Auteur : Xavier Kieft

Meyer, Michel, Descartes et la rhétorique de la modernité, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2021, 173 p.

L’attachement de M. Meyer à Descartes était connu et ancien, à tout le moins du fait de l’omniprésence de Descartes dans Le Philosophe et les passions (1991) et en raison de sa contribution à Descartes. Objecter et répondre (J.-M. Beyssade et J.-L. Marion éd., Paris, 1994, voir BC XXV). Le présent ouvrage reproduit, à de très rares modifications stylistiques près, le n° 298 (2021/4) de la Revue internationale de philosophie (paru quasi simultanément, peu avant la disparition de l’auteur, lequel, outre son abondante production personnelle, avait assuré la direction de ladite revue pendant plus de quarante ans). Meyer y reprend des perspectives déjà développées dans ses articles antérieurs, et propose en réalité une introduction historiquement orientée par son concept personnel de problématologie, à partir d’une exposition chronologique des principaux travaux de Descartes centrée sur les Médiations. À la lecture, on constatera que la sollicitation de poncifs quelque peu convenus de l’école du cartésianisme libre penseur ou sceptique peut favoriser une mise en perspective originale. Fallait-il vraiment « rappeler que toute sa vie, [Descartes] a été persécuté par les théologiens de la Sorbonne » (p. 10), parce qu’il « frise l’athéisme » (p. 91), ou parce qu’il cherche à « dépasser les modèles de discours qui prêtent à controverse et qui, pour [lui], doivent être remis en doute » (p. 31), quitte, parfois, à « saborder l’originalité de son projet » (p. 35) par prudence ? On laissera au lecteur averti le soin de trancher. Mais force est de constater qu’on trouvera dans cet ouvrage une façon assez suggestive d’introduire à la discipline meyerienne qui exige de se rappeler que le questionnement est le point de départ de toute pensée et que c’est ce questionnement même qu’il faut avant tout interroger. Il est possible que Descartes opère une telle manœuvre en mettant en doute le « propositionnalisme apodictique » lié à la présentation d’une méthode pour trouver une vérité de façon démonstrative, au moyen d’un doute aboutissant au cogito qui pourrait déjà passer « non pour un point de départ », mais pour une réponse à la volonté de certitude (p. 75 sqq.).

Xavier Kieft (Sorbonne Université)

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Pour citer cet article : Meyer, Michel, Descartes et la rhétorique de la modernité, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2021, 173 p., in Bulletin cartésien LII, Archives de philosophie, tome 87/1, Janvier-Mars 2024, p. 135-180.

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Matton, Sylvain, « Une maîtresse d’esthètes lectrice de Descartes : Alice Lavolle, dite “Manon Fin-de-siècle” », Histoires littéraires, volume XXII, n° 85, 2021-1, p 31-60.

Il fut un temps où une galante de Paris se piquait de jouer les élégantes en apparaissant sans cesse un volume de Descartes à la main : c’est le portrait de cette séductrice, modèle des peintres dans son jeune âge, que présente de façon plaisante et fort documentée cet article. On y trouvera le récit des déboires de Mlle Lavolle à la toute fin du XIXe siècle, à la suite de ses apparitions au Moulin rouge et à l’Élysée Montmartre, mais aussi l’évocation de sa fin de vie rangée. On n’y apprendra rien sur Descartes, si ce n’est qu’à l’époque où il devient le philosophe de ralliement de la gauche républicaine (voir François Azouvi, Descartes et la France, Paris, 2002, p. 256-263), il peut sembler de bon ton de poser près de soi un exemplaire du Discours de la méthode – qu’on se vantera éventuellement d’appliquer aux « passions de l’amour ». Quel était en la circonstance l’usage de cette intimidante philosophie ? Libre à chacun d’oser le conjecturer.

Xavier Kieft (Sorbonne Université)

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Pour citer cet article : Matton, Sylvain, « Une maîtresse d’esthètes lectrice de Descartes : Alice Lavolle, dite “Manon Fin-de-siècle” », Histoires littéraires, volume XXII, n° 85, 2021-1, p 31-60., in Bulletin cartésien LII, Archives de philosophie, tome 87/1, Janvier-Mars 2024, p. 135-180.

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Anonyme, Hypothèse de la nouvelle philosophie, texte édité et présenté par Sylvain Matton, avec des études de Maria Teresa Bruno et José Médina, Paris-Milan, SÉHA-Archè, 2022, LXXXVI-241 p.

L’inépuisable passion de S. Matton pour les choses curieuses nous permet cette année de découvrir un manuscrit de physique peu connu, quoique déjà repéré par André Robinet. S’y offre un gassendisme attesté par les abondantes « Notes sur les sources » (p. 166-228) et démontré par l’étude de J. Médina (p. XXIX-LVIII), dont l’influence cartésienne n’est toutefois nullement ignorée. L’agencement logique et démonstratif des questions, mis en valeur par l’analyse de M. T. Bruno (p. LIX-LXXXVI), donne à voir des échantillons originaux de réfutation des formes substantielles par l’analyse du concept de génération ou d’amusantes considérations morales sur le raisonnement nécessaire des bêtes. On y retrouve ensuite une exposition parfois suggestive d’autres lieux classiques de la littérature scientifique du temps, sur les qualités, le système du monde, les météores et flux (jusqu’aux mises au point sur les sources du Nil), les sens. Bien des sujets pour satisfaire l’intérêt des lecteurs, comme la subtile évocation d’un mécanisme de la sympathie à la cartésienne, p. 56. L’érudition admirable de l’éditeur, très prolixe en 2022 puisque plusieurs autres ouvrages sont parus dans sa collection, est encore à l’œuvre dans la riche présentation du volume.

Xavier Kieft (Sorbonne Université)

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Pour citer cet article : Anonyme, Hypothèse de la nouvelle philosophie, texte édité et présenté par Sylvain Matton, avec des études de Maria Teresa Bruno et José Médina, Paris-Milan, SÉHA-Archè, 2022, LXXXVI-241 p., in Bulletin cartésien LIII, Archives de philosophie, tome 87/1, Janvier-Mars 2024, p. 185-240.

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Dotoli, Giovanni, Montaigne et Pascal. Deux cœurs une âme, Paris, L’Harmattan-AGA, 109 p.

La publication massive des œuvres de G. Dotoli donne lieu à la parution de ce petit ouvrage de méthode comparatiste qui reprend le dossier déjà connu mais toujours intéressant de la relation entre Montaigne et Pascal en envisageant, comme d’autres avant lui (voir, pour un travail récent, le volume 33 des Montaigne Studies de 2021, sous la direction de V. Carraud, A. Frigo et G. Olivo), comment la lecture de l’un permet d’éclairer la pensée de l’autre. C’est ici principalement de Pascal qu’il sera fait cas, à partir de Montaigne, dont l’auteur est un spécialiste avéré. La mise en regard des doctrines, soutenue par une prise en compte assez savante du commentaire pascalien, se déclinera en six ou sept thèmes traités chacun en dix courtes pages : l’homme, le moi, la connaissance et la sagesse, la mort, la religion, l’écriture et aussi « le chemin commun » : « le voyage à l’intérieur de notre moi, notre mystère » (p. 87). On s’efforce ici de souligner à quel point Montaigne fait office de maître pour Pascal, car il anticipe ses pensées, y compris sur certains points de religion (puisque pour l’un comme pour l’autre, on ne prouve pas l’existence de Dieu de façon théorique car Dieu est incompréhensible, ce qui n’empêche qu’on puisse gager sur l’infini, p. 63-65). On est assez loin, dans cet agréable recueil, des enthousiasmantes envolées interprétatives de Jacques Derrida sur « Justice, force » (L 103) dans Force de loi (Paris, Galilée, 1994) – on pourrait d’ailleurs regretter que le thème de la justice ne soit pas ici abordé. Toutefois, sans rien bouleverser de notre compréhension des relations de l’auteur des Essais à celui des Pensées, ce volume fait sonner à nos oreilles une petite musique de littérature comparée érudite, certes un peu en recherche de formules faciles, mais finalement assez plaisante.

