EnglishTome 79, cahier 3, juillet-septembre 2016

Leo Strauss et le problème politique

Leo Strauss, Le droit naturel

Le problème du droit naturel est un problème philosophique et non un problème historique. Mais aujourd’hui, afin de réfléchir à une discussion philosophique du droit naturel, nous devons nous engager dans des études historiques. La critique contemporaine du droit naturel est simplement une répétition de la vieille critique du droit naturel, selon laquelle toutes les notions de justice ou de moralité sont conventionnelles. Le droit naturel moderne est présenté en complète indépendance par rapport au droit positif ; il est lié à l’idée d’un état de nature ; il tend à être une doctrine des droits plutôt qu’une doctrine des devoirs ; c’est une doctrine de la liberté. Le droit naturel moderne, à l’origine duquel se trouve Thomas Hobbes, doit être considéré dans le contexte de la tentative d’établir une nouvelle science de la politique, dirigée contre l’utopisme de la science politique classique, et orientée vers un ordre désirable dont l’actualisation serait nécessaire.

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Adrien Louis, Voir et comprendre la politique moderne : Leo Strauss et Claude Lefort

Lorsque Leo Strauss présente et défend la philosophie politique ancienne, il met en avant l’accord de cette philosophie avec la manière citoyenne et naturelle d’appréhender les phénomènes politiques. La perspective de la philosophie politique classique prolonge, éclaire et corrige la perspective citoyenne, elle ne rompt pas avec elle. Mais lorsque Strauss traite lui-même de la politique moderne, il semble faire peu de cas de cette perspective citoyenne. En particulier, il conteste la portée des différences entre partis communistes, libéraux et conservateurs, pour mettre en avant l’unité foncière du « mouvement moderne ». Nous avons voulu expliquer cet étrange écart, avec l’aide de Claude Lefort.

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Yves Couture, Strauss face aux deux infinis modernes

Strauss mobilise deux conceptions distinctes de la modernité. La première y voit le résultat d’un éloignement du droit naturel classique. Propre à l’Occident, cet éloignement trouverait sa forme achevée dans l’historicisme de Nietzsche et de Heidegger. La seconde, explicitée par A. Bloom ou P. Manent, associe la modernité à l’avènement de la démocratie, c’est-à-dire à ce que les Grecs voyaient comme une possibilité politique naturelle. Aboutissement d’une histoire singulière ou fait naturel, la modernité apparaît toutefois comme une forme d’illimitation du désir, sous la figure des philosophies de la volonté ou sous la figure de la libération démocratique du sensible.

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Pierre Manent, Raison et Révélation. Quelques remarques sur l’analyse straussienne et la synthèse chrétienne

Selon Leo Strauss, la dispute entre Athènes et Jérusalem, entre la Raison et la Révélation, constitue l’enjeu le plus haut et le plus profond de l’histoire de l’Occident. Le christianisme lui apparaît comme une « synthèse » entre la Raison et la Révélation, une synthèse dans laquelle les deux éléments perdent leur pureté ou leur authenticité. Prenant appui sur saint Augustin et Pascal, l’article s’interroge sur la pertinence de la notion de « synthèse » dans ce contexte, et propose de recourir à celle de « médiation ».

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Hans Jonas : la question de l’avenir

Avishag Zafrani, Hans Jonas : la question de l’avenir
Éric Pommier, Sauver le phénomène éthique pour préserver l’avenir. Jonas et Patocka ou la responsabilité et le sacrifice

En nous appuyant sur les pensées de Hans Jonas et de Jan Patočka, nous souhaitons montrer que le premier des problèmes éthiques est celui de sa manifestation, à une époque dominée par la technique qui interdit un tel apparaitre. Que ce soit par le sacrifice ou grâce à la responsabilité, ces deux philosophes nous permettent en effet de comprendre, d’une part, comment l’éthique peut se rendre visible et déjouer la logique instrumentale, d’autre part, comment l’on peut donner une consistance ontologique à une telle prétention à partir d’une réflexion qui prend la vie pour thème.

