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Tome 80, cahier 2, Avril-Juin 2017

L’esthétique, tout simplement

L'Esthétique, tout simplement. Couverture du numéro

Danièle Cohn, L’esthétique, tout simplement

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Jacques-Olivier Bégot, L’antinomie de l’autonomie. Benjamin, Adorno et les enjeux d’une esthétique critique

Partant d’une reconstruction détaillée du débat au sujet de l’œuvre d’art qui, dans la seconde moitié des années 1930, oppose Adorno et Benjamin, l’article montre que la profondeur du désaccord entre leurs positions respectives, notamment à propos de l’aura et de la reproductibilité technique, n’exclut pas certains recoupements. En particulier, Benjamin et Adorno se montrent attachés à une conception originale de la forme qui les situe à égale distance du formalisme et d’un matérialisme « vulgaire » : pour l’un comme pour l’autre, la forme est à la fois le lieu de l’invention proprement artistique et l’instance où la société fait irruption au sein des œuvres.

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Mildred Galland-Szymkowiak, Une esthétique des arts techniques. Einfühlung et symbolisme architectural chez Theodor Lipps

Comment penser la manière dont un édifice symbolise, sans réduire ce symbolisme à l’adjonction extérieure d’une signification qui a été déterminée hors du contact même avec l’objet ? La dimension technique d’un produit du design peut-elle être comprise comme partie prenante de l’expérience esthétique que nous en avons ? L’article montre comment, dans l’esthétique psychologique des arts techniques développée par Theodor Lipps (1851-1914), ce problème est réarticulé autour de la notion d’Einfühlung. Celle-ci est spécifiée en fonction de la résonance affective, dans le sujet, des trois aspects perçus de l’objet technique (matériel, formel et d’usage).

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Pauline Nadrigny, Musique/peinture, la tentation de l’analogie. Le cas Morton Feldman

L’analogie peinture/musique est toujours séduisante et s’alimente d’exemples nombreux dans l’histoire des arts du xxe siècle. Cet angle d’approche peut cependant gommer des spécificités artistiques en s’en tenant à une simple ressemblance. Nous examinons ici la portée du pictural dans le parcours du compositeur Morton Feldman, notamment à travers sa relation au travail de Mark Rothko. L’enjeu de ce texte est ainsi, par l’étude d’une relation exemplaire, de déterminer ce que peut signifier et comment peut s’organiser une correspondance entre les arts, dans un contexte où l’acte de composer change de sens.

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Giuseppe Di Liberti, Le fait esthétique

Souvent utilisée dans les débats récents en sciences humaines, la notion de « fait esthétique » est difficile à définir. Cette difficulté est due d’une part à la nature complexe des faits du point de vue ontologique, d’autre part à l’hétérogénéité du domaine de l’esthétique. Une définition du fait esthétique pourrait pourtant favoriser des échanges interdisciplinaires, contribuer à une ontologie des faits et préciser la valeur cognitive de l’expérience esthétique. Cet article défend l’hypothèse que les faits esthétiques soient caractérisés par la persistance – dans l’expérience – de contenus non-propositionnels de la perception qui mobilisent nos émotions et nos contenus culturels.

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Danièle Cohn, Violence et pitié. Du pouvoir que nous donnons aux images

Le « tournant iconique » accorde aux images un pouvoir qui va à l’encontre de leur artefactualité. Les œuvres singulières ne sont pas des « images », même si nous les voyons le plus souvent aujourd’hui « comme des images ». La justesse de l’esthétique se tient dans sa capacité à regarder les œuvres d’art, ici en l’occurrence un tableau contemporain, et à chercher à saisir quel savoir sensible il rend visible. Ce savoir sensible nourrit un sensus communis, récuse le compassionnel et restitue à la pitié sa fonction dans une éducation esthétique.

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Félix Duque, Terreur et beauté chez Hegel

L’esthétique hégélienne pourrait d’abord apparaître comme un travail de la raison entravant l’accès au fond indomptable propre à la réalité sensible qualifiée à bon droit de « terrible ». Cependant, à bien y regarder, nous pensons qu’il est possible de prendre le contre-pied de cette interprétation, en posant la question suivante : une telle entreprise de la raison, au niveau de l’esthétique hégélienne, est-elle seulement réalisable ?