Xavier Kieft (Sorbonne Université)

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Pour citer cet article : Dotoli, Giovanni, Montaigne et Pascal. Deux cœurs une âme, Paris, L’Harmattan-AGA, 109 p., in Bulletin cartésien LIII, Archives de philosophie, tome 87/1, Janvier-Mars 2024, p. 185-240.

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Le Tellier, Hervé, L’Anomalie, Paris, Gallimard, 2020, réed. « Folio », 2022, 402 p.

En mars 2021, le vol Paris-New York connaît de violentes turbulences et disparaît des radars. Sa réapparition quelque temps plus tard entraîne une anomalie : ses passagers, toujours présents dans l’avion retrouvé, n’avaient, eux, pas disparus. Les voici donc dédoublés. Pourquoi parler du prix Goncourt 2020 dans le Bulletin cartésien ? Parce qu’en sa deuxième partie, il contient une section, « Descartes 2.0 » qui expose une thèse pataphysique : « le “Je pense donc je suis” du Discours de la méthode de Descartes est obsolète. C’est plutôt : “Je pense, donc je suis presque sûrement un programme.” » Le roman introduit ainsi la possibilité (appréhendée comme douteuse) de disjoindre la pensée et sa formulation d’une existence physique, ce qui en soi n’a rien de vertigineux, même si cela recoupe en l’occurrence la possibilité d’une appréhension cartésienne d’une intelligence conçue comme artificielle. Rien de très conceptuellement construit, mais cela mérite bien d’être souligné.

Xavier Kieft (Sorbonne Université)

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Pour citer cet article : Le Tellier, Hervé, L’Anomalie, Paris, Gallimard, 2020, réed. « Folio », 2022, 402 p., in Bulletin cartésien LIII, Archives de philosophie, tome 87/1, Janvier-Mars 2024, p. 185-240.

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JOLIBERT, Bernard, « Animalité et humanité selon Descartes. De l’importance du ‘ainsi que nous’ », L’enseignement philosophique, 2020/4, p. 5-17.

Le propos de l’article « relève plus de l’histoire de la philosophie que de la morale générale » (p. 9), même si le dossier de citations et de textes cartésiens classiquement mobilisés pour rendre compte de la question est mis en perspective vis-à-vis des débats contemporains relatifs au spécisme. On en trouvera ici une présentation assez équilibrée. Malheureusement, l’expression censée être au cœur de l’étude ne fait finalement pas l’objet d’une analyse réellement particulière, tout au plus en constitue-t-elle le point de conclusion.

Xavier KIEFT (Sorbonne Université)

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Pour citer cet article : JOLIBERT, Bernard, « Animalité et humanité selon Descartes. De l’importance du ‘ainsi que nous’ », L’enseignement philosophique, 2020/4, p. 5-17., in Bulletin cartésien LI, Archives de philosophie, tome 85/1, Janvier-Mars 2022, p. 196.

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GASPARRI, Giuliano, « La puissance divine chez Gassendi (et Descartes) », Les études philosophiques, 204, 2020/4, p. 121-139.

Cet article se consacre d’abord à une analyse du sens du concept de « volontarisme » dans les commentaires des auteurs susnommés, en regard d’autres philosophes modernes et médiévaux. Il s’agit ensuite d’envisager la limitation de la puissance divine du fait de la bonté de Dieu ou face à la contradiction. Le rapprochement de Gassendi avec Descartes se justifie non seulement par la transmission probable au chanoine de Digne par le biais de Mersenne des positions cartésiennes, mais également du fait qu’« on a affaire à des thèses assez traditionnelles » (p. 133). La fin de l’étude précise qu’il est difficile de réduire la présentation opérée à « quelques formules linéaires et cohérentes », notamment du fait du contexte circonstanciel de l’apparition des positions présentées ici avec l’érudition habituelle à l’auteur. Un article qui aurait mérité une relecture, mais riche et assez dense.

Xavier KIEFT (Sorbonne Université)

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Pour citer cet article : GASPARRI, Giuliano, « La puissance divine chez Gassendi (et Descartes) », Les études philo-sophiques, 204, 2020/4, p. 121-139., in Bulletin cartésien LI, Archives de philosophie, tome 85/1, Janvier-Mars 2022, p. 202.

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GILLOT, Pascale, La question du sujet. Descartes et Wittgenstein, Paris, CNRS éditions, 2020, 204 p.

La présente étude porte sur un thème pour lequel le passage par Descartes semble si obligé que sa reprise pourrait dissuader les plus courageux. On aurait pourtant tort de ne pas y prêter attention car la position de l’auteur classique ne fait l’objet d’aucune caricature visant à valoriser le contemporain. Il s’agit en réalité bien moins d’opposer Descartes et Wittgenstein, ou de rendre compte d’une critique fantasmée par certains interprètes hâtifs du premier par le second, que de prôner un « retour à Descartes » et un « détour par Wittgenstein » (p. 196). La thèse exposée est celle de « l’inextension du Je, contre ses déterminations anthropologiques, biologiques, neurologies ou psychologiques », ce par quoi celui-ci « révèle le point aveugle, mais également le point de résistance aux procédures d’identification imaginaires (idéologiques) de l’être-sujet » (p. 15). Les lectures proposées s’appuient sur des commentaires classiques en regard desquels un arbitrage interprétatif est présenté : Bouveresse, Balibar, Hintikka, Jean-Luc Marion, Lacan entre autres. De forme essentiellement négative (il est surtout question de favoriser la déprise de la conception d’un ego assignable à une quelconque forme de réalité caractérisable et susceptible de faire l’objet d’une maîtrise), la conclusion de l’ouvrage dégage la voie d’une possible émancipation de la subjectivité vis-à-vis des emprises disciplinaires.

Xavier KIEFT (Sorbonne Université)

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Pour citer cet article : GILLOT, Pascale, La question du sujet. Descartes et Wittgenstein, Paris, CNRS éditions, 2020, 204 p., in Bulletin cartésien LI, Archives de philosophie, tome 85/1, Janvier-Mars 2022, p. 204.

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TAUSSIG, Sylvie, « Descartes dans la pensée décoloniale. Une histoire alternative de la philosophie ? », Le débat, 208, p. 151-165.

On pourra ajouter au cabinet de curiosités cartésiennes très à la mode un article constituant pour l’essentiel une présentation critique des « Meditaciones anti-cartesianas » d’Enrique Dussel. Les amateurs de littérature sursollicitante pourront aisément retrouver en ligne ce dernier texte dans lequel l’auteur des Méditations, au titre de l’héritage de son éducation chez les jésuites et du rôle qui lui est traditionnellement assigné dans l’histoire de la philosophie moderne, est pris à parti, même si, selon la conclusion du commentaire de Sylvie Taussig, « la nécessité d’inculper Descartes ne s’impose pas » et relève d’une « erreur de catégorie », la philosophie ne pouvant constituer un « ‘épistémicide’ et une relégation des ‘connaissances’ indigènes » car elle ne produit pas elle-même de connaissances. Il est un peu dommage que, dans un dossier portant sur le passage du « post-colonial » au « décolonial », on se soit arrêté sur un texte représentatif de la seconde catégorie aussi caricatural, quand des ouvrages récents, tels Penser avec Descartes de Joseph Ndzomo-Mole (BC XLV), auraient également pu offrir un éclairage sur la première et une autre image que celle du « Descartes » de Dussel.

Xavier KIEFT (Sorbonne Université)

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Pour citer cet article : TAUSSIG, Sylvie, « Descartes dans la pensée décoloniale. Une histoire alternative de la philosophie ? », Le débat, 208, p. 151-165., in Bulletin cartésien LI, Archives de philosophie, tome 85/1, Janvier-Mars 2022, p. 206.

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ONG-VAN-CUNG, Kim Sang, éd., Les formes historiques du cogito. XVIIe-XXe siècles, Paris, Classiques Garnier, « Rencontres » 411, série Études de philosophie, 11, 2019, 381 p.

