences radicales. (par Thomas Detcheverry)
Michel Bourdeau, La Fin de l’utopie libérale. Introduction critique à la pensée de Friedrich Hayek (par Gilles Campagnolo)
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Bulletin cartésiens LII et LIII
Dans le dernier cahier de l’année 2022, Archives de philosophie publiait « Tout Canguilhem ? L’édition de ses “Œuvres complètes” », note de lecture signée par Pierre Macherey. L’avant-dernier volume des Œuvres complètes publiées par Vrin était paru en 2021 tandis que le premier avait été édité en 2011 – l’ensemble, selon une tomaison différente de la chronologie des publications des volumes. Il s’imposait au Comité de rédaction qu’une note de lecture consacrée à cette édition prise en son ensemble soit rédigée et publiée pour en saluer l’évènement. Pierre Macherey s’en est brillamment acquitté, ouvrant à l’intelligence du travail éditorial accompli, défrichant l’accès à la démarche de Georges Canguilhem non sans évoquer l’atmosphère des universités françaises des années 1950 et 1960 et le rôle qu’il avait pu y jouer.
Un travail éditorial de cette ampleur ne met pas seulement à disposition des lecteurs des œuvres selon des regroupements, des ordonnances et des cohérences arrêtés par l’équipe de ses éditeurs scientifique. Il permet aussi et fondamentalement de ne pas subir le désagrément d’un morcelage éditorial des ouvrages, morcelage qui jusque-là conditionnait l’abord de Canguilhem selon les besoins de la recherche. Cette réalisation éditoriale offre bel et bien à tout lecteur et tout chercheur, quelle que soit sa discipline ou ses sujets d’enquêtes, d’envisager autrement l’acte de penser de Canguilhem. De l’envisager, voire de le découvrir. Et découvrant cet acte, de redécouvrir Canguilhem en surmontant l’épreuve ou l’objection de complexité qu’imposent de prime abord les multiples facettes de sa pensée et des questions par lui traitées, comme si les unes et les autres se dissociaient faute d’unification a priori entre elles.
Reconnaître la complexité de l’œuvre de Canguilhem et porter au jour son unité, c’est précisément ce qu’accomplit “Redécouvrir Canguilhem. Philosophie, santé, écologie”, magistralement coordonné par Claire Crignon et Cécilia Bognon-Küss. Ces dernières signent une présentation intelligente, rigoureuse, solidement documentée en livrant la perspective et la méthode de ce dossier pour l’honorer. Quatre études sont réunies. Elles tracent un chemin possible à travers les Œuvres complètes de Canguilhem qui passe par des lieux notables et originaux de sa réflexion : celui de la dimension pleinement philosophique de sa pensée, pleinement c’est-à-dire non réduite à l’histoire des sciences ni à l’épistémologie ; celui de l’écologie et du rapport aux techniques quant à leurs incidences sur le monde de la nature et du vivant ; celui de la biologie et de la question du vieillissement ; celui de la santé, enfin, qui ne saurait devenir l’objet d’une science de la santé. Ces lieux ne constituent pas des étapes isolées, c’est-à-dire sans rapport les unes avec les autres ni, au contraire, diluées les unes dans les autres par des assimilations fusionnelles. Ce chemin fait bien plutôt venir au jour le centre de gravité qui relie ces lieux et qui travaille, a priori, à l’unification de l’œuvre de Canguilhem. Ce centre de gravité, c’est l’homme : ou la question qu’est l’homme. Le lecteur, décidant résolument de s’engager sur ce chemin, progresse alors vers une transformation de son propre regard sur lui-même et sa propre inscription dans la sphère du vivant : un regard que ne sidèrent pas les dislocations actuelles du monde et les béances des sociétés humaines mais qui dispose l’homme à la restauration de sa propre humanité.
La Rédaction
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