EnglishTome 81, cahier 2, Avril-Juin 2018

Nouvelles recherches philosophiques sur le cinéma

Une du cahier 81/2Marc Cerisuelo, Nouvelles recherches philosophiques sur le cinéma

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Hugo Clémot, « Penser l’intime avec le cinéma »

L’intime au cinéma est un thème bien documenté du point de vue des études cinématographiques, tandis que le privé soulève des problèmes souvent abordés en philosophie. Il est cependant plus rare que les philosophes aillent au cinéma pour y trouver de nouvelles solutions, voire des manières neuves de poser et de penser ces difficultés conceptuelles. En partant de la démarche d’un philosophe, Stanley Cavell, dont l’écriture relève à la fois des registres philosophique, autobiographique et « cinématographique », l’article cherche à montrer de quelle façon penser l’intime avec le cinéma est un moyen d’enrichir, voire de modifier nos conceptions.

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Alice Leroy, Utopie de la transparence et machines de projection. De la nature des corps au cinéma

Cet article questionne la nature paradoxale des corps filmiques : de quelle existence témoignent-ils ? De quelle chair sont-ils faits ? On tentera d’en dessiner l’anatomie singulière à partir de la notion « corps utopique », proposée par le moins cinéphile des philosophes français, Michel Foucault. Bien que cette notion ne s’applique aucunement dans l’esprit de Foucault au cinéma, elle actualise une pensée du corps filmique en faisant de celui-ci le produit d’une configuration épistémique des sciences et de l’imaginaire. Appliquée à l’échelle du corps, l’utopie détermine une capacité de débordement et de dérèglement de la réalité, physique, temporelle et anthropique du corps filmé. Rapporté à l’utopie, le corps échappe au modèle dualiste de la matière et de l’esprit au profit des formes du multiple et des espaces-temps dans lesquels il se déploie.

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Jean-Michel Durafour, Film. Ontologie des images et iconologie au-delà de l’humain

Cet article présente le versant ontologique d’une démarche iconologique et esthétique que je baptise éconologie. Celle-ci, si elle n’est pas seulement cinématographique, est expressément filmique en ce qu’elle est élaborée à partir des films et de l’intérieur du mode de pensée que le cinéma porte à l’excellence. Délaissant le moment génétique qui y conduit, j’ai choisi dans ces pages d’en éclaircir les liens avec la nouvelle philosophie des objets.

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Marc Cerisuelo, Drôles de genres : la descendance cinématographiques d’Erwin Panofsky

Célèbre aussi pour son essai consacré au cinéma, « Style et matière du septième art », Erwin Panofsky a défendu, comme le fera plus tard Stanley Cavell, la projection contre l’enregistrement ; il a élaboré une conception fondée sur le fantastique inhérent au cinéma et a accordé au septième art la puissance d’inventer des genres. Renouant avec la force fantasmagorique de son inspiration, nous présentons ici de nouveaux genres un peu étranges, en insistant sur les fictions psychopompes, qui représentent une autre relation des morts et des vivants à l’écran.

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Martin Heidegger. Pensées publiques, réflexions privées

Martin Heidegger, Sur l’histoire de la chaire de philosophie à l’université de Marbourg depuis 1866

Traduction par Guillaume Fagniez de Zur Geschichte des philosophischen Lehrstuhles seit 1866, publié pour la première fois dans Die Philipps-Universität zu Marburg 1527-1927, Marbourg, N.G. Elwertsche Verlagsbuchhandlung (G. Braun), 1927.

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Antoine Cantin-Brault, Heidegger lecteur d’Héraclite : l’ombre de Hegel

Heidegger fut de toute sa vie philosophique un lecteur plus ou moins assidu d’Héraclite. Or, Heidegger n’a jamais su libérer Héraclite complètement de son interprétation hégélienne. De fait, Heidegger n’a jamais pu le libérer de Hegel, ce qui se comprend si l’on met en rapport les lectures heideggériennes et hégélienne d’Héraclite dans une métaphysique entendue comme onto-proto-logie, telle que l’a re-constituée Bernard. Mabille.

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Inga Römer, Les interprétations heideggériennes de Kant

Les interprétations heideggériennes de Kant suivent trois étapes dans la réception du philosophe critique par Heidegger : une première, préparatoire (1925-27), une deuxième, positive (1927/28-1929) et une troisième, critique (à partir de 1930). L’article met en évidence la manière dont Heidegger lit l’esthétique, l’analytique et la dialectique transcendantale, ainsi que la philosophie pratique de Kant. Il met en lumière les conséquences philosophiques des lectures heideggériennes de Kant.