Contient : K. S. Ong-Van-Cung, « Introduction. Le Cogito cartésien et son historicité » ; D. Kambouchner, « Le Cogito en perspective. Histoire, philologie, phénoménologie » ; C. d’Arthuys, « L’âme a-t-elle de quoi être contente ? Lectures croisées de Descartes et de Pascal » ; P. Séverac, « Cogito à plusieurs et pensée du corps. Spinoza avec Vygotski » ; M. Lærke, « Leibniz sur le cogito » ; M. Pécharman, « La critique du principe du Cogito dans The True Intellectual System of the Universe de Cudworth » ; Ch. Litwin, « La philosophie première de Rousseau » ; E. Brigandat, « Le cogito biranien. De l’activité pure à la passivité relative » ; J.-M. Mouillie, « Le Cogito excédé. Sartre et la question des commencements de la pensée » ; K. S. Ong-Van-Cung, « Le cogito préréflexif et l’historicité du sujet chez Sartre. Variations sur un thème cartésien » ; E. Tron, « Mode d’être du monde et mode d’existence de l’ego. Du cogito cartésien au cogito tacite » ; D.Lorenzini, « Cogito et discours philosophique. Foucault lecteur de Descartes » ; J. Terrel, « D’Althusser à Foucault. Le sujet entre idéologie et vérité » ; K. Sakurai, « La philosophie du sujet et ses dehors. La question du cogito cartésien chez Foucault et chez Lacan » ; J.-Ph. Narboux, « Pensées en première personne et cogitationes cartésiennes » ; C. Brun, « Descartes et le Syndrome de Cotard. Neuropsychiatrie cognitive et philosophie ».

Dans le domaine des études cartésiennes portant sur un thème déterminé, le cogito occupe, de loin, la plus grande place. Que d’articles, que d’ouvrages consacré à l’analyse logique ou historique de ce pronunciatum, à ses antécédents, à ses réceptions ! Dans le présent volume, K. S. Ong-Van-Cung l’indique de manière on ne peut plus claire dès l’introduction : « le Cogito cartésien est saturé par l’analyse critique » (p. 12). Était-il donc sage de remettre une fois de plus l’ouvrage sur le métier ? Est-il judicieux de se plonger dans la lecture de ce collectif à l’ampleur considérable ? Force est de constater que la réponse est positive. Certes, il ne pourra même pas faire office à lui seul d’ouvrage d’initiation à l’étude de la réception du cogito, car il lui manque pour cela des développements substantiels sur certaines figures obligées ou, à tout le moins, attendues, tels les grands interprètes germaniques ou les phénoménologues non existentialistes, dont l’influence intellectuelle est certes soulignée (essentiellement dans l’introduction ou dans le premier article de D. Kambouchner), mais dont les ressorts proprement conceptuels ne sont pas restitués. Et pourtant, à travers les perspectives qu’il offre sur la fortune d’un énoncé appréhendé tour à tour comme raisonnement, assertion, conclusion, principe, etc. c’est presque une myriade de figures de D. qui nous sont ici données à voir, chacune participant, par son appropriation ou les efforts entrepris pour la critiquer, à l’élaboration d’une pensée propre. Et c’est du point de vue la valorisation (ou du rejet) de l’héritage cartésien ainsi mis au jour que ces Formes historiques du cogito, sont remarquables. Les contributeurs proposent dans l’ensemble des analyses riches, informées et variées, certes parfois discutables – mais n’est-ce pas exactement ce que l’on attend de ce genre d’exercice ? –, toujours suggestives, allant de l’histoire de la philosophie ou à celle de son historiographie à la philosophie comparée, en faisant la part belle aux auteurs anglo-saxons ainsi qu’à leurs héritiers idéologues ou analytiques, aux (post-)structuralistes et aux existentialistes, même aux psychologues. Somme toute, ceci en fait un collectif original, qui saura trouver sa place dans cette niche philosophique que constitue à elle seule la cogitologie.

Xavier KIEFT (Sorbonne Université)

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Pour citer cet article : Xavier KIEFT, « GENY, Vincent, « Réflexion et expérience chez Malebranche », Revue Philosophique de la France et de l’Étranger, 144, 2019-2, p. 147-164. », in Bulletin cartésien L, Archives de Philosophie, tome 84/1, Janvier-Mars 2021, p. 155-223.

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ENGEL, Pascal, Les vices du savoir. Essai d’éthique intellectuelle, Marseille, Agone, « Banc d’essais », 2019, 615 p.

P. Engel croit en la valeur de la vérité, thème auquel il a déjà consacré bien des ouvrages. L’éthique intellectuelle qu’il présente de manière extensive dans son dernier volume vise à faire admettre l’importance de cette valeur tant à ceux qui souhaitent profiter de son déclin pour généraliser l’usage du baratin sur la place publique comme en privé – ce qui ne sert que l’exacerbation de l’usage de la force et du pouvoir – qu’à ceux qui espèrent en vain que son abandon pourrait permettre l’avènement d’un ordre dans lequel la solidarité ou d’autres nouvelles normes sociales positives pourraient émerger. Chemin faisant, en suivant pour cela la voie dégagée par E. Sosa (voir par exemple Judgment and Agency, Oxford 2017 et le compte rendu dans le BC XLVI), il consacre un bref chapitre à « Descartes et la vertu intellectuelle » (p. 313-333). Jouant avec les représentations convenues dans la philosophie dite « analytique », et reprenant une part des critiques qu’il avait adressées à la lecture d’A. Plantinga dans un article de 2002 (« Descartes y la responsabilidad epistemica », Laguna: Revista de Filosofía, 10, 2002, p. 9-26 ; voir BC XXXIII), l’A. discute de manière suggestive l’avis de Foucault selon lequel « après Descartes c’est un sujet de connaissance non astreint à l’ascèse [et donc potentiellement impur et immoral] qui voit le jour » (« À propos de la généalogie de l’éthique », 1984, repris dans Dits et écrits, nouvelle éd. de 1994, t. II, p. 1449, cité par Engel p. 31). Certes, D. n’a pas produit de « théorie positive des vertus intellectuelles », mais sa méthode vise l’instauration de « règles et de maximes » propres au « gouvernement de l’esprit » (p. 331). Donc, si la morale n’est pas sauve, une certaine vertu pourrait bien l’être !

Xavier KIEFT (Sorbonne Université)

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Pour citer cet article : Xavier KIEFT, « ENGEL, Pascal, Les vices du savoir. Essai d’éthique intellectuelle, Marseille, Agone, « Banc d’essais », 2019, 615 p. », in Bulletin cartésien L, Archives de Philosophie, tome 84/1, Janvier-Mars 2021, p. 155-223.

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DANINO, Philippe, éd., L’idée de philosophie à l’âge classique. Numéro spécial des Archives de philosophie, 2018/1, 81, p. 5-141.

Le présent cahier des Archives de philosophie est principalement composé des actes d’une journée d’études tenu le 23 mars 2015. L’« avant-propos » de son organisateur, Ph. Danino (p. 7-14) en expose les enjeux : il s’agit d’étudier le moment où « la raison se donne […] [le] projet […] de refonder l’édifice du savoir », selon certaines de ces figures les plus caractéristiques : en son lieu anglais avec Bacon, Hobbes, Wilkins et Petty (contribution d’E. Marquer, p. 15-47) ou encore Locke (présenté par Ph. Hamou, p. 99-113), chez Spinoza (Ph. Danino, p. 83-97), chez Leibniz (P. Rateau, p. 115-141). H. Bouchilloux dans « Pascal et le principe de raison christique » (p. 69-81) entend montrer que Pascal n’opère pas un dépassement de la philosophie ou une destitution de la métaphysique au profit de l’ordre de la charité (contra J.-L. Marion et V. Carraud), mais qu’il attribue à la philosophie même la tâche d’appréhender « le bon point de vue et de se faire par là à la fois critique et autocritique » (p. 80), ce par quoi elle interprète la formule selon laquelle « se moquer de la philosophie c’est vraiment philosopher » (L. 513). E. Mehl, quant à lui, offre dans « Descartes ou la philosophie des (re)commencements » (p. 49-67) une véritable introduction à la pensée de D., pédagogique, érudite et élégante. Il y distingue les trois commencements cartésiens de 1619 (pour la méthode et les mathématiques), de 1629-1630 (pour la physique et son fondement dans la doctrine des vérités éternelles) et de 1641 (pour la philosophie première). Il indique également comment chacun de ces commencements s’articule avec les autres et ce que l’entreprise cartésienne doit à l’histoire de la philosophie au sein de laquelle elle inaugure un nouveau moment décisif.

