EnglishTome 85, cahier 4, Octobre-Décembre 2022

Les savoirs de la famille

Gabrielle Radica, Les savoirs de la famille. Avant-propos

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Jeanne Lazarus, La méthode de Viviana Zelizer. La famille réconciliée avec l’économie

Cet article retrace l’œuvre de Viviana Zelizer, en montrant la façon dont elle a rendu compte de l’intrication entre la famille et l’économie, à travers une série d’objets : l’assurance vie, l’évaluation de la valeur des enfants, la signification sociale de l’argent et plus récemment celle de l’intimité. Les étapes des recherches de Viviana Zelizer sont exposées, en portant une attention particulière au travail relationnel que mènent les acteurs. La dernière partie de l’article décrit les prolongements du travail de Zelizer, qui trouve des échos dans le monde entier, à l’heure où les conditions économiques difficiles interrogent sur la possibilité même d’établir une famille et de créer les conditions de la reproduction.

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Céline BessièreLes arrangements de famille

Ancré en sociologie, ce texte vise à clarifier l’emploi du concept d’ « arrangements de famille » dans les sciences sociales de langue française et anglaise et précise son intérêt par rapport au terme concurrent de « négociation » pour décrire la prise collective de décisions par des personnes apparentées. Cette conceptualisation permet de penser la production plus ou moins formalisée d’un consensus entre des personnes apparentées qui ont éventuellement des intérêts contradictoires et sont prises localement dans des rapports de pouvoir, et plus généralement dans des rapports de domination qui les dépassent. L’article insiste sur la dimension temporelle de ces arrangements qui sont tout à la fois un processus et un résultat.

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Gabrielle Radica, Les savoirs juridiques de la famille. Le point de vue de la philosophie sociale

La famille ne se réduit ni à un réseau d’affections, ni à un contrat, c’est une institution sociale. A ce titre, elle intéresse le droit, et quiconque veut la comprendre doit solliciter les savoirs juridiques qui la concernent. La tâche n’a rien d’évident puisque ces savoirs juridiques de la famille sont multiples, et résistent à la théorisation comme à la systématisation. Elle reste cependant indispensable car le désintérêt pour ces savoirs produit toutes sortes d’abstractions et de méconnaissances. Quelle philosophie de la famille serait à même de les ressaisir et de s’y repérer néanmoins, quel point de vue respectueux de la complexité de l’objet le permettrait ? Seule peut le faire une démarche philosophique sociale, qui reconnaît dans la famille une institution, qui mobilise les savoirs juridiques, et qui les rapporte à des considérations sociales et politiques globales.

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Anne Verjus, Le père dans le Code civil, un fils inavoué de la Révolution ?

La législation de l’an II (1793-1794) qui pendant quelques brèves années va permettre d’égaliser les droits des enfants naturels et des enfants légitimes, a des effets inattendus et durables sur notre droit. Loin de faire le lit de l’égalité entre tous les enfants, elle organise une extension des droits sans obligation nouvelle de leurs pères, au détriment des mères non mariées et de leurs enfants non désirés et non reconnus. La Révolution maintient la puissance du patriarcat jusque dans son droit le plus individualiste et prépare son institutionnalisation par le Code civil.

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Mathurin Schweyer, Généalogie du gouvernement de la famille. Foucault et l’histoire politique de l’autorité familiale

À la fin de Surveiller et Punir, Foucault indique qu’il faudrait étudier les débats révolutionnaires sur le droit des parents à faire enfermer leurs enfants, pour prolonger son analyse de la discipline comme « forme de société ». Cet article se propose d’étudier ces débats, en retraçant la manière dont l’autorité familiale a été constituée comme forme de pouvoir et objet de savoir, entre la fin du xviiie siècle et le début du xixe siècle français. L’analyse des discours juridiques, pédagogiques et politiques sur l’autorité familiale permet de retracer l’émergence d’une forme inédite de gouvernementalité, dont la spécificité ne peut être appréhendée qu’à la condition de passer d’une approche généalogique à une perspective sociohistorique sur les rapports entre les groupes qui s’affrontent au sein de la société. À la lumière de ce constat, le problème du rapport entre la méthode de la « pratique historico-philosophique » et la méthode de l’enquête sociohistorique peut être réexaminé.

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Frédéric Brahami, La puissance et la grâce. La théorie proudhonienne du mariage

Les thèses que Proudhon développe sur les femmes, l’amour et le mariage n’expriment pas seulement sa misogynie personnelle, elles remplissent aussi une fonction centrale dans sa théorie de la justice. Le mariage en effet, qui suppose la supériorité de l’homme sur la femme, est l’institution originelle sans laquelle la dignité humaine aboutirait à la guerre de tous contre tous. Condition de leur complémentarité, l’inégalité foncière entre femmes et hommes sanctifiée dans le mariage rend seule possible l’émergence d’une société d’hommes libres et égaux.

