EnglishTome 80, cahier 4, Octobre-Décembre 2017

L’enfance dans l’Antiquité

Jérôme Laurent, L’enfance dans l’Antiquité

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Anne-Laure Therme, Figures présocratiques de l’enfant. La συμμετρία  et le jeu

Si les fragments présocratiques semblent d’abord déprécier la figure désordonnée et immature de l’enfant, la critique porte surtout sur l’incapacité de certains adultes à se comporter comme tels. L’enfance est un état de germination voué à être dépassé, et n’est pas tant privation (d’ordre, de mesure, de raison) que promesse d’un devenir que l’adulte a la responsabilité de nourrir. Une croissance harmonieuse exige une éducation ajustée à ce qu’est et peut l’enfant, la συμμετρία étant cause d’ἁρμονίη, d’où l’importance du jeu, qui allie plaisir, respect de limites et maîtrise de règles. Le paradigme faisant de l’enfant un κόσμος en formation se renverse quand Héraclite (fr. 52) et Empédocle (fr. 100) donnent à penser l’univers et l’accès à la sagesse dans des énigmes mettant en scène des enfants jouant.

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Laetitia Monteils-Laen, La valeur de l’enfance chez Aristote

En dépit de son « naturalisme », l’éthique aristotélicienne ne valorise guère la figure de l’enfant. Non conforme à la nature (kata phusin), l’enfant doit plutôt être rectifié dans ses tendances spontanées. Obsédé par le plaisir, il serait presque déréglé par nature. Parce qu’elle est rationnelle donc humaine seulement en puissance, Aristote ne retient de l’enfance que les déficiences. L’enfant est maladivement faible, physiquement disproportionné, et surtout étranger à la raison. Il semble plus proche de l’animal que de l’homme mature. Questionner la valeur de l’enfance nous invite à redéfinir ce que nous entendons par « naturalisme » quand nous parlons de l’éthique d’Aristote.

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Valéry Laurand, L’enfance chez les stoïciens. L’histoire d’un ratage

La nature, selon les stoïciens, programme les hommes, dès leur naissance, pour devenir vertueux et les équipe en conséquence. Paradoxalement, l’enfant, animal en devenir humain, n’a pas encore part à la raison et ne peut, malgré l’éducation la meilleure possible, que devenir déraisonnable et manquer de sagesse. Dans cet article, je me propose d’écrire l’histoire stoïcienne d’un échec : celui du développement de l’enfant en adulte raisonnable, en cherchant à comprendre à la fois ses raisons et sa nécessité, depuis avant la naissance jusqu’à la transformation – nécessaire – de l’enfant en « adulte » phaulos, défectueux, méchant, pervers, insensé.

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Jérôme Laurent, Les troubles de la petite enfance selon Proclus

L’âme n’est pas pour Proclus l’entéléchie d’un corps organisé. Elle est différente du corps auquel elle préexiste. Aussi l’enfance n’est-elle pas un commencement radical, mais la transition entre deux existences, le moment du plus grand trouble quand, à la naissance, les sensations provoquent l’oubli des vies antérieures.

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Kristell Trego, Des catégories de l’âme ? À propos d’un certain aristotélisme du jeune Augustin

L’article porte sur l’usage des catégories héritées d’Aristote pour penser l’âme humaine dans l’œuvre d’Augustin, en s’appuyant sur deux dialogues écrits à la suite du séjour à Cassiciacum : le De immortalitate animae (qui revient sur le modèle de l’inhérence des accidents en un sujet) et le De quantitate animae (qui s’interroge sur la substantialité de l’âme et la manière dont on peut lui reconnaître une quantitas).

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Dan Arbib, Un enjeu interne à l’école cartésienne : les formes substantielles selon Descartes, Malebranche et Arnauld

Il s’agit ici d’interroger la radicalité du rejet des formes substantielles chez Descartes et ses successeurs, notamment Malebranche et Arnauld. Après avoir rappelé les motifs cartésiens de ce rejet et l’exception que constitue le corps propre, exception qui permet de dégager les traits d’un « aristotélisme critique » propre à Descartes (§ 1), nous étudions sa radicalisation malebranchiste au-delà des limites fixées par Descartes lui-même (§ 2) ; il ne reste à Arnauld qu’à confondre « être représentatifs » et « formes substantielles » pour prendre Malebranche à nouveau en défaut (§ 3). Ainsi, loin d’être une évidence partagée par les cartésiens, le rejet des formes substantielles constitue un enjeu interne à l’école cartésienne.