Xavier KIEFT (Versailles)

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Pour citer cet article : Xavier KIEFT, « Philippe Danino, éd., L’idée de philosophie à l’âge classique. Numéro spécial des Archives de philosophie, 2018/1, 81, p. 5-141 », in Bulletin cartésien XLIX, Archives de Philosophie, tome 83/1, janvier-mars 2020, p. 151-222.

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SIMONETTA, David, « Descartes. L’intuition et la mémoire », Dix-septième siècle, 2017/4, 277, p. 701-718.

Cet article présente une mise en perspective des textes de D. relatifs à la mémoire avec les références renaissantes et celles de son temps, notamment Ravenne, Camillo, Schenkel et Meyssonnier, suivant en cela les travaux classiques de Rossi et Yates dont l’A. se démarque toutefois : en effet, D. n’est pas envisagé ici dans la continuité, mais à juste titre en rupture vis-à-vis de ces prédécesseurs (p. 710). Ce faisant, l’A. s’étend sur le statut de la mémoire intellectuelle chez D., et propose quelques remarques conclusives relatives au « dualisme ». On reconnaîtra à cet article l’intérêt de placer sous les yeux du lecteur quelques textes des représentants des arts de la mémoire que les travaux précédents ne citaient pas de manière aussi extensive, ainsi que le caractère suggestif de ses remarques concernant la mémoire intellectuelle. On regrettera seulement son ignorance presque totale de la littérature secondaire consacrée spécifiquement à la question dont il traite (« il n’existe certes pas de ‘théorie cartésienne de la mémoire’ ayant fait l’objet d’un exposé complet et systématique », lit-on p. 713), de sorte que si les importants travaux de D. Kambouchner sont heureusement évoqués, manquent l’article fondamental de P. Landormy sur « La mémoire corporelle et la mémoire intellectuelle chez Descartes » (Bibliothèque du congrès international de philosophie, Paris, Alcan, t. IV, 1902, p. 259-298), celui de J.-R. Armogathe sur « La memoria des modernes, ou les métamorphoses de Mnémosyne » (Biblio-17 : Papers on French XVII c. Literature, Paris-Seattle-Tübingen, 1993, p. 61-74), voire ceux de P. Guenancia et J. Sutton.

Xavier KIEFT

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Pour citer cet article : Xavier KIEFT, « SIMONETTA, David, « Descartes. L’intuition et la mémoire », Dix-septième siècle, 2017/4, 277, p. 701-718 » in Bulletin cartésien XLVIII, Archives de Philosophie, tome 82/1, Janvier-mars 2019, p. 143-224.


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DUBOUCLEZ, Olivier & PELLETIER, Arnaud, éd., « L’attention au XVIIe siècle : conceptions et usages », numéro thématique, Les Études philosophiques, 2017/1, 171, p. 3-117.

Ce cahier contient, outre sa présentation (p. 3-6), un ensemble de sept textes, dont trois portent notamment ou exclusivement sur D. Il s’agit des contributions de G. Hatfield : « L’attention chez Descartes : aspect mental et aspect physiologique » (p. 7-25), O. Dubouclez : « Attention et simultanéité intellectuelle chez Descartes, Clauberg et Spinoza » (p. 27-42) et Th. Barrier : « La capture de l’esprit : attention et admiration chez Descartes et Spinoza » (p. 43-58). Viennent ensuite quatre autres textes, de M. Dupuis : « L’attention et l’amour de l’ordre dans la morale de Malebranche » (p. 59-72), V. Lähteenmäki : « L’attention dans la philosophie de l’esprit de John Locke » (p. 73-86), L. Bouquiaux : « Attention et pensée aveugle chez Leibniz » (p. 87-102) et A. Pelletier : « Attention et aperception selon Leibniz : aspects cognitifs et éthiques » (p. 103-118). Si l’attention peut à bon droit être considérée comme une notion décisive pour la compréhension de l’entreprise cartésienne, au moins depuis les références à l’« esprit pur et attentif » de la Regula III, force est de constater que les héritiers et successeurs de D. ne l’ignorent pas non plus, quoiqu’ils lui attribuent un statut et une fonction souvent fort différents. C’est à la mise en perspective de ces théories divergentes que le lecteur de ce numéro des Études s’emploie, découvrant ce faisant un véritable kaléidoscope conceptuel, preuve que l’attention est loin d’être une notion univoque au XVIIe siècle. On rencontrera par ailleurs plusieurs styles d’études en histoire de la philosophie : l’analyse des emplois et significations (G. Hatfield), la distinction conceptuelle (L. Bouquiaux et A. Pelletier), la lecture interne érudite (O. Dubouclez) ou la mise en perspective interprétative (Th. Barrier, M. Dupuis et V. Lähteenmäki qui offre ici un prolongement de ses précédents travaux sur l’expérience et la perception chez Locke). Ce travail collectif constitue ainsi bien plus qu’un simple catalogue d’opinions ou une recension de points de doctrines de philosophes de l’âge classique : il donne à penser à nouveaux frais une question qui, pour actuelle qu’elle soit (voir à ce sujet la présentation et le début de l’article de M. Dupuis), est certainement suffisamment riche et complexe pour appeler encore bien des recherches.

S’agissant des textes portant plus spécifiquement sur D., on trouvera dans le texte de G. Hatfield une typologie des acceptions de l’attention dans ses usages cartésiens, à partir de la classification proposée par O. Neumann (dans l’important Historisches Wörterbuch der Philosophie dirigé par J. Ritter, Darmstadt, 1971), dont l’A. retrouve « six des sept catégories » (p. 11). Ce faisant, il insiste sur l’interaction entre l’esprit et le corps qu’implique l’attention et parle à ce sujet de manière suggestive d’« unité fonctionnelle » (p. 23). – O. Dubouclez insiste pour sa part sur l’intermédiaire décisif que constitue Clauberg dans la redétermination du statut de l’attention qu’opère Spinoza à partir de D. Alors que chez l’auteur des Regulae l’attention est une sorte de contention de l’esprit par lequel ce dernier, de manière quelque peu ambiguë, peut appréhender une chose singulière, voire plusieurs singularités ou encore le passage d’une étape du raisonnement à l’autre, chez Clauberg elle consiste essentiellement dans une opération sélective de l’intellect, tandis que la simultanéité des opérations intellectuelles ou des différents degrés du sens telle la réception des données par l’organe de la sensibilité, leur perception par l’esprit et le jugement concernant la nature de la chose vue sont un fait relevant de l’union de l’âme et du corps qui ne semble guère élucidé (p. 36). Chez Spinoza, c’est la simultanéité des affections du corps qui permettra la compréhension de la chose par un esprit embrassant adéquatement les choses dans une opération à l’occasion de laquelle l’auteur de l’Éthique ne parlera plus d’attention, laquelle pourrait renvoyer à l’idée de perception disjonctive et, ipso facto, inadéquate, de la complexité considérée alors confusément. – Th. Barrier étudie la relation entre l’admiration et l’attention chez D. et Spinoza. Chez le premier, l’étonnement interdit l’impassibilité et suscite l’admiration (p. 45) mais, s’il s’avère excessif, il peut empêcher de prendre convenablement connaissance de la chose admirée (et l’admiration tend alors vers l’hébétude). C’est pourquoi un effort est requis pour ne pas se laisser égarer par ces passions. L’A. en conclut, sans peut-être tout à fait le prouver, que chez D. « l’attention dépend toujours en dernière instance d’un exercice de la volonté susceptible de déterminer l’entendement » (p. 49), alors que quand Spinoza associe l’admiration à l’étonnement, il insiste sur le fait que la perception simultanée et confuse des choses diverses opère une sorte de blocage qui empêche le progrès vers la connaissance et constitue une sorte d’« absence totale à soi-même de l’esprit » contre laquelle on ne peut qu’enjoindre à être attentif, l’attention palliant alors la difficulté de l’appréhension de pluralité et diversité des éléments à prendre en compte dans une démonstration, par exemple, sans pour autant dépendre d’un simple engagement d’une volonté autonome. On voit ici dans quelle mesure cette contribution répond en un sens à celle d’O. Dubouclez. – L’aspect volontaire ou involontaire de l’attention constitue manifestement une des difficultés majeures des contributions de ce collectif (voir, par exemple, la section 3 de l’article de V. Lähteenmäki, p. 80). On ne s’étonnera donc pas que ce soit sur cette question que s’achève la dernière étude que l’on doit à A. Pelletier et dont on saluera la subtilité, car elle ne se réduit pas à mettre en cause les lectures de Leibniz qui attribuent l’aperception aux animaux. L’A. montre que, dans le cas du philosophe de Hanovre, la physiologie du corps, où s’articulent la perception et la mémoire corporelle, « constitue en fin de compte le ressort naturel de la capture de l’attention » (p. 115), laquelle attention, d’abord non réflexive, peut appeler, mais non systématiquement – ce qui ouvre de manière intéressante la discussion aux enjeux moraux – une réflexion.