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David Espinet, Heidegger lecteur de Kant. Points de vue privés et publics à partir de 1930

Pourquoi Heidegger lit-il Kant ? À quel moment l’interprétation heideggérienne de Kant véhicule-t-elle, sous le couvert d’opérations et de constructions conceptuelles, des convictions désormais portées au jour avec la parution des Cahiers noirs mais pour lesquelles le penseur lui-même maintient une ambivalence dans ses publications et conférences ? Pour répondre à cette question, je propose de tracer une double perspective qui montre le contraste mais aussi les correspondances entre le point de vue intérieur resté privé de Heidegger sur la philosophie – notamment pratique – kantienne qu’il développe dans les Cahiers noirs et son point de vue rendu public sur cette même philosophie, qu’il expose dans le cours magistral De l’essence de la liberté de 1930.

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Pierre Fasula, Interroger la subjectivité. « Pour qui se prend-on ? »

Avec la question « Pour qui se prend-on ? », nous voudrions examiner une certaine manière d’interroger la subjectivité, à la croisée des analyses de Vincent Descombes dans Le parler de soi et de Stanley Cavell dans Les voix de la raison. La subjectivité en jeu dans cette question est à comprendre en termes de positionnement de soi par rapport aux autres, positionnement dont la difficulté est thématisée à la fois par la morale et la littérature.

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Florence Hulak, Le social et l’historique. Robert Castel face à Michel Foucault

L’universalité supposée du concept de « social » élaboré par l’École française de sociologie a fait l’objet de critiques foucaldiennes s’employant à en dévoiler l’ancrage historique. L’article montre que Les métamorphoses de la question sociale de Robert Castel met ces critiques à l’épreuve sur leur propre terrain historique. Alors qu’elles conçoivent l’invention du social comme corrélative de l’émergence du gouvernement par la « question sociale », Castel établit que ce mode de gouvernement est bien plutôt la manifestation de l’existence du social, soit de l’injonction à résoudre le problème des défaillances de la solidarité par le travail. Le concept d’État social peut alors être repensé comme le fragile fruit politique de luttes sociales, sans être réduit à la domination exercée par un État illusoirement qualifié de « providence ».

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Bulletin d’études hobbesiennes I (XXIX)

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Éric Rohmer

Éric Rohmer à la Cinémathèque en 2004 (by smdl, CC)

Nouvelles recherches philosophiques sur le cinéma…

…aborde par un détour peu commun le cinéma comme tel, qui ici n’est pas seulement un objet auquel le sujet spectateur fait face, pas plus qu’il ne saurait être réduit à une simple production dans un domaine de l’art que les divers agents de ce domaine réaliseraient. Cette recherche, toute de délicatesse et d’attention très informée, croise la question du rapport du sujet à son extériorité ; elle met en évidence que cette question ne peut se résoudre par une réponse moniste ou dualiste ou par la voie de la phénoménologie pour laquelle ce que sont les choses et les êtres reste intouchable et inaccessible – même si Nouvelles recherches philosophiques sur le cinéma emprunte à la phénoménologie ses méthodes sous toutes leurs modalités. Cet abord inédit du cinéma tient d’abord à l’originalité de la réflexion, en mouvement, ici conduite sur le cinéma, lui-même mouvement d’images.

Cette réflexion, qui accorde une place essentielle aux corps, aux divers modes de la sensibilité, aux multiples facettes et données du visible – dont les images avec leurs différents statuts d’une philosophie à l’autre –, ne contourne pas la centralité propre à la question philosophique de l’altérité ; elle ne s’y dérobe pas mais elle l’accueille et la saisit pleinement. Elle ne sombre pas non plus dans une opposition paresseuse entre sources philosophiques continentales et sources philosophiques américaines mais elle en orchestre le dialogue et les fécondations réciproques. Elle est ainsi remarquablement servie par les références judicieuses à des auteurs, des œuvres, des philosophes majeurs tels Cavell ou Panofsky par exemple et, parmi d’autres, Wittgenstein, incontournable.

Suivant son mouvement propre, cette réflexion conduit à approcher le cinéma comme « corps », c’est-à-dire ce lieu où l’esprit et le non-esprit, le même et l’autre, le fictif et le réel, l’intérieur et l’extérieur se manifestent par l’image, mais en tant que l’image, ici, n’est pas un objet, une production fixe. Elle est au contraire image qui intègre, par le mouvement même du film, les images qui la précèdent et celles qui lui succèdent, de sorte qu’elle est temporalité qui accueille dans son mouvement ou dans son flux, en tant que temporalité du plus intime, le même ou l’autre, l’esprit ou le non-esprit, le fictif ou le réel, l’intérieur ou l’extérieur et une temporalité qui les transforme.

Nouvelles recherches philosophiques sur le cinéma présente une philosophie réelle du cinéma en train de se dessiner. Elle se dessine comme philosophie du mouvement et non comme philosophie du devenir, comme philosophie de l’intime et non comme analytique de la subjectivité. Elle se présente comme philosophie de l’altérité vivante et non comme analytique de l’autre en tant qu’absolu ou du Dasein portant la main sur les choses de son environnement pour les réduire au même.