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Julia Christ, Durkheim et le débat sur le divorce par consentement mutuel. Pour une libération conjointe des hommes et des femmes

Les raisons pour lesquelles Durkheim a pris parti contre le rétablissement du divorce par consentement mutuel ne sauraient se réduire à son désintérêt pour la cause des femmes : il y va de l’institution du statut de personnes à chacun. Si la division sexuelle du travail au sein du couple marié possède cette vertu et si l’institution du mariage protège les partenaires, tel n’est pas le cas au niveau de la division du travail social. Ceci a des effets sur la sexualité des hommes, engendrant une souffrance toute particulière tandis que les femmes n’en sont pas affectées. Leur interdire le divorce semble alors une exigence de justice sociale tant que la division du travail reste anomique et/ou n’intègre pas les femmes. Les analyses de Durkheim constituent une conceptualisation nouvelle du terme de liberté moderne qui permet encore aujourd’hui d’éclairer les demandes d’un élargissement de l’état matrimonial.

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Notes de lecture

Georges Canguilhem, Œuvres complètes

Lu par Pierre Macherey.

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Bulletins

Bulletin de littérature hégélienne XXXII

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Bulletin de bibliographie spinoziste XLIV

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ÉDITORIAL

Les savoirs de la famille ? Il ne s’agit pas de ceux que la famille aurait sur elle-même et qu’elle transmettrait d’une génération à l’autre, par exemple une lignée d’agriculteurs liée à une terre ou de vieille aristocratie attachée à des valeurs ou encore d’artisans formés à un savoir-faire nécessaire au bon exercice de leur activité. De telles lignées sont riches d’expériences en leurs domaines propres, pour peu qu’elles fassent retour sur elles-mêmes et leurs savoirs, non sans identifier et assimiler les multiples transformations qui se sont imposées à elles au cours de l’histoire contemporaine ou plus ancienne.

Les savoirs ? Loin de tout a priori scientiste, idéologique, moral ou religieux, les savoirs en question dans ce dossier, prennent forme et se constituent dans divers champs de recherches dont la famille mobilise, par choix, l’attention. La famille y est, en tant que fait, observée, examinée et pensée : un fait inscrit dans des contextes sociaux et historiques ; un fait abordé selon des approches – économiques, juridiques et sociologiques – et des méthodes rigoureuses qui accompagnent et fondent la constitution de ces savoirs. Ces derniers sont susceptibles de se transformer et d’être transformés, car c’est la famille elle-même qui, au fil du temps, se transforme et est transformée. Ils s’offrent comme points de vue que quiconque, se hasardant dans un propos sur la famille, ne peut ignorer au risque sinon d’être inutilement imprudent ou pire, dogmatique ; ils exercent une fonction critique à laquelle toute considération sur la famille gagne à se soumettre, surtout si cette considération a une prétention morale, politique ou de réforme sociétale.

Dans ce dossier magistralement coordonné par Gabrielle Radica, qui réunit des articles clairs, intelligents, rigoureusement informés, ces points de vue jouent entre eux et donnent à entendre de multiples résonances. Ces dernières orchestrent l’émergence d’une véritable pensée philosophique de la famille : une pensée philosophique ayant conscience de l’importance des savoirs positifs – normatifs, pour certains d’entre eux – ou descriptifs dans le processus de son élaboration. Pensée philosophique de la famille ou Philosophie de la famille aurait pu d’ailleurs, et à bon droit, être retenu comme titre de ce dossier. Mais il était entendu, dès les échanges préalables à sa constitution, et maintenu au fur et à mesure de sa réalisation, que les disciplines qui y seraient sollicitées, car traitant de la famille en et pour elle-même, seraient placées sur un plan d’égalité. Plus précisément, elles ne seraient pas “prises de haut” par une philosophie qui butinerait, en passant de l’une à l’autre et en restant extérieurement en surplomb, les matériaux jugés par elle nécessaires à la construction de sa propre réflexion sur la famille.

Les savoirs de la famille s’offre en effet comme espace de résonances aux recherches économiques, juridiques et sociologiques – le pluriel s’impose dans la mesure où chacune de ces recherches est plurielle – qui ont la famille pour objet. Une pensée philosophique s’y lève en même temps que chacun des savoirs prenant place dans cet espace se laisse interroger par les résonances en lesquelles il accepte d’entrer. La famille devient ainsi un objet à part entière de la philosophie sans que cette dernière ne se subordonne les savoirs sollicités. C’est de mise en œuvre d’une méthode philosophique qu’il s’agit aussi ici. Cette méthode montrerait assurément sa pertinence et sa légitimité si d’autres domaines de recherches étaient à leur tour conviés : la psychanalyse, l’anthropologie, la littérature par exemple.

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Entre 2011 et 2021, Vrin a publié en une série de 5 volumes, sous le titre Œuvres complètes, les écrits de Canguilhem. Il s’imposait que fût livrée une note de lecture développée rendant compte de la pensée, mais aussi de sa finesse et de ses mouvements, de Georges Canguilhem. Signée par Pierre Macherey et intitulée «Tout Canguilhem ? L’édition de ses “Œuvres complètes” », cette note de lecture donne à sentir, au plus près, outre la profondeur et la subtilité de la pensée de Canguilhem, le climat de l’université française durant les années 1950 et 1960.

La Rédaction