Xavier KIEFT

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Pour citer cet article : Xavier KIEFT, « DUBOUCLEZ, Olivier & PELLETIER, Arnaud, éd., « L’attention au XVIIe siècle : conceptions et usages », Les Études philosophiques, 2017/1, 171, p. 3-117 » in Bulletin cartésien XLVIII, Archives de Philosophie, tome 82/1, Janvier-mars 2019, p. 143-224.


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Historia philosophica, 15, 2017, 184 p.

La dernière livraison de la revue dirigée par P. Cristofolini et A. Del Prete contient cinq articles concernant D. ou ses critiques, qui ne forment pas un ensemble cohérent mais néanmoins une agrégation remarquable. Dans la section « Opuscula », on trouve ainsi « La critica di Vico a Descartes. Critica e topica a confronto » d’Emma Nanetti (p. 31-42), dans lequel l’A. présente l’influence exercée au début des années 1700 par D. sur la pensée du futur auteur de la Scienza Nuova, ainsi que les motifs de la distance que ce dernier prendra à l’égard de l’auteur du DM : les écueils d’une pensée solipsiste et la nécessité de communiquer pour progresser dans la connaissance, le rôle de l’imagination dans l’élaboration du sens commun et l’aspect opératoire de la vérité qu’il convient de concevoir comme processus et non comme pure certitude.

La section « Monographica » est entièrement consacrée à l’histoire du cartésianisme dans un sens assez large. L’étude de D. Collaciani et S. Roux sur « Pierre Bourdin, anti-cartésien ou jésuite ordinaire » (p. 89-113) brosse un portrait original de l’auteur des Septièmes objections. Celui-ci y est en effet appréhendé pour lui-même à partir de ses travaux mathématiques et en particulier des thèses qu’il a fait soutenir durant sa carrière au collège de Clermont, et non pas vis-à-vis de D. On y découvre avec plaisir un Bourdin au travail, curieux des avancées scientifiques de son temps et très éloigné du portrait moqueur qu’en brosse l’auteur des Méditations métaphysiques lorsqu’il annote ses Objections. – Dans « ‘[P.]er experientiam scilicet, vel deductionem’. Descartes’ Battle for Scientia in the early 1630s » (p. 115-133), F. Baldassarri s’arrête sur la constitution du concept cartésien de scientia, élaboré à partir des Regulae et précisé dans la correspondance en opposition d’une part à Beeckman, à qui D. reproche d’appuyer ses découvertes sur la chance ou sur une appréciation erronée de choses sans valeur plutôt que sur les efforts de l’esprit même (p. 121), et d’autre part à Mersenne, dont il déplore les collections de choses curieuses quand il vaudrait mieux restreindre son enquête à ce qui est pertinent et encadrer ses expériences par des raisonnements et des principes de méthode (p. 126 sqq.). – S. Agostini revient dans « Clerselier and Descartes : Pagani habuerunt ideam plurium Deorum » (p. 135-145) sur la figure de celui que Baillet nommait le « second auteur du cartésianisme ». Après une présentation de l’éditeur de D. et de son rôle dans la défense de sa philosophie, notamment en ce qui concerne les fameuses discussions relatives à l’eucharistie, l’A. rend compte d’un autre engagement de Clerselier : il s’agit d’une des « victoires » (selon le mot d’une lettre de D. du 17 fév. 1645) gagnées par le futur traducteur des Objectiones et Responsiones contre un « célèbre philosophe parisien » non identifié à propos de la possibilité du polythéisme des païens (par quoi pouvait être mise en cause la clarté de l’idée de Dieu présentée dans la Cinquième méditation). S. Agostini s’appuie ensuite sur une lecture des Exercitationes centum de cognitione Dei et nostri de Clauberg pour signaler un échange épistolaire à ce sujet entre celui qui est alors étudiant à Groningue et le premier éditeur de la Correspondance de D. – G. Baldin, dans « Archi, spiriti e conatus : Hobbes e Descartes sui principi della fisica » (p. 147-165) s’intéresse à la genèse de la notion hobbesienne de conatus qu’il rapporte, pour une part, à la prise en considération du thème des esprit internes à partir des travaux de ses prédécesseurs et notamment du Mersenne de l’Harmonie universelle et, d’autre part, à sa lecture critique de la Dioptrique de D. à la suite de laquelle il refuse les notions d’inclination ou de détermination au mouvement pour forger une conception proprement dynamique dudit conatus. – Tout ceci constitue un bel ensemble dans lequel l’effort interprétatif le dispute à l’érudition.

Xavier KIEFT

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Pour citer cet article : Xavier KIEFT, « Historia philosophica, 15, 2017 » in Bulletin cartésien XLVIII, Archives de Philosophie, tome 82/1, Janvier-mars 2019, p. 143-224.


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DENNETT, Daniel, From Bacteria to Bach and Back. The Evolution of Minds, London, Allen Lane, 2017, xvi-476 p.

L’exposition la plus précise et la plus développée de la théorie de l’esprit de Dennett, dans La conscience expliquée, a immédiatement pris la forme d’une confrontation avec la pensée de D. Cette opposition persiste toujours, puisque le dernier ouvrage du philosophe de Tufts consiste également dans la réfutation d’un motif estimé cartésien : la « gravité cartésienne » (« la force qui [nous] enferme dans [le] point de vue égocentrique “de l’intérieur” », p. 20). Ce thème prend pour ainsi dire aujour­d’hui la place du célèbre « théâtre cartésien » inventé dans l’ouvrage de 1991 et constitue l’objet central du nouveau livre. Cette gravité est, selon l’A., ce qui nous incite à déterminer le sens d’une idée ou la signification d’un mot à partir d’un supposé contenu perçu en première personne. Dennett produit en vue de l’élucider son travail le plus complet et le plus suggestif à ce jour sur la notion de même qu’il a empruntée au Gène égoïste de Dawkins pour lui donner une nouvelle extension. La lecture de From Bacteria to Bach and Back est à la fois stimulante et ludique pour autant que l’on s’amuse à découvrir sous les intentions explicites de son auteur un cartésianisme secret, sans s’effaroucher des surinterprétations assumées et autres lectures à l’emporte-pièce dont il est coutumier : il ne s’agit pas ici de faire de l’histoire de la philosophie mais de poursuivre des travaux désormais classiques en théorie évolutionniste de l’esprit.

