EnglishTome 81, cahier 1, Janvier-Mars 2018

L’idée de philosophie à l’âge classique

Philippe Danino, L’idée de philosophie à l’âge classique

L’objet des contributions ici réunies est d’examiner comment la philosophie se pense à un moment singulier de son histoire, la période moderne, remarquable par ses bouleversements et ses ruptures. De la diversité donnée des démarches et des contenus, des traits communs peuvent être relevés, qui permettent de caractériser cette période comme un moment important de la vie de la raison : celui de son émancipation. La raison, faculté des idées claires et distinctes, se détermine en ce siècle comme un point de départ, un pouvoir souverain de commencement, et la philosophie se saisit elle-même non pas comme une connaissance historique ou dogmatique, mais comme une connaissance rationnelle, dont le principe, note Hegel, « consiste à voir, sentir, penser par soi-même, à être là soi-même ».

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Éric Marquer, Bacon et l’« âge d’or » de la philosophie anglaise : Hobbes, Wilkins, Petty

Il est possible de lire les désirs et les ambitions d’une époque à partir des utopies qu’elle produit. Ce constat est particulièrement vrai pour la Renaissance et l’âge classique en Europe : l’utopie apparaît comme une alternative politique, face à un monde en proie à l’inquiétude et à la division. Pour ce qui est du XVIIe siècle anglais, l’utopie nous donne accès à une intelligibilité historique nouvelle, car elle nous révèle la manière dont une certaine figure de la modernité s’invente à travers ses utopies, et même s’affirme comme utopie. Si l’utopie est, chez Bacon, Hobbes et Wilkins, le signe de l’inventivité propre du discours philosophique, elle apparaît aussi, plus que jamais, comme un discours que la société tient sur elle-même..

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Édouard Mehl, Descartes ou la philosophie des (re)commencements

Dans son déroulement historique, la philosophie cartésienne a au moins trois commencements : celui de 1619 (la méthode et les mathématiques), celui de 1629-1630 (la physique et la création des vérités éternelles) et celui de 1641 (la philosophie première ou métaphysique). Chacun de ces trois moments est inaugural, mais il renvoie aux deux autres, qui se réfléchissent et se répètent en lui. Partant, la figure propre de la philosophie cartésienne est celle du re-commencement à partir des « premiers fondements », qui sont à la fois ce que cette philosophie a de plus propre – puisqu’elle seule les pense –, et son dehors, puisqu’elle ne les produit pas mais se constitue elle-même comme l’accès ou la découverte de ces proto-objets : Dieu, la nature pensante et la nature corporelle.

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Hélène Bouchilloux, Pascal et le principe de raison christique

Faut-il exclure Pascal de la philosophie au prétexte que « Se moquer de la philosophie c’est vraiment philosopher » ? Après avoir montré pourquoi la raison peut se donner en Jésus-Christ, plutôt que dans le cogito, le principe de toute une philosophie et pourquoi cette philosophie requiert, contrairement à celle de Descartes, un ordre qui diffère de l’ordre déductif, on élucidera le sens de cette formule problématique.

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Philippe Danino, Spinoza : la philosophie par la rencontre

À un correspondant, Spinoza déclare savoir qu’est vraie la philosophie qu’il comprend. Or, jamais il ne définit l’idée de philosophie ou n’en dresse un tableau des connaissances qui constituerait son programme ou son contenu. Toutefois, ses manières d’en parler et d’en livrer des propriétés constituent autant d’indices de la philosophie conçue comme une pratique : celle d’opérer des distinctions. Or, l’idée de philosophie ne prend elle-même sens qu’en ce geste : elle n’a rien d’un préalable, mais elle s’autoproduit dans un système de rencontres, c’est-à-dire par le biais de relations avec ce qui a priori n’est pas elle (le vulgaire, l’ignorant, le théologien, le politique), et qui permettent alors de recomposer la nature de ce que Spinoza nomme la « vraie philosophie ».

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Philippe Hamou, Locke : « Aimer la vérité pour elle-même »

L’ethos philosophique de Locke se caractérise par un accent particulier sur les vertus de vérité et de véracité. Aimer la vérité pour elle-même signifie manifester une forme d’indifférence préalable à la vérité des opinions soumises à notre jugement. L’article montre que cette attitude requiert tout à la fois une « éthique de la croyance » et une forme de culture de l’esprit, une « conduite de l’entendement », où l’indifférence épistémique se présente comme une vertu intellectuelle qu’il convient de cultiver par l’exercice et par l’étude. Il est montré in fine comment cette manière de comprendre la vertu du philosophe trouve un répondant dans l’Essai sur l’entendement humain.