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Emidio Spinelli, Dieu, l’existence et le cosmos selon Hans Jonas. Existence et évolution

Le but de cet article est d’analyser deux textes (Le concept de Dieu après Auschwitz. Une voix juive et The Unanswered Question. Some Thoughts on Science, Atheism and the Notion of God) et par conséquent deux aspects, qui sont des exemples évidents des idées de Hans Jonas, d’une part sur le rapport de Dieu avec le monde et l’homme, de l’autre sur l’intérêt de quelques résultats issus des sciences dites dures (avant tout la physique) convoqués dans ses recherches métaphysiques, théologiques, cosmogoniques.

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Avishag Zafrani, Quelle économie pour quel avenir ? Hans Jonas et la responsabilité

Cet article revient sur une analyse peu connue de Jonas, consacrée aux raisons d’être de l’économie, c’est-à-dire à une ontologie normative de cette science. Dans quelle mesure et à partir de quels fondements pouvons-nous remettre en question la dynamique tout à la fois créatrice et destructrice de notre activité économique ? Trois moments clés de l’argumentation de Jonas seront étudiés : la critique de l’idéalisme baconien et la moralisation de l’usage des savoirs, le dialogue avec Marx dans la perspective d’une « auto-modération » de l’humanité, et la sagesse économique fondée sur l’ignorance des buts de notre activité. Cette ignorance, obstacle à la prédictibilité, doit façonner notre conception de l’avenir et de notre responsabilité à son égard.

Comptes rendus
Bulletin leibnizien II

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Bulletin de Philosophie médiévale XVIII

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Leo StraussLeo Strauss et le problème politique, Hans Jonas et la question de l’avenir. Deux dossiers saisis en un ensemble qui expose un point de vue synthétique sur deux des pensées parmi les plus incisives, les plus influentes et créatrices du siècle dernier et, plus encore, actuelles.

Cet ensemble d’études tente de cerner ce qui est au cœur des deux philosophies, leur foyer : pour Leo Strauss, la question centrale est celle de l’État juste en tant qu’État qui a en lui-même des finalités qui sont autres que celles de l’ordre, du pouvoir, de la régulation, de la paix interne et externe, sans les négliger pour autant. Pour Hans Jonas, la question centrale est celle du rapport de l’homme à la nature, laquelle n’est pas un simple objet manipulable et transformable à satiété, disponible comme cet extérieur sur lequel l’homme n’a qu’à agir sans retenue pour assurer son avenir.

Ces deux dossiers ne constituent pas une simple répétition qui prolongerait les innombrables travaux consacrés en France et ailleurs à Leo Strauss et Hans Jonas. Pourquoi ?

En raison de l’attention presque exclusive portée par les études ici présentées : d’un côté, sur ce qui différencie, chez Leo Strauss, l’État moderne de l’État antique ; de l’autre, sur la mise en forme pour Hans Jonas, comme tâche qui est toujours devant nous, des rapports multiples de l’homme à la nature en soi et hors de soi. Or cette mise en forme chez Leo Strauss n’est ni étrangère ni indifférente à la distinction – et à la genèse de cette distinction à travers l’histoire – entre les figures de l’État, ni à leurs métamorphoses.

Dans cet ensemble d’études, il importe de souligner avec force l’importance du texte inédit en français de Leo Strauss lui-même.

C’est une étonnante et vigoureuse élaboration d’une recherche personnelle constante sur le problème politique, tel qu’il se formule avec et à partir des modernes.
Il vaut aussi de souligner l’intérêt de la contribution de Pierre Manent, lequel cerne de manière claire et courageuse la tension, qui habite toute l’œuvre de Leo Strauss, entre raison et révélation : tension à laquelle la philosophie de Leo Strauss ne se dérobe pas, mais qu’elle affronte au contraire dans l’examen, au long de l’histoire, des traditions juives et chrétiennes ; tension sur laquelle l’idéalisme allemand butte et qu’une Aufhebung, par exemple, ne saurait dépasser ou « débloquer » par une absorption de la raison dans la révélation et inversement.

En lisant ces deux dossiers, il convient de garder en tête…

…combien, pour Leo Strauss et Hans Jonas, Heidegger, dont ils furent les étudiants, mais également Nietzsche ont compté, leur ombre étant présente, précisément dans le jugement sur la modernité : un jugement critique éclairant pour Leo Strauss et Hans Jonas ; éclairant mais insuffisant à leurs yeux car sans proposition de relance après la critique.