Xavier KIEFT

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Pour citer cet article : Xavier KIEFT, « DENNETT, Daniel, From Bacteria to Bach and Back. The Evolution of Minds, London, Allen Lane, 2017 » in Bulletin cartésien XLVIII, Archives de Philosophie, tome 82/1, Janvier-mars 2019, p. 143-224.


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MARTIS, John, Subjectivity as Radical Hospitality. Recasting the Self with Augustine, Descartes, Marion and Derrida, Lanham, Lexington Books, 2017, ix-179 p.

Dans une perspective d’emblée revendiquée comme post-déconstructiviste et post-phénoménologique (p. 1), l’A. entreprend de penser, principalement en regard de la philosophie de Marion et notamment de son concept d’adonné, ce qui pourrait tenir lieu de sujet comme « subject-in-loss » : un « sujet égaré », pourrait-on tenter de traduire (car il n’est pas non plus perdu pour lui-même, quoiqu’il soit pour ainsi dire déliquescent : p. 27 et 4). Ce faisant, le parcours tracé rend nécessaire la prise en compte des figures qui ont jalonné le cheminement de Marion, dont les principales retenues ici (outre Husserl et Kant) sont les trois autres auteurs du sous-titre : Augustin, Derrida et D., auquel il n’est finalement fait référence que pour discuter du cogito, reformulé en l’occurrence en « j’accueille, donc je suis » (p. 163). C’est en effet l’hospitalité conçue comme analogue de la foi (p. 5), selon une détermination qui en fait l’ouverture à l’autre comme tel (et non à l’autre reconduit à une sorte d’alter-ego, puisque d’ego qualifié il n’est encore point question avant l’advenue de l’autre) qui va permettre au sujet égaré qui se sent simplement exister de se penser comme ce que la substantialité de la subjectivité, éventuellement transcendantale, héritée du kantisme ne permettait pas d’appréhender convenablement. Au demeurant, l’accueil envisagé ici n’est que rarement – et seulement du fait de l’influence de Derrida – une manière de recevoir l’étranger arrivant en personne, mais plutôt une disposition générale à l’accueil de l’autre qui me fait ainsi prendre forme de sujet accueillant ou disposé à l’autre. On l’aura compris, il n’est point question ici d’interpréter ou même de lire D., mais plutôt de s’essayer à formuler ce que Marion peut donner à penser du sujet.

Xavier KIEFT

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Pour citer cet article : Xavier KIEFT, « MARTIS, John, Subjectivity as Radical Hospitality. Recasting the Self with Augustine, Descartes, Marion and Derrida, Lanham, Lexington Books, 2017 » in Bulletin cartésien XLVIII, Archives de Philosophie, tome 82/1, Janvier-mars 2019, p. 143-224.


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ARBIB, Dan, « L’ego image du Dieu ou du cogito suivant la volonté », Revue de métaphysique et de morale, 3/2016, p. 333-352.

Cet article propose une analyse du statut de la volonté dans la performance du cogito et dans les Meditationes III et IV où elle prend la forme de l’imago Dei au moyen d’une lecture interne originale et précise qui s’efforce d’élucider D. par lui-même, ce qui est toujours de bon aloi (en l’occurrence, il s’agit de montrer que, sur le point visé, la Meditatio IV opère un retour sur la Meditatio III et travaille en l’explicitant ce qu’elle annonce). Le primat de la volonté fait ainsi l’objet d’une étude suggestive et stimulante. On se plairait à voir comment celle-ci pourrait être articulée avec une analyse de cette volonté en ses déterminations, comme D. en propose par exemple dans les Lettres à Mesland des 2 mai 1644 et 9 février 1645, qui reviennent justement sur la Meditatio IV.

Xavier KIEFT

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Pour citer cet article : Xavier KIEFT, « ARBIB, Dan, « L’ego image du Dieu ou du cogito suivant la volonté », Revue de métaphysique et de morale, 3/2016, p. 333-352. » in Bulletin cartésien XLVII, Archives de Philosophie, tome 81/1, Janvier-mars 2018, p. 171-223.

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BORGHERO, Carlo & DEL PRETE Antonella, éd., L’uomo, il filosofo, le passioni, Florence, Le Lettere, « Giornale critico della filosofia italiana quaderni », 33, 2016, xii-332 p.

Ce volume reprend les actes d’un colloque international ayant eu lieu à l’Université de Rome « La Sapienza » en mai 2014. Il témoigne d’un élargissement des domaines de recherche du « Gruppo di ricerche sul cartesianismo » et est composé de quatre parties mettant chacune un thème ou sujet en relation avec les passions : une consacrée au corps, une axée sur la socialisation, une portant sur D. et les cartésiens et une dernière sur le scepticisme. L’érudition ici à l’œuvre fait la part belle aux choses curieuses et aux auteurs peu connus, tels Moreau de Saint-Elier ou Aubert de Versé, mais aussi à ceux que l’on considère ordinairement comme mineurs (Clauberg, Mersenne, Fontenelle, les Port-Royalistes) ou plutôt comme des gens de lettres que comme des théoriciens (Marivaux), aux grands (post-)cartésiens tels Spinoza, Malebranche et Diderot, aux auteurs anglo-saxons des XVIIe et XVIIIe siècles (Hobbes, Locke, Shaftesbury, Hume). L’ensemble constitue un remarquable panorama déployant la richesse des pensées modernes, présentées au prisme de l’étude des passions. Au cœur de ce beau volume, trois études sont spécifiquement consacrées à D. : une de G. Belgioioso portant sur tristesse dans la correspondance à Élisabeth, une de G. Mori sur la préface des Passions de l’âme, et une de D. Kambouchner centrée sur cette dernière œuvre.

Xavier KIEFT

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Pour citer cet article : Xavier KIEFT, « BORGHERO, Carlo & DEL PRETE Antonella, éd., L’uomo, il filosofo, le passioni, Florence, Le Lettere, « Giornale critico della filosofia italiana quaderni », 33, 2016, xii-332 p. » in Bulletin cartésien XLVII, Archives de Philosophie, tome 81/1, Janvier-mars 2018, p. 171-223.

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SHAW, Devin Zane, Egalitarian Moments. From Descartes to Rancière, London-Oxford, Bloomsbury, 2016, xii-208 p.