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Bulletin de littérature hégélienne XXVII

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Bulletin de bibliographie spinoziste XXXIX

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L’enfance est au cœur de la pensée antique ; elle y est objet d’une préoccupation majeure, la paideia. Le dossier L’enfance dans l’Antiquité le montre ici de manière très éclairante, fondé sur une connaissance profonde, fine, indiscutable des auteurs sollicités.

Depuis les présocratiques, le souci de la paideia

Platon et Aristote

Platon et Aristote, ou la Philosophie, par Luca della Robbia (Florence, DP)

Depuis les présocratiques jusqu’à Proclus, ce dossier développe la constance du souci de cette paideia, pour cette paideia ; il fait entrer en ligne de compte différentes approches dont celles, très concrètes, de l’embryologie, de la physiologie et de la médecine par exemple, donc du corps en tant que corps dans sa génération et son évolution ; il met en lumière combien le lien entre enfance et paideia repose sur une vision d’ensemble, celle d’un horizon aux dimensions du kosmos, où l’homme a place par son corps, et à celles de la pensée. L’abord de l’enfance par la paideia pose en effet la question de la sagesse : l’homme devient sage ; il ne naît pas sage ou il ne l’est pas du tout naturellement. Devenir sage est une tâche, difficile. Pour le devenir, il faut savoir d’où l’on part, l’enfance ; et pour traiter de l’enfance, il ne faut pas s’en remettre à la simple nature immédiate de l’enfant, encore moins à un état présumé d’innocence ou de charme de l’enfant.

Donner une forme à ce qui est informe

La paideia est l’exigence incontournable. Aucune Cité ne peut en effet se construire sans éducation. Or passer par l’éducation, c’est donner une forme à ce qui est informe, spontané, irrationnel ou pulsionnel, l’enfant ; c’est donner de la raison ou plutôt susciter la raison. Et susciter la raison par l’éducation ne conduit sûrement pas dans cette culture à déserter ou à quitter le corps, mais bien au contraire à considérer le corps et à lui laisser sa place jusqu’au terme de la vie. Exigence impérative, la paideia fait alors son œuvre en gardant présentes à l’esprit deux données : et l’enfant est informe – il est sans forme – et le monde est un kosmos, un ordre difficile à trouver, un ordre qu’il faut sans cesse faire naître dans l’enfant afin qu’il vive en lui cet ordre et s’inscrive peu à peu comme homme dans ce kosmos lui-même ordonné. Par l’éducation, l’homme est ainsi voué à advenir au monde – et à lui-même – qui est sa destination toujours actuelle, un monde dont l’ordre est toujours à chercher par l’homme. L’éducation et la marche de l’homme vers la sagesse sont alors liées mais elles le sont selon une tâche qui apparaît progressivement – et le dossier le développe avec force et habileté – aussi indispensable qu’elle est infinie.

Éveiller l’émergence de la raison

C’est que la paideia est vouée à éveiller l’émergence de la raison de chacun envisagé en sa singularité ; elle ne peut certainement pas se substituer depuis l’extérieur à la pensée individuelle de chacun et encore moins, depuis l’extérieur, faire comme cela d’un enfant puis d’un adolescent un homme sage. Il faut aussi tout le travail intérieur de l’homme, sur lequel nulle paideia ne peut avoir prise ! La paideia se souviendra alors que le monde, comme kosmos, est appelant, qu’il pose question, qu’il n’y a pas d’emprise sur le monde comme sur un objet. Le monde comme kosmos fait en effet partie de la question portée par la paideia : comment ce qui est sans forme, l’enfant, peut-il revêtir la forme de l’homme sage ? La paideia, donc, doit faire étape – et étape seulement – dans le devenir de l’enfant, pour que ce dernier avance vers l’exercice de sa propre pensée dans son rapport au monde et à autrui pour les connaître. Il découvrira alors que la connaissance du monde comme de soi-même et d’autrui sont une tâche infinie, une tâche dont la promesse réfléchie ou le pari est de devenir sage : l’homme sage est heureux d’avoir quitté l’enfance.

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L’homme n’advient, en effet, et tout le mouvement du dossier le met en évidence, que s’il quitte le règne de la pure sensation naturelle, immédiate, impulsive ; en d’autres termes le règne de l’informe, c’est-à-dire l’enfance. L’enfance dans l’antiquité conduisant ainsi le lecteur sur un sujet complexe et débattu, celui de la paideia, réussit avec nuance et finesse à montrer combien les problèmes rencontrés par les philosophes antiques demeurent aujourd’hui actuels et vigoureusement instructifs