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Paul Rateau, La philosophie et l’idée d’encyclopédie universelle des connaissances selon Leibniz

L’unité et la continuité du savoir, en même temps que sa structure en réseau rendent ses divisions arbitraires et artificielles. Contre la partition traditionnelle de la philosophie en physique, logique et morale, Leibniz propose alors un agencement différent des mêmes vérités selon que l’on considère leur fondement théorique, leur application pratique ou la manière de les disposer suivant un ordre rationnel et commode. L’encyclopédie, par laquelle la philosophie devrait être présentée, peut ainsi s’écrire de diverses façons. Elle constitue un système ouvert, perfectible et au service de l’invention, qui ne perd jamais de vue la perfection et la félicité humaines.

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Pierre Thibaud, Vers une philosophie de la limite. La notion peircienne d’« état intermédiaire ou naissant »

Cette notion apparaît dans Les enjeux du pragmaticisme (1905), où Peirce évoque la notion de « frontière » ou de « limite ». Le concept prend tout son sens dans le cadre d’une philosophie de la détermination et d’une philosophie du vrai. On essaiera d’en analyser à la fois la logique et la philosophie sous-jacentes, en cherchant à montrer que nous avons peut-être là, au travers d’une philosophie originale du continu, l’un des concepts les plus éclairants du pragmatisme peircien.

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Bulletin cartésien XLVII

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Revisiter notre perception du XVIIe siècle

Portrait, pensé être celui de Baruch de Spinoza (huile sur toile, attribué à Barend Graat - DP)

Portrait de Spinoza ? (Barend Graat – DP)

Sans dogmatisme ni académisme ou idéologie, L’idée de philosophie à l’âge classique invite à revisiter, s’il en était besoin, notre perception du XVIIe siècle. Original par son approche et sa méthode, avisé quant au choix des philosophes retenus de cet âge, servi par une écriture très soignée et élégante, ce dossier organise magistralement la complémentarité en même temps que la résonance de philosophies vraiment différentes. Par leur construction, tous les articles proposent un certain visage de la raison prenant des formes philosophiques distinctes les unes des autres et pratiquées selon la singularité propre à chaque philosophe – Bacon, Hobbes, Descartes, Pascal, Spinoza, Locke, Leibniz. C’est d’une raison fort loin d’être abstraite, détachée du réel, impériale et sèche qu’il s’agit ici mais au contraire d’une raison universelle vivante, active, en acte et, à vrai dire, « européenne » : les aires anglaise, allemande et francophone de cet âge se trouvant réunies par ce dossier..

Mettre en lumière la singularité propre de chaque philosophie

Chaque article, en effet, met en pleine lumière de manière sûre et enlevée la singularité propre à chaque philosophie qu’il traite. Mais il fait plus que cela. Il fait vivre la philosophie qu’il s’emploie à présenter, il la rend vivante ; et s’il la rend vivante, c’est que L’idée de philosophie à l’âge classique la fait résonner avec les philosophies présentées par les autres articles. En orchestrant ainsi leur mise en réseau, le dossier met en scène le commencement qu’est la raison moderne ou l’invention de la raison moderne par la raison elle-même : une raison qui se donne à découvrir comme universelle dans les figures philosophiques qu’elle prend et en lesquelles elle s’accomplit pleinement selon son dessein premier..

Se manifester selon une autre manière de se rapporter au monde

C’est d’un âge nouveau de la raison qu’il s’agit alors, remise à la responsabilité de l’homme et dégagée d’un regard ou d’une intelligence rationaliste, néoscolastique ou instrumentale de la raison quant à son usage ; d’un âge nouveau dans le déploiement d’une raison chargée de promesses en même temps que sous la contrainte, par les circonstances historiques, de se manifester elle-même selon une autre manière de se rapporter au monde – en y rapportant l’homme – et de se penser elle-même. L’idée de philosophie à l’âge classique le met remarquablement en évidence. Son geste propre est l’harmonie qu’il donne à lire entre les diverses formes philosophiques qui coexistent, et en chacune desquelles la raison – toute la raison – est là. Si le dossier fait ainsi entrevoir comment la raison accède, en ce moment de sa vie et de son histoire, à elle-même comme raison moderne, il fait toutefois bien plus. Il laisse pressentir qu’une philosophie – quasi leibnizienne – de l’histoire de la philosophie s’invite discrètement mais efficacement, en éclaireur, dans le cercle restreint des philosophies de l’histoire..

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