Le titre du présent ouvrage pourrait être trompeur. Il s’agit d’une étude centrée sur Rancière [= R.] à partir d’un thème fondamental dont l’A. trouve une origine dans la déclaration d’ouverture du Discours de la méthode relative au partage du bon sens. Ce rapprochement l’incite à soutenir que R. pratique l’« égalitarisme cartésien » (p. 9), une tendance qui consiste dans la décision de partir de l’égalité et de travailler à l’émancipation de sujets politiques auxquels on aura fait un tort en leur refusant l’auto-détermination ; on pense ici aux femmes, aux étudiants à qui on fait la leçon et qui n’ont pas leur mot à dire, aux pauvres. Quoique inspirateur d’un mouvement politique qui comprend Poulain de la Barre, Jacotot (le « maître ignorant » du livre éponyme de R.) et Beauvoir avant l’auteur du Philosophe et ses pauvres, l’auteur des Meditationes n’est pas tout fait un « égalitariste cartésien » (p. 11). L’enjeu du primat l’égalité des intelligences est en effet, selon l’A., souvent oblitéré chez lui par des questions de méthode, et D. reste souvent principalement apprécié en raison de son statut dans l’histoire de la métaphysique post-heideggérienne (p. 29-30). Comme par ailleurs « l’œuvre de Rancière ne contient pas de mise en question développée de la pensée de Descartes » (p. 42), notre philosophe brille surtout par son absence. De fait, après les mises au point évoquées à l’instant le livre aborde la question de l’égalitarisme de principe avec l’auteur de L’égalité des deux sexes, avant d’évaluer la position de R. lui-même, essentiellement en regard de Greenberg en esthétique et de Badiou en politique, tout en soulignant l’influence de Sartre et Beauvoir. D’autres auteurs sont mobilisés, tels Schelling ou Schiller, mais de D., il n’est pratiquement plus question après le premier chapitre. On remarquera aussi l’absence totale de Rousseau, pourtant assurément égalitariste et cartésien, et certainement influent sur R., mais on admettra que des choix aient pu être opérés. Quoi qu’il en soit, ces restrictions n’empêchaient pas qu’une étude serrée de la « traduction [par Jacotot] de la célèbre analyse cartésienne du morceau de cire », présentée par R. comme l’expression d’une « égalité cartésienne du cogito » placé sous le signe de la volonté dans Le maître ignorant (2e éd., 2004, p. 92-97) soit opérée. L’A., qui évoque ce passage, insiste sur la difficulté qu’il y a à distinguer la position de Jacotot de celle de R. (p. 44) ; c’est précisément dans un tel travail qu’il aurait été possible de prendre la mesure de la singularité ranciérienne. C’est en effet l’auteur de La mésentente qui découvre un cogito volontariste derrière la perspective sensualiste de Jacotot déployée dans le Journal de l’émancipation intellectuelle (t. IV, 1836-1837, p. 430-431, cité dans Le maître…, p. 93-94). Jacotot, pour sa part, traite plutôt du cogito pour le renverser en « Je suis homme, donc je pense » dans son Sommaire des leçons publiques de Mr. Jacotot, publié par son critique S. V[an] D[e] W[eyer] (Louvain, Valinthout et Vandenzande, 1822, p. 23, cité dans Le maître…, p. 62 et ici p. 44). Ainsi, quand l’inventeur de la panécastique fait quelque cas de D., ce n’est pas exactement dans le sens de R. Il eût été intéressant de montrer de quelle manière l’un et l’autre pouvaient donc, chacun à sa façon, être des égalitaristes cartésiens. Et il était peut-être également possible de montrer que c’est principalement R. qui a constitué Jacotot en cartésien émancipé, comme le suggère un entretien de 2005 sur « L’actualité du Maître ignorant » dans Et tant pis pour les gens fatigués (Paris, Amsterdam, 2009, p. 412-413).

Xavier KIEFT

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Pour citer cet article : Xavier KIEFT, « SHAW, Devin Zane, Egalitarian Moments. From Descartes to Rancière, London-Oxford, Bloomsbury, 2016, xii-208 p. » in Bulletin cartésien XLVII, Archives de Philosophie, tome 81/1, Janvier-mars 2018, p. 171-223.

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DESGABETS, Roberts, Opuscoli teologici e filosofici, editi a cura di Marco Ballardin, Milan, Vita e pensiero, 2013, LXII-326 p.

DESGABETS, Roberts, & LE GALLOIS, Antoine, Sull’Eucaristia. Scritti benedettini inediti negli anni del Traité de physique di Rohault, a cura di Maria Grazia et Mario Sina, Firenze, Olschki, 2013, CXX-509 p.

Deux très beaux volumes concernant Desgabets nous sont proposés : ils présentent la pensée du bénédictin de manière approfondie et permettent d’en réévaluer l’importance et l’originalité. Outre les rares textes parus de son vivant, sa philosophie ne nous était essentiellement connue que par le biais de quelques études – dont les magistrales thèses de P. Lemaire, Le cartésianisme chez les Bénédictins. Dom Robert Desgabets, son système, son influence et son école (Paris, 1901) et J.-R. Armogathe, Theologia cartesiana. L’explication physique de l’Eucharistie chez Descartes et dom Desgabets (La Haye, 1977) –, la publication de certaines de ses Œuvres philosophiques inédites par G. Rodis-Lewis et J. Beaude (Amsterdam, 1984) et les Controverses de Commercy reprises par J. Delon au tome II de son édition des Œuvres complètes du Cardinal de Retz (Paris, 2005). L’auteur de ces lignes avait appelé de ses vœux une édition des œuvres théologiques du bénédictin dans le BC XXXVI ; c’est avec joie qu’il a pu découvrir que cet appel avait été entendu par M. Ballardin, qui a entrepris en 2010 la publication de six de ces œuvres dans la Rivista de filosofia neo-scolastica, toutes reprises dans les Opuscoli désormais offerts au public, qui comprennent également cinq nouveaux inédits, dont un très important texte sur Les fondements de la philosophie et de la mathematique chrétienne contenus dans les loix de la nature et dans les regles de la communication des mouuemens… qui donne des justifications et explications relatives à la fameuse thèse de L’indéfectibilité des créatures comprise dans les fascicules 2 et 3 des Œuvres philosophiques inédites. Ce premier ensemble s’ouvre sur un essai introductif, qui présente le cadre intellectuel dans lequel se déploie la pensée du bénédictin et résume en quelques dizaines de pages les points essentiels de sa philosophie. Il déploie aussi une bibliographie précise qui en fait l’instrument de travail indispensable par lequel il conviendra de commencer ses recherches, parallèlement à la lecture des œuvres parues jusqu’ici. Sull’Eucartistia propose, comme l’indique son titre, un vaste ensemble de textes se rapportant aux questions eucharistiques précisément introduites dans l’essai exemplairement érudit par lequel il s’ouvre. Les textes y sont articulés autour des années charnières 1671-1672, au moment où, sous l’influence d’Harlay de Champvallon et suite à l’émoi causé chez les port-royalistes par la publication des Considerations sur l’estat present de la controverse touchant le tres-saint sacrement de l’autel, cet « avorton » embarrassant dont Lemaire avait fait grand cas aux chap. IV et V de sa thèse, il s’agit de faire cesser la diffusion de la doctrine cartésienne, notamment en ce qui concerne les possibles explications de la transsubstantiation inspirées par les lettres de Descartes à Mesland dont le caractère alors inédit n’a nullement empêché la diffusion. Ce très important ensemble comprend entre autres l’Explication familière de la théologie eucharistique sur laquelle s’appuyait J.-R. Armogathe dans la deuxième partie de Theologia cartesiana. Il propose également de découvrir la hardie Renovatio Antiqui SS. Eucharistiae explicandae modi per Philosophos, Theologiam et SS. Patres d’Antoine Le Gallois écrite en 1670, juste avant la parution des Considerations, et dont le public ne connaissait pour ainsi dire jusqu’alors que la réfutation dans le Mémoire de dom Mège contre un écrit du P. Gal. au sujet de sujet de l’Eucharistie repris par Lemaire en appendice de sa thèse sur le bénédictin. Ces deux ouvrages de vaste envergure sont accompagnés d’un ensemble de lettres et autres textes, principalement de Desgabets et de son disciple Senocq qui donnent la mesure des perturbations générées par ces manuscrits et les positions qu’ils traduisent, leur critique et leur diffusion en marge des publications officielles.

On l’aura compris, ces deux recueils constituent des jalons importants dans l’approfondissement de la connaissance de la diffusion du cartésianisme et de l’influence du cercle de Clerselier, puisque le rôle qu’y assume Desgabets prend le contrepied de la réserve publiquement adoptée par ce dernier et son gendre Rohault, même s’il n’est pas sûr à la lecture attentive des correspondances que la posture de Desgabets exprime sa seule imprudence, un zèle voire un enthousiasme cartésien de mauvais aloi ainsi que le suggéraient les commentateurs tels que Lemaire. Mais ils serviront aussi l’histoire des idées scientifiques, philosophiques et religieuses dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Ils invitent enfin à reprendre à nouveaux frais l’étude de la pensée propre de dom Desgabets, dont la singularité des opinions articulées autour la thèse fondamentale de l’indéfectibilité des créatures fait de lui non seulement un « petit cartésien » de tout premier ordre, mais aussi un auteur véritablement original.

Xavier KIEFT

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Pour citer cet article : Xavier KIEFT, « DESGABETS, Roberts, Opuscoli teologici e filosofici, editi a cura di Marco Ballardin, Milan, Vita e pensiero, 2013 et DESGABETS, Roberts, & LE GALLOIS, Antoine, Sull’Eucaristia. Scritti benedettini inediti negli anni del Traité de physique di Rohault, a cura di Maria Grazia et Mario Sina, Firenze, Olschki, 2013, » in Bulletin cartésien XLVI, Archives de Philosophie, tome 80/1, Janvier-mars 2017, p. 147-224.