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Jamila M.H. Mascat, Entre négativité et vanité. La critique hégélienne de l’ironie romantique

Philosophe de la négation par excellence, Hegel prend soin tout au long de son entreprise spéculative de distinguer différents types de négatif, éclairant et différenciant les multiples modes par lesquels la négativité se déploie. Tant dans la Phénoménologie de l’esprit que dans les Cours d’esthétique et dans son « Compte rendu des Écrits posthumes et correspondance de Solger » (1828), à propos de l’ironie romantique, Hegel engage de fait une prise de position politiquement significative concernant le concept même de négation, mettant en garde contre tout repli apolitique dans le narcissisme comme dans le nihilisme.

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 Jean-Louis Vieillard-Baron, Hegel et le passage du polythéisme au monothéisme

Le passage du polythéisme au christianisme n’est pas pour Hegel une guerre des dieux mais un passage véritablement dialectique. Le polythéisme n’a en effet rien d’une fantaisie ou d’une esthétique arbitraire. Il est au contraire produit par le monothéisme présent en lui.

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 Jean Ferrari, Hommage à François Marty

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Philip Guston, Archives of American Art

Philip Guston

Ni à la marge de la philosophie, ni une discipline ou un secteur de la philosophie, ni la partie ou l’élément d’un système de la philosophie, mais au cœur de la philosophie, de la réflexion ou de la démarche philosophique quand elle ne se dérobe ou ne se refuse pas aux effets de vie sur la sensibilité, quand elle leur donne toute leur place tout en consentant à une part indéchiffrable, inassignable du fait esthétique : telle est L’esthétique, tout simplement, avec son caractère « auroral » selon l’heureuse expression de Danièle Cohn à propos de l’œuvre décisive d’Aby Warburg.

Un caractère auroral…

Rothko Chapel, Houston (by AnotheBeliever, CC)

Rothko Chapel

Auroral ? L’œuvre d’art n’est ni un objet à la manière des objets du monde que l’on peut reproduire par maîtrise technique, ni la réalisation unique, authentique et vraie, réservée à une élite, d’une idée d’où elle naîtrait. Elle ne se réduit pas à une fonction sociale, morale ou politique même si elle prend place dans un espace social, celui des hommes, ouvre au sens moral par l’expérience de la beauté, fait époque en un temps politique sans être nullement le produit de ce temps politique. Elle n’est pas plus du côté du temps quand elle est musique qu’elle n’est du côté de l’espace quand elle est peinture : le temps est aussi présent dans la peinture ; l’espace est aussi présent dans la musique. Elle est immanente au matériau dans le travail qu’on lui fait subir, y compris par la technique, ce que l’on perçoit si nettement dans l’architecture et aussi en toute création artistique. L’œuvre d’art naît ainsi de la vie ; elle naît du regard orienté vers la vie comme vers une aurore, frontière de partage insaisissable entre obscurité et lumière. L’œuvre d’art est cette aurore même qui se lève sur l’homme et lui révèle, s’il y consent, ce qu’il en est, pour lui, de sa position d’existence. Mais quand l’homme en fait une chose dont il parle ou qu’il collectionne ou qu’il entend déchiffrer, l’homme retourne à l’obscurité en même temps qu’il ensevelit l’œuvre d’art dans le sépulcre d’un simple objet. L’œuvre d’art, toujours dans la distance, sollicite celui qu’elle atteint en son tréfonds.

Morton Feldman (Rob Bogaerts/Anefo - Nationaal Archief, CC)

Morton Feldman (Rob Bogaerts/Anefo – Nationaal Archief, CC)

L’esthétique ? Au cœur de la philosophie

Le dossier L’esthétique, tout simplement entraîne, met en lumière ce caractère auroral de l’œuvre d’art, le préserve en même temps. Le mouvement du dossier, les choix d’une extrême pertinence opérés par les auteurs, la pudeur dans l’approche conduisent subrepticement, par l’esthétique, à la position d’existence de l’homme comme question en même temps qu’énigme ; ils révèlent, par cette question et cette énigme, que – et comment – l’esthétique est tout simplement au cœur de la philosophie.