Martin Heidegger. Pensées publiques, réflexions privées…

Kant

Emmanuel Kant

…examine avec acuité le tournant philosophique pris par Heidegger dès le début des années 1930. Le texte de Heidegger publié en 1927 en hommage à l’université de Marburg prend ici valeur de pivot à un moment charnière où la pensée de Heidegger arrive à sa maturité. Il témoigne d’une affinité rare avec la langue allemande et de la maîtrise effective et productrice de sa malléabilité par Heidegger, en même temps que de sa totale présence à la philosophie allemande et de sa lecture minutieuse des philosophes qu’il médite, y compris ceux qui ne s’inscrivent pas dans ses propres perspectives. Le texte indique un tournant dans l’itinéraire de Heidegger. Le ressort en est Kant, centre de la réflexion de Heidegger tout en occupant une place unique de confrontation ou d’adversité dans sa philosophie. Or de ce tournant, les Cahiers noirs font apparaître un ensemble d’éléments clefs restés dans l’ombre jusqu’à leur publication.

Martin Heidegger

Martin Heidegger en 1960

L’un de ces éléments est le passage d’une phénoménologie du Dasein à une nouvelle ontologie de ce Dasein. Sein und Zeit est dépassé, l’analytique du Dasein abandonnée pour chercher et trouver le « commencement inaugural d’un genre humain ». Dans ce passage, Kant continue à figurer la raison, dans ce qu’elle a de meilleur comme dans les possibilités qu’elle offre. Mais cette raison kantienne a son revers rationaliste irréductible pour Heidegger : la domesticité du monde, la domination sur le monde par le calcul, bref la souveraineté. La philosophie juive, désignée par Heidegger avec le terme large de « judaïsme », campe ce revers rationaliste de la raison, ce revers que, selon Heidegger, Kant et les philosophies postkantiennes ont échoué à anéantir, à tout le moins à contenir. Il faut alors ouvrir une autre voie philosophique pour forger un autre point de vue sur le Dasein. Cette autre voie met en relief deux nouvelles dimensions à observer inconditionnellement : la singularité du Dasein, mais en tant que le Dasein appartient à une communauté de destin engagée dans le temps (Zeit) et liée à un espace (Raum), le Dasein étant pris dans le destin de cette communauté. Pour Heidegger, dans les Cahiers noirs, l’organon de cette nouvelle existence et réalisation du Dasein dans sa communauté de destin ne peut plus être le devoir kantien mais l’écoute obéissante comme disponibilité au destin de la communauté, selon un « national-socialisme de l’esprit » à philosophiquement fonder et diffuser, qui ne peut prendre réalité que dans un peuple : le peuple allemand en tant qu’il s’ajuste à cette écoute obéissante. Le devoir ne peut dès lors plus être celui de la raison kantienne car il se présente de soi à l’homme en tant que réponse faite par lui à un appel. Cette réponse se donne comme commencement inaugural d’un genre humain alors nouveau, un commencement imprimé par une spontanéité inexplicable non raisonnable aux allures de déchainement et d’irruption de l’être dont la seule philosophie heideggérienne témoigne par elle-même en tant qu’appel à l’être : une spontanéité éminemment dangereuse et dévastatrice – l’histoire l’a montré – sur le plan politique, éthique, sociétal, racial et biologique. Ce que Heidegger ne voit pas ou semble ne pas entrevoir alors même qu’il critique le « biologisme trouble » propre au « national-socialisme vulgaire », celui-là même qui est effectif et produit ses effets exterminateurs sous ses yeux.

La question du statut des Cahiers noirs reste évidemment en un suspens agressif. S’agit-il d’un laboratoire de la pensée avec les matériaux du temps et de l’espace géopolitiques contemporains de Heidegger ? D’un atelier privé ou intime, d’une intimité inaccessible quant à l’intention qui y habite ? Il demeure que les Cahiers noirs livrent une clef secrète des circulations entre réflexions intimes et pensées publiques de Heidegger, qui informent le tournant philosophique de son itinéraire dans le passage de Marburg à Freiburg : une clef, des résonnances de laquelle les écrits publiés ne peuvent aucunement être abstraits.

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Depuis 1988, les Archives de philosophie ont publié chaque année dans le deuxième cahier le Bulletin Hobbes – à l’exception de l’année 2017. Une pause s’imposait afin de réfléchir à une nouvelle impulsion et d’en revoir la manière de faire. Confié à Éric Marquer, ce bulletin rend compte des « nouvelles orientations » et d’un « nouvel élan des recherches actuelles » sur Hobbes. C’est pourquoi il paraît sous le titre Bulletin d’études hobbesiennes I (XXIX) : I, car il est le premier sous cet intitulé ; XXIX, car il s’inscrit dans l’histoire de l’intérêt et de l’engagement de la revue pour les travaux sur et autour de Hobbes.

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