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ARIEW, Roger, DES CHENNE, Dennis et alii, Historical Dictionary of Descartes and Cartesian Philosophy, Second ed., Lanham-Boulder-New York-Toronto-Plimouth, UK, Rowman & Littlefield, 2015, xx-388 p.
SMITH, Kurt, The Descartes Dictionary, London-New York, Bloomsbury, 2015, x-131 p.

Deux dictionnaires consacrés à D. et au cartésianisme sont parus cette année. Ou plutôt, la seconde édition d’un dictionnaire déjà reconnu (celui de R. Ariew, D. Des Chenne, D. Jesseph, T. Schmaltz et T. Verbeek) et un petit lexique. De dimensions très distinctes, ces deux ouvrages ne s’adressent pas au même public et, de ce fait, n’offrent guère le même contenu. Commençons par le second, The Descartes Dictionary de K. Smith, qui se présente explicitement comme un travail destiné aux étudiants (anglo-saxons) de premier cycle, peu familiers avec l’histoire de la philosophie en général et du cartésianisme en particulier. À ce titre, il s’ouvre sur une présentation rapide de la vie et de la philosophie de D., passablement convenue et, comme c’est presque inévitable pour ce genre d’exercice, en partie discutable, puisqu’elle fait fond sur la fameuse ontologie dualiste attribuée à notre auteur, s’interroge sur l’articulation de l’épistémologie et de la métaphysique et sur la présence éventuelle d’une morale définitive dans les œuvres publiées (p. 1-28). Elle s’achève sur autre pages consacrées au statut attribué à D. dans les salles de cours et met notamment en valeur le rapport conflictuel de Russell à notre philosophe, soulignant ainsi que ce lexique s’adresse principalement aux étudiants « analytiques », plutôt rompus aux discussions d’arguments appréhendés pour eux-mêmes qu’à la recherche de la source historique d’une querelle ou d’une idée. Les entrées de ce petit dictionnaire se devaient donc d’être sobres, synthétiques et non surchargées de références au corpus ou à la littérature secondaire, tout en étant suffisamment suggestives pour inciter les curieux à pousser plus avant leurs recherches. Force est de constater qu’elles remplissent le plus souvent honorablement ce rôle.

Le dictionnaire d’Ariew, Des Chenne et alii, quant à lui, s’adresse davantage aux chercheurs en histoire de la philosophie et aux étudiants de second cycle, et comprend ainsi un certain nombre d’entrées qui tendent vers l’érudition. Il est également agrémenté d’une substantielle bibliographie. Sa première édition était parue en 2003 chez Scarecrow Press (filiale de Rowman & Littlefield). Elle avait connu un assez beau succès et avait été rééditée en paperback en 2010. Les principaux ajouts de cette seconde édition se rapportent, comme l’indiquent les pages ajoutées à l’introduction (p. 12-16) au cartésianisme et à l’anticartésianisme, puisque les entrées de la première version du Dictionary ne sont nullement modifiées. À titre d’exemples, l’examen comparatif de quelques sections (A, B, C, G, L, M) du dictionnaire permet ainsi de découvrir ces nouvelles entrées, concernant des mouvements (« catholicism », « cartesianism », « anti-cartesianism »), mais aussi des concepts généraux en regard desquels la position cartésienne est explicitée (« authority »), des objets d’études ignorés dans la première version ou pour lesquels de simples renvois à d’autres articles étaient proposés (« comets », « composite », « cause in itself (causa sui) », « concurrence », « music »), ainsi que de nouvelles personnalités important pour l’histoire du cartésianisme (« Bagno », « Ban », « Boswell », « Brégy », « Golius », « Maresius », « Meysonnier »). La présentation plus aérée de la nouvelle édition (qui comprend plus de quatre-vingts pages supplémentaires) et la taille légèrement supérieure du nouveau volume accentuent l’impression d’augmentation de l’ouvrage, mais celle-ci n’est en réalité pas si quantitativement impressionnante, même si les suppléments sont très bienvenus et appréciables. Ils traduisent les préoccupations communes de ses auteurs, qui ne conçoivent guère l’étude de D. hors de son contexte historique et du mouvement intellectuel dans lequel sa pensée s’est déployée, à travers ses propres écrits ou ceux de ses contemporains ou successeurs. Il est donc fort agréable de saluer la nouvelle version de ce petit dictionnaire qui, sans pouvoir se comparer aux vastes Lexicons aujourd’hui disponibles sur le marché, n’en constitue pas moins un ouvrage précis et commode, dont seul le prix de vente, qui le rend assez peu accessible (à tout le moins dans cette version hardback, encore plus onéreuse que la première), semble à déplorer.

Xavier KIEFT

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Pour citer cet article : Xavier KIEFT, « SMITH, Kurt, The Descartes Dictionary, London-New York, Bloomsbury, 2015 » in Bulletin cartésien XLVI, Archives de Philosophie, tome 80/1, Janvier-mars 2017, p. 147-224.

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SOSA, Ernest, Judgment and Agency, Oxford, OUP, 2015 vi-269 p.

L’A. est épistémologue et ne fait pas profession d’historien de la philosophie. Il a cependant régulièrement intégré des commentaires novateurs et suggestifs concernant la théorie cartésienne de la connaissance dans le déploiement de ses intuitions relatives à l’épistémologie de la vertu qu’il a développée depuis son article fondamental de 1980 « The Raft and the Pyramid: Coherence versus Foundations in the Theory of Knowledge ». On les retrouve notamment dans A Virtue Epistemology. Apt Belief and Reflective Knowledge, Volume I (Oxford, 2007), Reflective Knowledge. Apt Belief and Reflective Knowledge, Volume II (Oxford, 2009) et l’article « Descartes and Virtue Epistemology » (dans K. J. Clark et M. Rea, éd., Reason, Metaphysics, and Mind. New Essays on the Philosophy of Alvin Plantinga, Oxford, 2012). Jugdment and Agency prolonge et précise ces travaux. On y retrouve notamment « Descartes’s Pyrrhonian Virtue Epistemology », d’abord paru dans D. Dodd et E. Zardini, éd., Scepticism and Perceptual Justification, Oxford, 2014). L’A. perçoit de manière suggestive que l’épistémologie cartésienne porte moins sur des règles ou des critères de justification des énoncés considérés en eux-mêmes que sur une posture particulière à adopter, qui consiste à déterminer l’aptitude à savoir bel et bien ce que l’on dit connaître en vertu d’une réflexion portée sur les moyens d’accéder à la croyance qui en fournissent la justification. Je sais que dans des conditions normales, si je vise la vérité comme je le fais (en suivant par exemple ma méthode d’examen ou si je maintiens mes efforts d’attention), je peux soutenir que je dois atteindre, autant que faire se peut, le savoir. Ainsi, les règles ou critères de vérité importeront progressivement moins que l’exercice et la constance dans mes efforts, c’est-à-dire l’intégration personnelle des normes épistémiques entendues non comme des commandements vis-à-vis desquels chaque défaillance conduirait à un constat d’échec mais selon la tendance générale – épistémologiquement vertueuse – que j’incarne. Sosa s’appuie dans ses écrits principalement sur les ouvrages se rapportant à la théorie de la connaissance de D. (le Discours, les Méditations et les Principes de la philosophie) ainsi que sur quelques extraits de la correspondance. Le lecteur averti pourra s’amuser à retrouver dans Les passions de l’âme où d’autres textes pour le moment ignorés de l’A. certaines confirmations de ses thèses, à tel point qu’il se demandera peut-être si D. n’est pas réellement le précurseur d’une forme d’épistémologie de la vertu – ce qui ne serait pas totalement absurde.

Xavier KIEFT

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Pour citer cet article : Xavier KIEFT, « SOSA, Ernest, Judgment and Agency, Oxford, OUP, 2015 » in Bulletin cartésien XLVI, Archives de Philosophie, tome 80/1, Janvier-mars 2017, p. 147-224.

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